GeoffroyLa leçon du jour : ne pas se fier aux apparences. Prenez Geoffroy, ancien candidat à La Voix sur TVA. Il y a trois mois, il lançait un premier album de pop électronique en anglais intitulé Coastline. Le timbre velouté, le ton mélancolico-romantique, les refrains simplement et bellement tournés, des collaborations avec ses semblables électropop Fjord et Men I Trust, la formule parfaite et moderne pour rafler des clics sur Spotify et YouTube. Eh ! bien, derrière l’image polie et séduisante se cache un jeune homme rompu aux coulisses de l’industrie de la musique, qui en parle avec la même passion qu’il mord dans sa carrière musicale.

Parlons business dans ce magazine autrement dédié aux créateurs, éditeurs et à leurs œuvres. Ayant été sélectionné pour la première vitrine SOCAN au Printemps de Bourges en avril 2017, il est aussi le seul auteur-compositeur-interprète québécois invité à participer au volet Accelerator de la 51e édition du MIDEM, du 6 au 9 juin 2017, à Cannes. Geoffroy se préparait au moment de notre entretien à brasser des affaires en plus de chanter la pomme aux Français.

Le MIDEM, il s’y connaît : « J’y suis allé quelques fois lorsque je travaillais dans l’industrie, nous explique-t-il, à la veille de son départ pour la Riviera. Après mes études à l’Université McGill, j’ai été engagé par la maison de disques Analekta, toujours présent au MIDEM. Le marché de la musique classique est en plein développement en Asie et il y a toujours beaucoup de délégués chinois à l’événement, tu sais. » Il y est ensuite retourné pendant ses études de maîtrise en gestion industrielle des arts et de la musique, qu’il a faites en Espagne.

« En tant qu’artiste, c’est utile de savoir comment parler à son gérant, comment bien parler à son éditeur, aux gens de son label, c’est pratique de connaître toutes les facettes du métier. »

« J’ai toujours eu un pied dans l’industrie de la musique, l’autre dans la création, dans le côté plus artiste, abonde Geoffroy. J’ai toujours fait de la musique pour mon propre plaisir, mais voilà, je ne sais pas… Je n’ai jamais eu le guts de mettre mon travail de créateur de l’avant. Je n’avais jamais envisagé une carrière d’artiste comme “plan A”, donc je me suis monté un solide “plan B” [en tant qu’acteur de l’industrie], un plan non seulement intéressant, mais qui m’est utile aujourd’hui. En tant qu’artiste, c’est utile de savoir comment parler à son gérant, comment bien parler à son éditeur, aux gens de son label, c’est pratique de connaître toutes les facettes du métier. »

Geoffroy a toujours fait de la musique « sans jamais prendre ça vraiment au sérieux » : leçons de piano vers l’âge de huit ans, puis de guitare et de batterie, puis des cours de chant « pour briser la carapace, pour me prouver à moi-même que je pouvais chanter. »

Il participe au populaire concours télévisuel La Voix au printemps 2014, puis lance un premier EP, Soaked in Gold, l’année suivante. « Après la sortie du premier EP, j’ai pris la mesure de la réception du public. Bonsound a embarqué dans le projet ; là, je me suis dit : Ok, peut-être qu’y’a du potentiel… J’ai foncé, pris deux ans pour écrire et enregistrer l’album Coastline, et me voici ici ».

À quelques heures d’un avion pour la France où l’attendent un concert et trois jours de rendez-vous avec des membres de l’industrie en Europe – où sa musique suscite un intérêt manifeste -, il a déjà signé avec une agence de booking française et envisage d’engager un pisteur radio pour assurer la diffusion des chansons de l’album, disponible là-bas en format numérique.

« L’industrie de la musique est très intéressante parce qu’elle est en constante évolution, estime Geoffroy. Y’a pas de formule magique pour obtenir le succès — évidemment, tout ça doit partir d’une bonne chanson… Après, c’est beaucoup de stratégie, de manière de mettre la musique sur le marché, on peut utiliser différentes stratégies de segmentations, c’est super intéressant… »

Chanter en anglais est une première stratégie qui maximise la portée d’une chanson… mais il n’y a pas de calcul dans ce choix artistique : « J’ai grandi à Notre-Dame-De-Grâce, dans une famille pas seulement francophone, mais francophile. J’ai grandi aussi avec des amis anglos ou bilingues ; j’ai fait mes études en anglais. »

GeoffroyAjoutez à cela les influences de la pop américaine qu’il écoutait plus jeune, tout ça fait « que ça sort mieux en anglais. J’ai essayé d’écrire en français, je n’ai jamais été satisfait du résultat. Je ne ferme pas la porte, cependant. Ces temps-ci, j’écoute beaucoup de musique haïtienne, beaucoup de kompa, je sais que c’est éloigné de la pop francophone, mais j’ai envie d’explorer ça. »

Et, simple curiosité, d’où vient cette pointe d’accent british dans tes interprétations ? « C’est drôle, on m’a déjà fait ce commentaire. Ça paraît sur certaines chansons, comme Trouble Child. Au moment d’enregistrer, j’étais sur un buzz d’écouter du Peter Gabriel et du David Bowie, je crois que je me suis mis dans la peau d’un personnage et j’ai enregistré ça comme ça. »

Autre idée préconçue à propos de Geoffroy : on croirait à l’écouter qu’il est originaire de la Capitale, qui ne semble pas à court d’artistes électropop chantant en anglais. « C’est sans doute grâce à La Voix, où j’ai rencontré Gabrielle Shonk », auteure-compositrice-interprète appartenant à cette tribu musicale de Québec. « Grâce à elle, j’ai rencontré toute cette gang de musiciens-producteurs de Québec. Ils sont vraiment tous très gentils, c’est cool travailler avec eux, les Men I Trust, Fjord. Ça me semblait juste naturel et amusant de travailler avec ces gens-là, sans penser stratégie. Tu sais, le monde de Québec a pas mal moins d’égo que le monde de Montréal, alors ça rend la chose agréable. »



Claude DuboisLe 16 juin dernier aux FrancoFolies de Montréal, avant les rappels de son spectacle Dubois en liberté, Claude Dubois s’est mis à pointer les gens dans la foule pendant que s’étirait la mélodie irrésistible de Comme un million de gens.

« Comme toi ! Comme moi ! Comme toi ! Comme moi ! » a-t-il lancé, en regardant à droite ou à gauche, au parterre ou à la mezzanine. « Comme nous », pourrions-nous ajouter. Communion intense et totale avec la foule.

Maintenant âgé de 70 ans et bataillant un cancer, Dubois ne pensait probablement pas à la naissance de cette chanson qu’elle allait être rien de moins qu’un hymne populaire des décennies plus tard. Comme tant d’autres de ses chansons, d’ailleurs.

Officiellement, Comme un million de gens, sacrée Classique de la SOCAN en 1994 et intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en 2008, remonte à 1966, du moins, pour ce qui est de l’écriture. Mais pour l’enregistrement de la chanson proprement dit, il a fallu attendre un peu plus longtemps. Et un peu plus loin, pour paraphraser Jean-Pierre Ferland, car elle a été gravée l’autre côté de l’Atlantique.

Un hippie en 1968

« J’étais en France en 1968, se rappelle Dubois. C’était une année de bouleversements là-bas (Mai 1968). J’avais d’ailleurs fait un détour par l’Angleterre avant d’arriver en France. C’était l’époque hippie. À ce moment, j’étais avec une Parisienne aux racines italiennes. Moi, j’étais un parachuté arrivé d’Amérique.

« J’étais attiré par la France et par la culture qu’il y avait là. J’habitais un appartement sur les quais. Et comme j’avais les cheveux longs, on me prenait pour un étudiant et on m’arrêtait tout le temps. Pour me relâcher aussitôt. Je n’en menais pas large… »

Au point où le chanteur populaire Dave (Vanina, Du côté de chez Swann), un néerlandais établi en France, a donné un coup de main à Dubois lors de cette période pas facile. « Dave m’avait pris sous son aile. On faisait des tournées de resto et de crêperies où l’on passait le chapeau (rires). Il est aujourd’hui le survivant de sa génération et il a son émission télé en France. »

Inspiration révolutionnaire ?

Quelques mois après son arrivée dans l’Hexagone, Dubois grave la chanson pour la postérité. Il estime que le texte reflétait bien ce qui se passait sur les deux continents à ce moment. « La chanson était inspirée d’ici (le Québec) et de là (la France). Le Québec aussi était en éveil à cette époque. J’étais inspiré par le milieu familial au sens large du terme. Pas juste le père et la mère, mais les cousins. La chanson disait de ne pas se faire avoir. Que tout le monde pouvait prendre sa place dans la société.

« Quand j’ai fait entendre ça aux gens de Pathé-Marconi, ils m’ont répondu : « Vous ne trouvez pas qu’on est assez dans la merde comme ça ? Une autre chanson révolutionnaire ! » Les dirigeants du label disaient que j’étais le « génie marin », en raison des vêtements que je portais. Je leur ai dit que s’ils me cédaient les droits de propriété de la chanson, ils n’auraient plus jamais de problème avec moi. Et ils m’ont cédé les droits. J’étais déjà vu comme une étiquette libre. »

Au moment l’enregistrement de Comme un million de gens, Dubois et ses collègues ont des voisins de studio très connus pour l’occasion. « À la fin de l’année donc, je me retrouve dans les studios de Pathé Marconi. Chez EMI, en fait. Nous sommes dans le studio B. Dans le studio A, il y a les Rolling Stones. Nous n’avions pas du tout le même budget… Eux, ils restaient des mois en studio. Nous, nous n’avions que quelques heures. Durant l’enregistrement, il y avait un guitariste du Québec avec nous, Red Mitchell, qui était en tournée en Europe avec Jean-Pierre Ferland. Sinon, tous les autres musiciens étaient Français. Ça a donné un enregistrement bien foutu, celui que vous connaissez. »

Comme un million de gens voit le jour l’année suivante, en juin 1969, en format 45-Tours sur étiquette Columbia (C4-7060). Dimension était sur la face B. Puis, une autre parution en 45-Tours suit, cette fois en Europe, sur l’étiquette La Compagnie (LC 023), avec Boogaloo comme face B. « C’était l’étiquette de Hugues Aufray, mais c’est paru un peu plus tard (1970). »

Succès immédiat

« La chanson est sortie immédiatement à la radio, se souvient Dubois. Il n’y avait pas de parallèle à ça. C’était country, mais les chansons country de l’époque n’avaient pas des textes à connotation sociale qui parlaient de mouvements de foule. »

« Je n’anticipais pas du tout un succès. C’était de l’artisanat, ce que je faisais. Et même si la chanson est passée à la radio, ça n’a pas fait de moi une vedette. Ceux qui pensent que Dubois était un succès dans ce temps-là… c’est faux. Ma carrière a toujours été en montagnes russes et je ne parle pas de mes déboires personnels (rires). Je parle uniquement ma carrière. »

« Les cotes d’amour ne sont pas nécessairement des cotes de financement, vous savez. Les Classels et les Hou-Lops, par exemple, faisaient plus d’argent que les auteurs-compositeurs dans ce temps-là. Dans le fond, j’avais un succès «off Broadway», si l’on peut dire. »

Qui perdure encore et encore, cinq décennies plus tard, comme on l’a constaté la semaine dernière.

 



Vite ! Nommez le simple reggae qui a le record de ventes de tous les temps ? Surprise : c’est « Informer », l’immense succès de l’auteur-compositeur-interprète irlando-canadien Snow. Né Darrin O’Brien dans les HLM d’Allenbury Gardens du nord de Toronto, Snow a découvert la musique jamaïcaine grâce à ses voisins et il a lui-même été découvert plus tard par le rappeur new-yorkais MC Shan qui a produit son premier album, 12 inches of Snow. Les rythmes pop léchés et les paroles en patois débitées à toute vitesse et portant sur un indic ont permis à la chanson de grimper jusqu’en première position du palmarès Billboard, où elle est demeurée pendant 7 semaines et s’écoulant à plus de 8 millions d’exemplaires. « Informer » n’a pas été le seul « hit » de Snow – son « all-star mix » de la pièce « Anything For You » a été no 1 en Jamaïque et « Everybody Wants to Be Like You », parue en 2000, a gagné le MuchMusic Video Award du meilleur clip Canadien —, mais c’est sans aucun doute la chanson qu’on associe à son nom.

Quel genre de musique écoutais-tu quand tu étais jeune ?
Rock. Le premier concert que j’ai vu c’était KISS au Varsity Stadium, avec mon frère. Il avait neuf ans et j’en avais six. On avait l’habitude d’imiter KISS dans le sous-sol d’un voisin. Le maquillage, le faux sang, tout le toutim. Pendant ce temps, à l’étage au-dessus, ils écoutaient de la musique jamaïcaine. Là où j’ai grandi, c’était majoritairement irlandais. Puis, vers l’âge de 14 ans, des Jamaïcains ont commencé à s’installer dans le voisinage. C’est comme ça que j’ai découvert leur musique.

Qu’est-ce qui t’attirait tant dans le reggae ?
Je ne sais pas. Ma mère a toujours été une amoureuse de musique. Mais plutôt du R & B. Pas de rock. Pas de country. Rien d’autre. Et lorsque mes voisins ont commencé à me filer toutes ces cassettes de dancehall, j’étais simplement hypnotisé par les voix ! J’écoutais ces cassettes en boucle, sans arrêt. « Mais qu’est-ce qu’il dit ? »  Les chanteurs me fascinaient.

Quand as-tu commencé à écrire tes propres chansons ?
Avant « Informer », je n’avais jamais écrit de chansons. Je n’étais pas un auteur-compositeur, ni un chanteur ou quoi que ce soit du genre. J’ai été reconnu coupable de deux tentatives de meurtre en emprisonné. C’est pendant mon séjour en dedans que j’ai commencé à écrire ces couplets : [en chantant] « Informer. You know say Daddy Snow me, I’m gonna blame. A licky boom-boom down. » Comme un « jingle ». Mais je n’avais jamais mis les pieds dans un studio. Je suis juste un fan de musique. Quand je suis sorti de prison, j’ai été à New York et j’ai rencontré MC Shan. Il m’a dit « paraît que tu sais chanter ? Passe faire un tour chez moi ! » Il m’a tout appris. La musique. Les harmonies. Je n’avais aucune notion d’écriture, les mélodies me venaient toutes seules. Quand j’entendais un « beat », je me mettais à fredonner une mélodie après l’autre. C’est comme ça tout a commencé. Je crois que j’ai atteint un certain niveau de professionnalisme, mais à l’époque, je ne l’étais pas du tout.

Combien de temps t’a-t-il fallu pour finir cette chanson ?
Une journée, peut-être. Quand j’ai rencontré MC Shan, je chantais « skippity boom down » sans arrêt. Il chantait la même chose que moi, il adorait ça. Mais on a changé la ligne pour « a licky boom-boom down ». Je m’amusais. Je crois que c’est ça le secret du succès de la chanson. Je ne m’attendais pas qu’elle devienne un si gros « hit ».

Est-ce vrai que tu étais en prison quand la chanson a atteint la première position ?
Oui. On a enregistré l’album à New York. On a tourné un clip. Mais je devais rentrer à Toronto pour retourner en prison. J’ai signé un contrat. Puis je suis retourné en dedans pendant un an. J’avais l’impression que c’était ce que je ferais de ma vie. Personne autour de moi n’avait réussi. La première fois que j’ai vu mon propre clip, j’étais en prison. On m’a accordé une permission de sortir pour un week-end afin que je puisse être interviewé à MuchMusic.

Comment décrirais-tu ton style vocal sur cette pièce ?
C’est un peu dans la veine du singjay. Il y a un peu de Michael Rose. Junior Reid. Sting. Tous des influences pour moi. Je débite des mots. Je ne suis pas un parolier. Je ne suis pas Eminem. Je vis l’instant présent et je fais ce que je ressens.

Jim Carrey s’est moqué de la chanson dans In Living Colour en chantant une parodie intitulée « Imposter ». Qu’en penses-tu ?
C’était parfait ! Il n’avait pas tort ! [rires] Il est Canadien, c’est pour ça que je l’ai laissé faire. Weird Al nous a demandé la permission de parodier la chanson, mais on a dit non.

Quelle est la meilleure chose qui te soit arrivée à cause d’« Informer » ?
Je n’ai plus besoin de magouiller. Fini le crime. Ça, c’est ce qu’il y a de mieux. Par contre, l’envers de la médaille c’est que j’avais plus de fric, et j’ai commencé à boire trop. Mais j’ai arrêté. Je me suis débarrassé de cette mauvaise habitude.