Originaire de Québec, les membres SOCAN Louis-Étienne Santais et Thomas Casault forment le duo Fjord, et viennent tout juste de lancer une première parution officielle, Textures, qui puisent tant dans la période chillout de la fin des années 90 que dans la musique électronique de 2016.

Entretien avec ceux qui feront la pluie et le beau temps dans vos playlists au cours des prochains mois.

P&M : Comment le processus de composition des chansons se déroule-t-il habituellement ?
Fjord : « L’entièreté de notre travail est collaborative. Habituellement, nous commençons par trouver une chaine d’accord viable, puis à partir de là, on construit rapidement autour ; on ajoute des percussions, de la basse, et bien souvent d’autres sons, selon notre inspiration. Même si c’est embryonnaire à ce moment-là, ça nous permet de concrétiser un peu la direction qu’on veut prendre (et de rester inspirés plus longtemps aussi !). Ensuite, on passe un temps fou à chercher une bonne mélodie, et, pour une même pièce, on improvise et on enregistre des dizaines de mélodies dans nos iPhone avant de déterminer celle qui passera le test. Les mots ou les phrases qui sortent spontanément restent souvent dans la version finale de la chanson, car c’est difficile de trouver quelque chose de plus naturel à chanter pour Thomas. Nous finissons l’écriture du texte par la suite, toujours ensemble. C’est probablement la partie la plus difficile pour nous. Nous passons beaucoup de temps en studio à essayer de bâtir des ébauches de pièces, et on en jette beaucoup. On a souvent besoin de recul. Par exemple, pour Blue, rien ne nous a accrochés sur le coup et on a mis la pièce en suspens. Puis, des mois plus tard, on réécoutait les mémos sur nos téléphones et ça nous est alors apparu comme évident ; on avait de la matière pour faire une bonne chanson. »

P&M : Justement, votre projet a réellement pris son envol grâce à Blue, qui a été extrêmement populaire sur Spotify, avec plus de 2 millions d’écoutes à ce jour. Comment voyez-vous ce succès à la lumière de l’actualité récente où Spotify s’est vu sévèrement critiqué ?
Fjord : « Pour nous, Spotify a été et demeure un tremplin très important, tant au niveau de la visibilité que des retombées économiques dues à la rotation de nos chansons. Grâce à cela, Fjord est en mesure de s’autofinancer. Notre groupe s’est formé dans un contexte où le streaming remplace peu à peu la vente de musique sous sa forme plus traditionnelle, alors c’est une réalité à laquelle on est confronté depuis le début. On constate que la majorité des gens qui nous écoutent le font via des plateformes comme Spotify ou Apple Music. Souvent, nos chansons se retrouvent sur certaines de leurs «playlists ». Ces listes sont créées par leurs modérateurs de contenu, qui suivent le monde de la musique de très près. Pour nous, ça a une influence positive sur la portée de notre musique ! »

P&M : Textures a été concocté avec différents réalisateurs. Comment ce processus s’est-il déroulé, tout en restant fidèle au son de Fjord ?
Fjord : « On réalise toujours une grande partie de la musique nous même, peut-être 90%. Les autres réalisateurs sont d’une aide immense pour mieux discerner ce qu’il est pertinent de garder ou non, et on leur laisse aussi une bonne latitude pour essayer d’ajouter des éléments et apporter leurs idées. Bien qu’on garde toujours le dernier mot sur les décisions artistiques, jusqu’à présent, toutes nos relations se sont très bien déroulées et on n’a pas eu à rejeter beaucoup de leurs idées. C’est toujours constructif d’avoir une troisième oreille et les gens avec qui on a travaillé ont tous beaucoup de talent. Ç’a été facile de faire confiance et de construire ensemble, que ce soit avec Claude Bégin (Karim Ouellet, Alaclair Ensemble), Gabriel Gagnon (Milk & Bone, Daniela Andrade) ou Dragos Chiriac (Men I Trust, Ghostly Kisses). »

P&M : Quels sont les projets de Fjord ?
Fjord : « Il y a quelques belles opportunités qui se sont présentées à nous depuis la sortie de Textures, mais on ne peut pas dévoiler beaucoup de choses encore ! On sait qu’on fera certainement quelques spectacles en 2017. Des collaborations avec d’autres artistes sont en cours, ou mêmes achevées. Mais, en ce moment, notre focus est réellement porté sur la création musicale. On a travaillé sur nos prochaines chansons, qui seront accompagnées d’un nouveau visuel. »

 



Avant de monter sur scène au célèbre Radio City Music Hall de New York où elle assurait la première partie d’une autre sensation canadienne et membre de la SOCAN, Alessia Cara, comme elle le fera pour toute sa tournée de 22 dates, Ruth B a fait ce que toute jeune femme de 21 ans ferait à sa place : elle a écrit un tweet. « En première partie d’Alessia au Radio City ce soir », tweetait-elle à ses plus d’un million d’abonnés. « Je tremble comme un bébé chien. » Cinq heures plus tard, un autre tweet : « Radio City, c’est réglé. Je ne me suis pas évanouie. J’attends ma pizza. La vie est belle. »

Belle est sans doute l’euphémisme de l’année. Il y a un an, Ruth B (pour Berhe) était une jeune universitaire qui angoissait au sujet de ses examens tandis qu’elle essayait de décider dans quelle matière elle irait compléter sa majeure (les sciences politiques l’intéressaient beaucoup), en plus d’avoir un petit boulot à temps partiel dans un grand magasin. « Je pliais des vêtements et m’occupait de la caisse », rigole-t-elle. « Ça semble déjà être il y a une éternité. »

Ça, c’était avant qu’elle soit catapultée, à sa grande surprise, dans les palmarès pop internationaux avec son « hit » viral « Lost Boy », une lancinante ballade au piano qui a désormais accumulé plus de 33 millions de visionnements sur YouTube en plus d’être certifié Platine au Canada, aux États-Unis, en Suède et aux Pays-Bas.

« Chaque fois que je quitte ma chambre, je risque de croiser une chanson — le regard sur le visage d’une personne, quelque chose qu’on me dit. »

Ruth B

Car, pour bien des gens, la jeune femme originaire d’Edmonton est encore connue comme « La fille sur Vine », en raison du rôle que ce réseau social — où les utilisateurs partagent des vidéos d’au plus 6 secondes — a joué dans sa remarquable ascension vers la renommée.

Ruth B, dont les parents ont quitté l’Éthiopie avant sa naissance, a suivi des cours de piano toute sa vie et adorait chanter. « J’ai toujours été obsédée par la musique », explique la jeune star. « Elle me vient aussi naturellement que ma respiration. »

Après avoir découvert Vine, elle s’est amusée à publier des « vidéos amusantes » et des clips où on la voyait interpréter des chansons des Beatles, d’Iggy Azalea ou de Coldplay. C’est toutefois son interprétation d’une chanson de Drake qui l’a fait passer de 50 à 1000 abonnés en un rien de temps. « C’est là que je me suis dit “peut-être que ça va m’aider à me faire connaître” », se souvient-elle.

En janvier 2015, après avoir été inspirée par un épisode du drame fantastique canadien Once Upon a Time, Ruth B s’est installée à son clavier et a partagé deux phrases qui formeraient la base de sa première chanson originale : « I am a lost boy from Neverland/Usually hanging out with Peter Pan. » (librement : « Je suis un garçon perdu/généralement en compagnie de Peter Pan »

Le clip de six secondes a accumulé 84?000 « j’aime » en une seule semaine. Surprise et encouragée, elle a publié d’autres clips dans les semaines qui ont suivies pour finalement publier un clip complet de son interprétation de la chanson finale sur YouTube. À ce moment, les appels d’agents et de maisons de disques avaient déjà commencé à fuser. Elle a donc pris une pause de ses études, signé un contrat avec Columbia Records en juillet 2015 et, quelques mois plus tard, lancé un EP de quatre pièces intitulé The Intro incluant bien entendu « Lost Boy » qui a été accueilli à bras ouverts par la critique.

Elle est la première à admettre qu’elle a été aussi surprise que tout le monde de son succès inattendu, mais elle ne se cache pas pour dire qu’elle a toujours su, au fond d’elle-même, que c’était sa destinée de faire carrière en musique. Elle s’empresse néanmoins de préciser que ses aventures musicales en ligne ne faisaient pas partir d’un quelconque plan de carrière, car, comme elle le dit, « ça me semblait impossible ». Elle s’était plutôt résolue à laisser les choses arriver d’elles-mêmes. « Je savais que ça allait arriver quand le moment serait venu », dit-elle.

Elle remercie sa famille et ses amis de l’avoir aidé à garder les pieds sur terre alors qu’elle s’envolait vers la gloire, et elle met désormais toute son attention sur le développement de son talent d’auteure-compositrice. Elle se décrit comme une avide lectrice et une amoureuse de belles histoires, et elle se concentre sur la création de chansons qui présentent des images fortes et des personnages tout aussi forts. « J’aime les chansons qui ont ces éléments », explique la jeune artiste. « J’aime pouvoir les imaginer et pas simplement les écouter. »

Ruth B explique d’ailleurs qu’un rien l’inspire. « Chaque fois que je quitte ma chambre, je risque de croiser une chanson — le regard sur le visage d’une personne, quelque chose qu’on me dit. Il y a une chanson derrière chaque chose que l’on vit. Je ne m’impose aucune limite. »

C’est précisément cette attitude qui lui a permis d’écrire une vingtaine de chansons originales au cours de la dernière année, dont certaines figureront sur son album à venir qui sera probablement lancé au début de 2017.

Elle s’empresse d’ajouter qu’elle est encore la seule responsable de toutes ses créations, chose qu’elle considère comme cruciale pour son identité artistique. « Je suis une auteure-compositrice, avant tout », dit-elle en toute simplicité. « Lorsque j’aurai des petits-enfants, je veux pouvoir leur faire jouer mon album et leur dire “c’est tout moi, ça”. C’est vraiment important pour moi. »

Elle compte bien terminer ses études universitaires [elle songe désormais à un diplôme en études anglaises], mais pour le moment, Ruth B profite pleinement de cette aventure inattendue dans laquelle elle s’est embarquée.

« La musique m’apporte du bonheur, que je chante pour des milliers de personnes au Radio City Music Hall ou seule dans mon sous-sol. Tant que je peux faire de la musique, je suis heureuse. »



À 30 ans, d’aucuns pourraient dire que Adam Baldwin se lance tardivement dans une carrière solo. Néanmoins, jusqu’à maintenant, tout sourit à l’auteur-compositeur-interprète établi à Dartmouth. Lancé en juin dernier, son premier album solo, intitulé No Telling When (Precisely Nineteen Eighty-Five), a fait l’unanimité grâce à son mélange de rock ‘n’ roll guitaristique éclaté et à ses paroles perspicaces qui abordent fréquemment des thèmes sociaux et politiques.

Réalisé par Liam O’Neil (The Stills, Metric), l’album met en vedette Josh Trager (Sam Roberts Band), Brian Murphy (Alvvays) et Leah Fay (July Talk).

Baldwin traduit ses chansons sur scène avec vivacité, lui qui est en tournée en tant que première partie notamment pour The Temperance Movement, Sam Roberts Band et Blue Rodeo, en plus de s’embarquer dans une tournée canadienne avec July Talk dès novembre 2016.

On peut dire qu’il est en bonne compagnie et Baldwin en est très reconnaissant. Rencontré en entrevue après un spectacle à Montréal, il a déclaré « Je suis chanceux d’avoir des amis aux bons endroits. Ces artistes n’ont pas à me demander de faire leur première partie puisque leurs concerts sont déjà à guichets fermés. Je fais sans aucun doute l’envie de bien des groupes canadiens en ce moment. »

Et la réception réservée à No Telling When est tout aussi satisfaisante. « Je suis toujours aussi surpris lorsque l’album est encensé », explique le principal intéressé. « J’ai tendance à me rabaisser un peu et j’ai peut-être un peu manqué de confiance en moi au fil des ans, surtout dans une industrie où l’on juge votre art. »

« Je ne suis pas le genre de gars qui écrit 100 chansons pour en retenir trois. Je préfère écrire une chanson et la peaufiner jusqu’à ce que j’aie le sentiment qu’elle est ce que je recherchais. »

Adam Baldwin a gagné le respect de ses pairs au fil des ans, avant tout comme guitariste au sein du groupe de Matt Mays. Il confie toutefois que « ça fait longtemps que j’écris des chansons. Elles n’étaient simplement pas bonnes, et j’accordais toute attention à jouer dans les groupes d’autres artistes. Je suis devenu papa à 25 ans et ça m’a fait réaliser que la musique, c’est ce que je fais de mieux, et j’ai voulu tenter ma chance et avoir ma propre carrière musicale. »

« La seule façon d’y arriver, c’est de travailler sans arrêt. C’est super de jouer avec Matt, et il est très occupé, mais lorsqu’il ne l’était pas, je restais chez moi, parfois je jouais avec des « cover bands ». J’ai donc décidé que le temps était venu de lancer mes propres chansons et tester les eaux, et ç’a bien fonctionné. »

Adam Baldwin

La première expérience solo de Baldwin a donc pris la forme d’un premier EP, en 2013, qui lui a valu le prix de l’enregistrement de l’année par un artiste masculin à la Nova Scotia Music Week en 2014, en plus de celui de musicien de l’année. Bien que ravi de cette distinction, Baldwin dit avec sagesse « je ne peux pas dépendre de la radio ou des prix de ce genre pour valider mon travail. J’écoute plutôt la réponse de l’auditoire, ce que les gens qui achètent ma musique en disent. »

La vaste majorité des pièces sur No Telling When ont été écrites après le lancement de son premier EP. « Je les ai écrites après avoir emménagé dans une maison où il y avait un piano », raconte l’artiste. « J’en jouais quand j’étais jeune et je composais uniquement avec cet instrument, étrangement. »

« Je ne suis pas le genre de gars qui écrit 100 chansons pour en retenir trois. Je préfère écrire une chanson et la peaufiner jusqu’à ce que j’aie le sentiment qu’elle est ce que je recherchais et qu’elle dit ce que je voulais dire. »

Adam Baldwin nomme ses compatriotes néo-écossais Joel Plaskett et Matt Mays comme sources d’inspiration pour sa carrière « Je suis privilégié d’avoir grandi en écoutant ces gars-là depuis l’adolescence, tandis que j’apprenais à jouer de la guitare », se souvient-il. « C’étaient des gars qui venaient du même endroit que moi et qui tiraient très bien leur épingle du jeu. »

« Ce sont assurément mes héros, et je suis chanceux de pouvoir les appeler mes amis. Je peux leur demander conseil sur à peu près tout, mais je ne leur demande pas de conseils sur la création, car j’ai mon propre processus. Ils sont vraiment importants pour moi. »

“They are certainly heroes of mine, and I’m lucky to count them as friends. I can ask them for advice about anything, though I tend not to ask them much about songwriting, as I have my own process. They’re important people to have around in my life.”

Baldwin est tout à fait candide au sujet de sa plus grande influence musicale. « Personne ne sera surpris d’apprendre que pour moi, le jalon ultime est Bruce Springsteen », avoue le musicien. « Je l’ai étudié avec autant d’ardeur qu’un étudiant en chimie à l’université. Si ça existait, je serais diplômé en Bruce Springsteen?! »

Cela transparaît non seulement dans le côté passionné et rassembleur de ses chansons, mais également dans sa volonté d’y inclure des questions sociales.

« J’ai toujours lu le journal depuis l’âge de huit ans », se remémore-t-il. « Je m’efforce d’être au courant de l’actualité, et je ne sais écrire que sur des sujets que je connais. Or, il y a des choses que je connais et que je comprends avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Je crois qu’il y a de la place pour ça en musique. »

Un exemple frappant de cela sur No Telling When est la pièce « Rehtaeh » au sujet de la triste histoire de Rehtaeh Parsons, une victime de viol qui a fini par s’enlever la vie. « J’ai contacté ses parents, afin de leur faire part de mon intention », explique l’artiste. « Ils ont bien accueilli ma démarche, car ils voulaient que son histoire soit connue afin de faire avancer les choses. »

« Chaque sou amassé par cette chanson va directement à la Rehtaeh Parsons Society, afin que ses parents puissent continuer à visiter les écoles et à faire pression pour que les lois dépassées sur le harcèlement sexuel et le viol en place soient changées. »

Tourné vers l’avenir, Baldwin entend trouver un équilibre entre sa carrière solo et son travail avec Matt Mays. « J’adore ce mec, et j’adore jouer ses chansons », dit-il. « Tant qu’il voudra bien de moi, je serai là?! »