Tout d’abord, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue sur la toute nouvelle mouture du magazine en ligne de la SOCAN, Paroles & Musique. Il semble donc très à propos que cette édition du mot du président porte sur les changements technologiques dans notre industrie. J’ai écrit sur le sujet auparavant, mais c’est une chose qui fait toujours partie de notre environnement, alors je vous invite à poursuivre votre lecture…

Chaque jour apporte son lot de nouvelles sur l’effet de la technologie sur l’industrie de la musique et celles-ci vont des prédictions apocalyptiques aux visions les plus utopiques. Oui, tout est en changement, mais, voyez-vous, le changement n’a rien de nouveau. La façon dont les gens consomment et apprécient la musique a constamment évolué depuis les pianos mécaniques jusqu’à la radio, l’apparition des 78, 45 et 33 tours, l’avènement des cassettes, des CDs, des téléchargements et, finalement, la diffusion en continu. La seule chose qui change réellement, c’est la vitesse à laquelle se produisent ces changements.

À l’aube de l’ère radiophonique, les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique croyaient que c’en était fini de leur gagne-pain parce que la radio allait tuer l’industrie des cylindres et bandes perforées destinées aux pianos mécaniques — ce qui s’est sans doute produit —, et pourtant, ils ont non seulement survécu, mais prospéré. Plus récemment, et dans un très court laps de temps, nous sommes passés d’un support physique à un format numérique, des ordinateurs personnels aux appareils mobiles, des téléchargements à la diffusion en continu, sans parler des pratiques commerciales qui, de territoriales, sont devenues mondiales. Le changement est tout autour de nous.

Les choses ne se sont pas encore placées suffisamment pour engendrer un modèle d’affaires durable.

Tout a commencé en 1999 avec l’apparition de Napster. Du jour au lendemain, l’industrie de la musique était sur ses gardes et le piratage s’est répandu comme une traînée de poudre. Presque immédiatement, en 2001, Apple s’est lancée dans le bal avec son iPod et iTunes. À la fois bénédiction et malédiction pour l’industrie, iTunes a offert une alternative légale au piratage, mais un iPod pouvait contenir plus de 10?000 pièces musicales et il y a fort à parier que peu de gens avaient déboursé 1 $ pour chacune des chansons sur leur iPod.

Difficile de croire que ces technologies et les perturbations qu’elles ont engendrées n’existaient pas il y a 15 ans, tout comme il est difficile de croire qu’après tout ce temps, les choses ne se sont pas encore placées suffisamment pour engendrer un modèle d’affaires durable. Pour toute une génération, l’apparente gratuité de la musique est tout ce qu’ils ont jamais connu.

Le piratage est devenu le démon de l’industrie de la musique et nous commençons à peine — avec l’importante pénétration de la diffusion en continu dans les habitudes de consommation — à ne plus trop nous en inquiéter. Il n’en demeure pas moins que 20 % des internautes partout dans le monde visitent des sites qui offrent de la musique qui viole le droit d’auteur. Cela dit, il y a d’autres propriétaires de contenus numériques pour qui la situation est bien plus dramatique : la musique ne représenterait que 3 % des téléchargements illégaux, tandis que les films et séries télé comptent pour 50 % (soit, il est toutefois vrai que ces contenus AV contiennent également de la musique).

Peut-être, alors, que le nouveau piratage que nous devons maintenant affronter en tant que créateurs et éditeurs provient désormais de l’intérieur. Alors que l’adoption de la diffusion en continu se poursuit à une vitesse logarithmique, les revenus que ces services devraient générer pour nous ne semblent pas vouloir se matérialiser de manière durable. Les taux destinés aux créateurs et éditeurs sont beaucoup trop bas et ce sont pour l’instant les labels qui reçoivent la part du lion des redevances tout en détenant, dans la plupart des cas, des parts majoritaires dans les plus importants services de diffusion en continu. En fin de compte, il y a une absence totale de transparence dans ce système et si certains s’enrichissent grâce à ces services, ce ne sont certainement pas les créateurs.

Prenons cet exemple récent qui a défrayé la chronique, celui de Kevin Kadish, cocréateur du méga succès de Megan Trainor, « All About That Bass ». On rapporte que Kevin n’a touché que 5679 $ pour sa part des 178 millions d’exécutions sur Pandora. De toute évidence, quelque chose cloche. Si nous voulons profiter d’un écosystème musical durable, tous les contributeurs à la chaîne de valeur doivent être rémunérés équitablement.

Je vous ai déjà parlé de Fair Trade Music, aujourd’hui une entité incorporée qui tente de s’imposer en tant que gardienne d’une certification assurant l’équité, la transparence et des pratiques éthiques et durables dans notre industrie. Pilotée par l’Association des auteurs-compositeurs canadiens (AACC) avec l’appui de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), du Conseil International des Créateurs de Musique (CIAM), de Music Creators North America (MCNA), et soutenue dans son principe par l’ASCAP et Spotify avec des contributions et le soutien de la SOCAN et de la SACEM, l’initiative Fair Trade Music (FTM) a, de toute évidence, le vent dans les voiles.

FTM travaille d’arrache-pied afin de définir un terrain de jeu équitable pour les ayants droit et les services musicaux en établissant des critères crédibles de transparence et de rémunération équitable ainsi qu’en créant une image de marque respectée afin de sensibiliser le public à l’existence de joueurs éthiques dans l’industrie, puisqu’il a été démontré par d’autres initiatives de commerce équitable que bon nombre de consommateurs préfèrent transiger avec des entités qui répondent à des critères d’équité et de durabilité, à l’instar, notamment, du mouvement pour le café équitable. Demeurez à l’affût pour plus de développements dans le dossier de FTM.

Finalement, puisque nous parlons changement, sur une note parallèle, souvenons-nous du vieil adage : « plus ça change, plus c’est pareil ». C’est avec plaisir que je peux dire qu’on m’a réélu pour un troisième mandat de trois ans à titre de président du conseil d’administration de la SOCAN lors des élections qui ont eu lieu en juin dernier. Ainsi, en compagnie de ce nouveau conseil d’administration — qui est relativement identique à son prédécesseur si ce n’est que de l’arrivée de deux nouveaux membres, l’éditeur de ole, Robert Ott, et l’auteur-compositeur Safwan Javed —, nous allons poursuivre notre collaboration avec la direction de la SOCAN pour guider notre organisation à travers cette période de changement et trouver de nouvelles opportunités afin que la SOCAN mise sur ses forces pour grandir dans ce monde en constante évolution.