Ça y est ! On vous présente notre cuvée annuelle des beatmakers de la relève à surveiller. Entre hip-hop, R&B et électro, ces cinq jeunes as de la production musicale poursuivront leur belle ascension sur les scènes locales et internationales dans les prochains mois.
KINGALEXBEATS
La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Cette locution, KingAlexBeats l’incarne à merveille. Dès son plus jeune âge, le beatmaker montréalais chantait dans le studio de son père, le producteur et ingénieur de son québéco-salvadorien Doc Filo. « Mais il a rapidement compris que j’étais davantage intéressé à la partie ‘’production’’ de la musique. Il m’a installé un ordi dans ma chambre, pour que j’aie ma propre station FL Studio (NDLR: logiciel bien connu de production musicale) et s’est assis avec moi pour m’expliquer comment faire. J’avais 9 ou 10 ans, et c’est devenu une vraie passion. Ma PlayStation, c’était mon ordinateur ! »
KingAlexBeats a maintenant 23 ans et, donc, une expérience de beatmaker déjà considérable. Dès l’adolescence, l’artiste basé à Laval s’est construit un nom sur la scène hip-hop locale, en travaillant avec le collectif et label Canicule. Sa feuille de route est maintenant enviable : il a collaboré avec une horde de rappeurs québécois bien connus (comme FouKi, Shreez, Mike Shabb, Obia le chef et Maky Lavender) sur ses deux albums, les bien nommés King et Roi à la naissance, respectivement parus en 2022 et 2024.
Autant réputé pour ses beats trap à l’énergie mordante que ses rythmiques plus pop, parfois teintées d’influences latines, l’artiste aux origines salvadorienne, guatémaltèque et équatorienne a pu compter sur un allié de taille dans les derniers mois : Alexander Castillo Vasquez, l’un des producteurs montréalais les plus célèbres à l’international, qui a oeuvré auprès de Pitbull, Nicki Minaj, Justin Bieber et bien d’autres pointures du genre.
Depuis une dizaine d’années, KingAlexBeats envoyait des messages privés à Castillo, l’une de ses idoles, en espérant un jour avoir l’occasion de travailler avec lui. Son rêve s’est finalement réalisé : Castillo lui a écrit un jour pour lui dire qu’il aimait son travail. Les deux beatmakers se sont rencontrés et ils ont travaillé ensemble sur une chanson de Shakira, Soltera. Parue au tout début de l’automne, la pièce de la pop-star colombienne est devenue un succès majeur en Amérique du Sud, dépassant en peu de temps le cap des 100 millions d’écoutes sur les plateformes numériques.
Cette collaboration ouvre évidemment des portes à KingAlexBeats, qui n’a pas mis de temps à attirer l’attention de la maison de disques d’un certain Pitbull (Mr. 305). On pourra entendre d’autres collaborations internationales de la part de l’artiste québécois cette année, mais tout demeure confidentiel.
BADMNINTO
C’est par essai-erreur que Badmninto a réussi à créer ses premiers rythmes. Avec un ami, à l’âge de 13 ans, il avait réussi à mettre la main sur une copie piratée « en six CDs gravés » d’un logiciel de production musicale. « On a essayé pendant plusieurs jours de faire sortir des sons de là », blague le beatmaker de 30 ans. « Notre intérêt (pour le logiciel) ressemblait à celui qu’on avait pour les jeux vidéo. On voulait juste s’amuser sur l’ordi. »
Le jeu est devenu de plus en plus sérieux pour le beatmaker montréalais, natif de Saint-Romuald sur la Rive-Sud de Québec. Après avoir expérimenté le vaste monde des musiques électroniques, en particulier l’electro-trash et le dubstep, Badmninto est tombé en amour avec l’univers du hip-hop.
Intrigué par la mouvance piu piu – scène hip-hop expérimentale québécoise qui a contribué à révéler, au début des années 2010, des artistes très influents comme Kaytranada et Vlooper d’Alaclair Ensemble – le jeune artiste a tranquillement défini sa palette musicale, quelque part entre trap incisif et explorations déconstruites à saveur jazz, fortement inspirées de l’étiquette californienne Brainfeeder (fondée par l’une de ses idoles, Flying Lotus).
C’est au début des années 2020 que le beatmaker s’est révélé à son tour sur la scène hip-hop montréalaise, en travaillant avec certains des rappeurs les plus intéressants de la scène alternative comme Quadracup, Paperboii et SeinsSucrer. Il a également travaillé de près avec le rappeur gabWan et le producteur Figure 8, tous deux issus du duo Omnikrom, qu’il écoutait abondamment durant son adolescence.
Au total, Badmninto a une cinquantaine de parutions à son actif. Parmi celles-ci, on note sa collaboration à la compilation franco-québécoise SYMBIOSE du réalisateur Remastered, qui le fera voyager jusqu’à Paris pour un spectacle-lancement le 19 décembre 2024. L’année qui s’en vient marquera la parution d’un album à saveur électronique axé sur les textures synthétiques et les rythmes complexes, à la fois percussifs et déconstruits, emblématiques de sa signature.
WILLY WONDER
C’est l’histoire d’un adolescent qui ignore encore l’intensité de sa passion. Un gars qui, après avoir lâché les leçons de piano (une décision qu’il regrettera plus tard), se met à écouter énormément de musique en solitaires, en pleine nuit, en essayant de décortiquer tous les sons qu’il entend. Cette histoire, c’est celle de Willy Wonder, un jeune artiste de l’ouest de Montréal qui s’impose maintenant comme l’un des plus créatifs et talentueux beatmakers de la scène québécoise.
C’est un ami qui, candidement, lui demande un jour : « Mais pourquoi tu fais pas de beats ? » Avec un autre ami, le producteur Jai Sea, Willy prend très au sérieux cette question et se met presque instantanément à explorer les nombreuses possibilités du logiciel FL Studio. Il a, à ce moment, une inspiration principale en tête : Slime Season 3, mixtape emblématique de Young Thug parue en 2016. D’abord intéressé à reproduire l’esthétique trap du rappeur américain, Willy Wonder ne mettra pas de temps à ouvrir ses horizons très grands, en formant le collectif PLAYDAYS avec d’autres artistes de l’ouest de la métropole comme le rappeur Malko. « On a commencé à faire de la musique dans le petit studio du cégep Gérald-Godin avec des speakers tout pétés », explique le Montréalais de 26 ans.
Grâce à un contact de l’entourage de ce dernier, PLAYDAYS attire l’attention de l’étiquette montréalaise Cult Nation, reconnue pour avoir lancé la carrière d’une certaine Charlotte Cardin. Après la sortie d’un premier mini-album en 2021, le collectif se dissout, mais Willy Wonder reste très près de Malko qui, lui, continuera sa carrière sur l’étiquette montréalaise.
Aujourd’hui, Willy travaille de concert avec le brillant rappeur et chanteur montréalais, l’une de nos cinq recrues rap queb de 2024, sur tous ses projets. Les deux acolytes ont un mot clé en tête lorsqu’ils créent ensemble : l’élégance. « C’est un état d’esprit, l’élégance. Et ça englobe plein de trucs : du rap avec un peu de jazz, un peu d’afro, de kompa. On puise notre inspiration partout. »
En 2025, l’artiste continuera de travailler avec son allié de longue date et présentera aussi le fruit d’autres collaborations, notamment avec le chanteur R&B montréalais Blynk. Encore sur un nuage après une session très inspirante dans un camp d’écriture à Montréal avec les Français Luidji et Aupinard, Willy Wonder désire également faire sa marque en France.
NGL FLOUNCE
NGL Flounce joue du violon depuis qu’elle a cinq ans. L’artiste française aux origines malgaches, qui a passé 12 ans au conservatoire en France, a toutefois radicalement changé de style à l’adolescence, en délaissant quelque peu la musique classique au profit du rock et du métal, deux styles qui l’ont accompagnée pendant des années. Loin d’être fermée aux autres styles, la beatmakeuse est toutefois restée très curieuse de la musique qui jouait à la maison, notamment les musiques d’origine indienne et malgache qu’écoutait son père. C’est également à cette époque qu’elle découvre l’univers colossal et complexe du pionnier de la musique minimaliste Steve Reich.
C’est cette grande ouverture qu’elle met maintenant de l’avant dans sa musique. Arrivée à Montréal pour ses études à la fin de l’adolescence, NGL Flounce a intuitivement joint le club de musique classique de son université (McGill) avant de s’immerger dans la scène électronique de la métropole. C’est en fait un projet de musique ambient expérimentale, qu’elle a réalisé dans le cadre d’un cours universitaire, qui lui a donné envie de s’initier au DJing et à la production musicale. « J’ai compris à ce moment que ça me manquait de créer. J’avais envie de me laisser aller, d’ouvrir mes horizons.»
Grâce au savoir-faire de son bon ami, le rappeur et DJ Frantz Lin, NGL Flounce a rapidement appris les rudiments du djing. Et c’est en quelque sorte grâce à la pandémie qu’elle s’est donné davantage de temps pour parfaire ses aptitudes avec le logiciel Ableton, en marge de ses études et de son travail.
L’artiste de 23 ans a maintenant une belle feuille de route sur les scènes de la métropole en tant que DJ. La compositrice se plait à collaborer avec des artistes de tous les horizons, notamment le rappeur belge Anthena (sur le remix de la chanson Le meilleur) et le chanteur montréalais d’origine mozambicaine Samito, ancienne révélation Radio-Canada (cuvée 2015-2016) NGL Flounce travaille actuellement avec Samito sur un projet artistique qui devrait voir le jour en 2025. Elle planche également sur un minialbum de compositions, au croisement du UK Garage et des musiques traditionnelles malgaches.
CHRISTIAN SEAN
Christian Sean est né en Suisse de parents américains nomades qui l’ont amené un peu partout en Europe et aux États-Unis durant son enfance. À travers tous ces changements d’environnement, la musique est restée un ancrage solide pour le réalisateur, multi-instrumentiste, chanteur et beatmaker. « Ma famille est très musicale à la base. Même si personne n’a œuvré de manière professionnelle dans le milieu, tout le monde chante. Avec ma mère, on aimait harmoniser nos voix sur des chansons. Ça m’a éveillé à toutes les composantes de la musique. »
Montréalais depuis l’âge de deux ans et demi, Christian Sean a été happé à l’adolescence par la scène rock de la métropole. Avec des amis, il forme son premier groupe à la fin des années 2000 et, rapidement, il constate qu’il est plutôt naturel pour lui d’organiser les sessions d’enregistrement et de prendre tour à tour les rôles de réalisateur, d’arrangeur et d’ingénieur de son. Inspiré par des groupes indie phares de l’époque comme TV on the Radio ou Animal Collective, il a lui aussi cette envie de mélanger envolées psychédéliques, mélodies fortes et réalisation complexe, très éclatée, pour ne pas dire expérimentale.
C’est encore ce qu’il recherche à ce jour, plus d’une décennie après la fin de son groupe rock. L’artiste de 30 ans a complètement changé de style, mais son approche, à mi-chemin entre formules accrocheuses et exploration non balisée, demeure. Il creuse admirablement son sillon sur son premier album, Hallelujah Showers, prévu pour le 31 janvier prochain sous Bonsound.
Mais Christian Sean est également un artisan de l’ombre polyvalent. En tant que beatmaker, il a fait sa marque auprès de Sophia Bel sur l’album Anxious Avoidant (2022), l’un des premiers albums québécois à avoir articulé de manière aussi fluide les mélanges entre hyperpop et pop des années 2000 – mélanges devenus plus communs depuis deux ans. Plus récemment, Sean a également mis sa touche magique à l’un des albums R&B les plus réussis de l’année : ReRun de la Montréalaise Sara-Danielle.
C’est maintenant vers le hip-hop qu’il se tourne puisqu’il travaille ces jours-ci comme beatmaker avec Kaya Hoax, nouvelle venue très intrigante sur la scène rap locale. On pourra entendre leur travail en 2025.