Quelques heures avant l’heure prévue de notre rendez-vous virtuel avec Sophia Bel, la sympathique attachée de presse de Bonsound nous souligne par courriel que la nouvelle protégée de l’étiquette montréalaise aime beaucoup discuter en entrevue de son travail de productrice (au sens anglo du terme), et qu’elle coproduit d’ailleurs chacune des pièces de son nouveau mini-album, Princess of the Dead, Vol.II.

Sophia BelBien sûr, tout à fait, avec plaisir: nous nous ferons un point d’honneur de lui en parler. Mais si ta relationniste doit préciser aux journalistes que tu comptes parmi les principales architectes sonores de tes chansons, est-ce à dire qu’il existe encore des gens ayant du mal à concevoir qu’une femme assume de pareilles responsabilités ?

« On dirait que oui », répond Sophia, en direct d’une voiture, alors qu’elle rentre de quelques jours de repos à la campagne. « L’autre fois, je me suis fait demander: Voyage astral [morceau auquel collabore Félix Bélisle de Choses Sauvages], c’est-tu Félix qui l’a fait ? Je ne veux pas enlever du mérite à ceux avec qui je travaille, je ne suis pas toute seule, mais des fois, j’ai l’impression que les gens assument que parce que je suis une femme, je ne touche pas à ça. »

Pour créer la musique ressemblant le plus possible à ce qu’elle avait en tête et dans le cœur, il était devenu impératif que la funeste princesse se mêle de cet aspect crucial de la création.

« J’avais besoin d’avoir du contrôle. Avant, quand je ne produisais pas, j’écrivais au piano ou à la guitare et j’étais à la merci de ce que certains de mes collaborateurs voulaient faire avec mes chansons. Maintenant que je prends plus de place dans la création de l’instrumentation, du vibe musical, j’ai l’impression de pouvoir aller plus au bout de ma vision. Même si bon…je sais que c’est le travail d’une vie d’aller au bout de sa vision. »

Après avoir obtenu près de 600 000 écoutes sur Spotify avec le volume un du dytique Princess of the Dead (lancé en avril 2019), Sophia Bel juxtapose sur cette suite attendue une myriade de références empruntées aux années 90, de la pulsation trance/drum’n’bass de Paralysis, première pièce instrumentale entièrement produite par l’artiste, jusqu’à You’re Not Real You’re Just a Ghost, insolent doigt d’honneur adressé à un amoureux ayant cessé de donner des nouvelles sans explication, un irrésistible brulot catapulté par un refrain jouissivement pop punk, pour lequel nous aurions voté avec enthousiasme au Top5.musiquePlus.com, à l’époque où Avril Lavigne y régnait en reine.

« Quand je niaise devant un micro, je prends souvent un ton un peu à la Blink-82. J’aime le côté relatable, honnête, du pop punk. Mais je n’avais jamais osé chanter comme ça pour vrai avant », dit-elle en se rappelant les excursions familiales en voiture, lors desquelles son grand frère prenait le contrôle de la radio, avec ses disques de Good Charlotte. Sophia aura elle-même sa propre période emo plus tard, ce qui lui méritera d’être affublée par quelques garçons mesquins du surnom de princess of the dead, qu’elle se réapproprie aujourd’hui. Rira bien qui rira la dernière.

« Quand on a écrit You’re Not Real…, je venais de me faire ghost et je vivais vraiment une grosse frustration. C’est là que CRi [parmi les principaux collaborateurs du mini-album] m’a passé sa guitare et m’a dit: Joue. Plutôt que de répondre Mais non, je ne suis pas tant bonne à la guit!, je me suis mise à jouer, il s’est mis à faire les percussions et c’est devenu le véhicule parfait pour me libérer de mes frustrations. »

Et pour se moquer un peu d’elle-même, en surjouant la colère qui l’envahissait alors ? « Oui ! Je veux toujours amener un élément qui montre que je ne me prends pas trop au sérieux. La chanson, c’est aussi une critique de moi qui ne sait pas comment communiquer. C’était comme retomber quand j’avais quinze ans et que je me sentais rejet et que j’écoutais du Fall Out Boy qui chiale. »

Le même mélange d’éclatante sincérité et de douce ironie est à l’œuvre dans Voyage astral, sa première tentative dans la langue de Ten Zen, une vaporeuse méditation trip-hop sur le retour à l’état primal que permettrait la pratique ésotérique que célèbre le titre. L’aspect le plus propre à la décennie 90 de Princess of the Dead, Vol.II tient d’ailleurs sans doute à ce butinage entre les genres musicaux, dont Beck ou Bran Van 3000 étaient passés maîtres.

« Voyage astral, c’est une chanson sur les nombreuses vies qu’on peut vivre dans une même vie, mais je trouvais ça drôle d’en parler en exagérant un peu tout ce qui peut faire penser au new age revival auquel on assiste chez les millenials et chez la Gen Z. »

Une résurgence à laquelle Sophia Bel participe elle-même, en tirant ses amies au tarot. « Pour moi, le tarot, c’est pas obligé d’être quelque chose d’ésotérique. C’est pas lire dans le futur. Peu importe ce que tu tires, c’est la façon dont tu vas interpréter les cartes qui va dire quelque chose sur ce qui se passe dans ta vie, sur ton subconscient, sur les choses qui te tracassent. Ce que j’aime du tarot, c’est que ça ouvre les discussions. C’est thérapeutique. »

Comme la musique.