Comme à notre habitude, on vous présente six jeunes as du beatmaking qui connaissent une belle ascension depuis quelques années et qui s’affairent à changer le paysage musical québécois sur les scènes hip-hop et électronique en 2023.

Chase Wav

ChaseWavCertains des plus grands producteurs québécois (Kaytranada et DaHeala pour ne nommer que ceux-là) ont connu un succès à l’international avant d’avoir une visibilité à la hauteur de leur talent chez eux.

On dirait que le même phénomène est en train de se produire avec Chase Wav, un artiste montréalais qui vient d’effectuer l’un des plus gros placements de l’année. C’est que l’une de ses compositions est devenue la chanson à succès Silver Platter, une pièce du chanteur américain Khalid, qu’on retrouve sur la bande originale d’un film indépendant à petit budget et peu médiatisé… Barbie.

Ce placement, Chase Wav le doit en partie à un ami (le producteur montréalais Jay Century) qui a fait connaissance avec l’ingénieur de son et producteur américain Denis Kosiak, bras droit de Khalid. « Jason a joué pendant un an aux jeux vidéos en ligne avec Denis. Leur relation s’est développée, et Jason lui a présenté sa musique et la mienne. À un moment donné, on m’a dit ‘’Hey Khalid a fait une chanson avec ce que t’as envoyé !’’ Quand je reçois des nouvelles de même qui sont trop grosses, je ne me fais pas trop d’idées. Ça a été un gros roller coaster, mais finalement, ça a fonctionné ! »

Sans bouder le marché québécois – il a d’ailleurs composé pour plusieurs artistes d’ici comme Zach Zoya, Naya Ali et Kallitechnis – Chase Wav sait depuis un moment que l’avenir de sa carrière se trouve aux États-Unis.

Depuis ses débuts hâtifs à l’âge de 12 ans, encouragé par son père (lui-même un producteur de R&B avec un tas d’instruments et de matériel d’enregistrement à portée de main), l’artiste a considérablement développé son univers musical et son réseau de contacts à l’étranger. Après avoir accompagné le producteur et chanteur montréalais Yonatan Ayal (du duo R&B Chiiild) à Los Angeles, les connexions se sont faites rapidement avec des artistes américains comme la chanteuse R&B Amber Mark et le rappeur DRAM. En 2016, son passage au réputé concours Battle of the Beatmakers, organisé par OVO (l’étiquette de Drake), lui a également permis de se faire nom au Canada.

Plusieurs sorties de grande envergure attendent Chase Wav dans les prochains mois, notamment avec Amber Mark et la chanteuse américaine Victoria Monét.

Funkywhat

FunkyWhat

Photo : Nader A

Funkywhat a eu une illumination il y a cinq ou six ans quand il est allé rendre visite à l’ami d’un ami, un mélomane qui avait ses murs placardés de vinyles et son appartement parsemé de MPC et de batteries électroniques. « Je l’ai vu prendre un vinyle, chop le break et l’échantillonner. J’avais toujours été intéressé à faire ça et, là, pour une fois, je voyais quelqu’un faire ça devant moi. »

C’était le début de quelque chose de gros pour l’artiste montréalais d’origine libano-marocaine, principal architecte du son de l’artiste indie R&B Magi Merlin (Bonsound). Le son qu’il propose avec la chanteuse montréalaise (ainsi qu’avec d’autres artistes comme Béli, dope.gng ou Kaya Hoax) est le résultat d’une vie passée à découvrir différents genres musicaux – d’abord la musique de ses parents, entre autres ‘’le gros soul américain’’ de James Brown, The Temptations et Ike & Tina Turner, et la musique arabe, notamment celle de la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum.

Funkywhat doit également une partie de son bagage musical à son oncle, qui l’a initié très tôt à la guitare et à certains des artistes les plus influents de l’histoire américaine, comme Jimi Hendrix, Parliament/Funkadelic et Sly and the Family Stone. Tout ce qui est rap et R&B plus moderne lui vient de son frère (le rappeur Busy Nasa). « J’ai commencé à écouter A Tribe Called Quest, The Game, Biggie… Mais c’est quand j’ai découvert le hip-hop du sud et leurs expérimentations avec l’instrumentation funk et soul que j’ai eu envie de faire des beats. »

Le jeune beatmaker fait alors ses premiers pas dans la composition durant les Loop Sessions, mythiques soirées montréalaises où tous les producteurs clés de la scène se retrouvent pour créer, échanger et partager. Suite à une de ces soirées, il se lie d’amitié avec le producteur Senz Beats, qui lui donne un MPC défectueux. C’est avec cet instrument partiel qu’il poursuit son évolution musicale pendant quelque temps.

Une évolution qui, depuis, le pousse constamment vers des zones inusitées, novatrices, en particulier dans l’univers du R&B, terrain de jeu qui lui permet d’expérimenter, en flirtant avec la house et le hip-hop notamment.

Majosty

Majosty

Photo : Rondo Banks

Originaire de la Martinique, Majosty est d’abord et avant tout un mélomane. Il a analysé de fond en comble le R&B, le funk et la soul des années 1970, avant de se mettre à composer de la musique. Son éventail musical est toutefois beaucoup plus large que la musique américaine, et tout ça paraît maintenant dans son oeuvre : « J’ai été énormément influencé par la scène de chez moi dans les Caraïbes, donc le dancehall jamaïcain, le zouk, le kompa, sans oublier des artistes (…) comme Kalash ou Admiral T. »

C’est en 2013 que Majosty débarque pour une première fois au Québec. Il passe trois ans ici à étudier l’administration et les communications, avant de retourner chez lui.  C’est là-bas que son avenir se trace davantage. Comme si, tout d’un coup, toutes ses années passées à écouter de la musique avaient convergé vers un but précis. « Pendant un an, je passais au minimum 10 heures par jour sur Logic. C’est pas bon pour la santé, mais c’est bon pour progresser. »

C’est donc avec une toute nouvelle idée en tête qu’il revient à Montréal. Cette fois, il se dirige vers l’école Musitechnic pour apprendre les rouages du son et de l’enregistrement. Au passage, il se fait plein de contacts, en particulier des producteurs d’ici qui commencent alors à se faire un nom, comme KNY (de Banx & Ranx) et Neo Maestro (connu pour son travail avec Rymz notamment).

Depuis, Majosty a peaufiné son style, en explorant différents genres musicaux qui le passionnent, autant le rap et tous ses dérivés contemporains que l’afrobeat, le synthwave et, évidemment, le R&B. En travaillant aux côtés d’artistes de premier plan de notre relève (David Campana, Odreii, Nissa Seych, Shah Frank, Naomi), il amène de nouvelles couleurs à la pop québécoise.

Birdzonthetrack

BirdzonthetrackBirdzonthetrack serait entré au conservatoire s’il avait suivi le chemin auquel il était prédestiné. Sa mère l’a inscrit au piano classique dès l’âge de six ans, mais après toute une enfance à pianoter, l’artiste originaire de l’est de Montréal a senti qu’il avait fait le tour de la cassette. « Je commençais à être un peu tanné de tout ça. C’était trop calculé pour moi. Ça laissait pas de place à ma créativité. »

C’est vers le beatmaking qu’il se tourne à l’adolescence. Il regarde des vidéos de Future sur YouTube – des vidéos dans lesquelles le rappeur américain montre comment il fabrique ses beats. Le jeune Montréalais est inspiré. Dès le début de ses études collégiales, en 2017, il installe FL Studio sur son ordinateur et commence à composer ses propres musiques, inspirés par d’autres producteurs aux tutoriels populaires comme Alex Beat Genius.

Le premier artiste à qui Birdzonthetrack ose envoyer un beat, c’est nul autre que White-B. Le rappeur, qui connait alors un début de carrière prometteur, est en train de préparer son minialbum Blacklist, et il fait confiance au jeune producteur pour la réalisation de quelques chansons. Au passage, Lost (collègue de White-B dans le collectif 5sang14) se montre intéressé à sa musique. À peine un an après ses débuts sur FL Studio, le premier placement de Birdzonthetrack était fait : c’était celui de Bandito Story, chanson à succès de Lost parue en 2018.

Depuis, le producteur a fait son chemin sur la scène locale, collaborant avec plusieurs des rappeurs de la scène comme Shreez (Disques 7ième Ciel), Jeekay et Rosalvo. Grâce à ses contacts de plus en plus nombreux, il envisage également une percée du marché français. Récemment, il a collaboré avec des rappeurs connus de l’Hexagone comme LKS et Timal.  « Le moment où j’ai commencé à voir la musique comme une vraie carrière, c’est quand j’ai vu que je pouvais avoir des connexions en France. J’ai réussi à en faire quelques-unes, en restant à Montréal, mais là, je pars là-bas, directement sur le terrain, en novembre. »

Les influences trap emblématiques de ses premières productions ont maintenant laissé place à une plus grande diversité de styles, comme l’afrobeat, l’amapiano et la house. Et curieusement, c’est également la musique classique qui l’interpelle dernièrement. « J’écoute beaucoup de Mozart, de Beethoven, de Bach… »

Comme quoi les cours de piano classique étaient peut-être plus utiles que prévu.

Sarah Bergeron

Sarah BergeronSarah Bergeron sort d’un coma. La productrice montréalaise d’origine gaspésienne a eu l’impression que sa tête allait exploser il y a quelques semaines. Elle est donc rentrée d’urgence à l’hôpital pour traiter un important problème neurologique.

Elle va mieux maintenant. Son enthousiasme à peine contrôlé au téléphone en témoigne. Et on devine assez rapidement que cet enthousiasme n’est pas nouveau dans sa vie. Sarah Bergeron a de l’énergie à revendre.

Ses débuts musicaux remontent à l’enfance, alors qu’elle se met à emprunter la guitare de son père, inspirée par la musique qu’il écoute, notamment du Elvis Presley et du Emerson, Lake and Palmer. Elle suit des cours de guitare et, dès l’adolescence, ses horizons musicaux s’ouvrent : Sarah Bergeron écoute autant du John Coltrane et du Dead Kennedys que du rock progressif ou du Biggie.

Puis, il y a environ 10 ans, elle entend une chanson EDM qui marque son esprit : Animals du Néerlandais Martin Garrix. « Là, je me suis dit : ‘’Oh my god ! Je dois vraiment apprendre à produire de la musique !’’ J’étais captivée. J’ai installé FL Studio, et je me suis lancé là-dessus en débile. J’ai passé des heures incroyables à apprendre ça. »

Cinq ans plus tard, elle rencontre un gars dans un bar, un producteur du (sur)nom de Kriz Voogoel, qui a un studio avec un autre producteur montréalais, Godfatha Beats. Les deux compositeurs deviennent en quelque sorte les mentors de Sarah Bergeron. De surcroît, ils ouvrent la porte à ses premiers placements, avec des rappeurs bien connus de la métropole comme Cupidon et Lebza Khey (Seiha Studios).

Depuis, Sarah Bergeron a bel et bien pris son envol sur la scène montréalaise, collaborant notamment avec le rappeur Raccoon (Disques RER) et la chanteuse pop Carlyn (Indica Records). Après son été au repos, elle revient en lion en participant à un battle de beatmakers, prévu pour la fin du mois d’août dans le cadre du festival international de street dance JOAT à Montréal.

Simon Skylar

Simon SkylarC’était un jour banal dans la vie de Simon Skylar. Il avait huit ans, et ses parents lui avaient dit, en l’accompagnant à l’école : « On a une surprise pour toi ! » Comme n’importe qui de son âge, il s’attendait à un Nintendo, mais c’était loin d’être ça. « Je suis arrivé chez nous, et il y avait un piano dans le salon ! C’était particulier, car personne ne jouait de la musique chez nous. »

Le jeune Simon se met à suivre des cours de piano, mais le vrai coup de cœur musical arrive quelques années plus tard, au début de l’adolescence. Un ami lui montre le logiciel Virtual DJ, ce qui le motive de manière presque obsessive à construire des mixtapes. « Mais bon, à un moment donné, je me suis dit que ça serait cool de mettre mes propres tounes sur les mixtapes J’ai commencé à faire mes beats sur Garage Band et, ensuite, Logic. La première fois que j’ai ouvert ça (Logic), je me suis dit : ‘’OK, c’est ça que je fais de ma vie, je deviens producer!’’ »

Au départ, la musique de Simon Skylar suit la parade de l’électro et du EDM, teintée par le son des DJs américains et européens en vogue dans les années 2010 comme Mord Fustang, Wolfgang Gartner et, évidemment, Avicii. « Au début, ce que je faisais, c’était très loud, très technique. Je changeais de son aux demi-secondes. Avec le temps, tout s’est simplifié un peu. Je me concentre sur de la musique qui est l’fun à écouter… pas juste le fun à faire. »

Dans les dernières années, les horizons de Skylar se sont grandement ouverts, notamment au hip-hop, au R&B et à la pop québécoise. Épaulé par le populaire producteur local Domeno, Skylar a participé, à titre de producteur additionnel, à des chansons de Marc Dupré, Ludovick Bourgeois et Anthony Kavanagh.

Il vise maintenant le marché américain. En créant des boucles musicales pour la plateforme Cymatics, qui utilise par la suite ces échantillons pour garnir ses nombreux ‘’samplepacks’’ (des paquets d’échantillons destinés à être distribués à différents producteurs internationaux), Skylar a collaboré, en 2021, à la chanson Miss the Rage des rappeurs américains Playboi Carti et Trippie Redd.

Et, encore plus impressionnant, Simon Skylar vient tout juste de signer un contrat, qu’il désire garder secret, avec l’un des producteurs américains les plus acclamés de l’histoire du hip-hop.