« J’ai beaucoup maturé dans les deux dernières années. Ça se ressent dans ma musique », explique White-B au bout du fil.

Sans être un virage à 180 degrés, son deuxième EP Double Vision a effectivement quelque chose de plus posé et de plus profond que le reste de son œuvre. « J’m’étais un peu écarté », admet-il, quand on lui parle de son prédécesseur Blacklist, paru il y a près de deux ans. « Je me concentrais trop sur le vibe. Pas assez sur les paroles. Là, je voulais retourner aux bases. »

Ainsi, Double Vision rappelle davantage l’esprit brut de Confession risquée, sa première mixtape, que l’approche plus lisse de Blacklist, un projet éclectique avec certaines parenthèses pop. Mis à part Toxique, « un beat qui peut s’écouter dans un club et qui peut aller chercher un peu tout le monde », cette nouvelle offrande est du White-B pur et dur : des beats trap, des textes simples, des punch lines percutantes et un flow mélodieux précis, capable de moduler son intensité avec une impressionnante aisance.

Mais les comparaisons avec le White-B des premiers temps s’arrêtent ici. Sur ce troisième projet solo en carrière, le membre du collectif 5sang14 affiche une direction artistique plus concise, homogène et raffinée, fruit d’une collaboration avec des producteurs de talent comme BirdzOnTheTrack, Alain et Ruffsound. Le terrain de jeu était propice pour que le rappeur se livre avec une émotion plus vive qu’à l’habitude, se détachant quelque peu des récits incisifs de la rue. De là la « maturité » dont il parle.

« La différence majeure, c’est que, maintenant, je vis de ma musique. C’est peut-être pour ça que je parle moins [de la rue] ou, du moins, que j’en parle de manière moins crue. Je regarde ça de loin, en sachant que c’est impossible que je retourne vers ce bord-là. »

White-B se confie à plusieurs reprises sur le mini-album, notamment sur Traine en bande, prenante ouverture. « Mes pensées sont noires / Gothiques », lance-t-il, signe que les deux années qui viennent de s’écouler n’ont pas été aussi roses que pourrait le laisser croire son immense succès. « Y’a des soirs où je suis incapable de m’endormir. Je pense à plein de choses. Mon esprit est noir », révèle-t-il. « Ce que les gens savent pas, c’est que je suis en probation depuis 2017. Un peu comme si j’étais en prison, mais de chez moi. En raison de mon statut spécial [de musicien], j’ai le droit de sortir, mais accompagné de certaines personnes seulement. Toutes ces choses-là finissent par avoir un poids sur moi, même si ma carrière va bien. »

À l’autre bout du EP, la chanson Maman ça ira évoque aussi cette situation particulière. « Le nuage noir au-dessus de moi depuis quelques années, ma mère aussi, elle le vit. Je compte même plus les dates de cours auxquelles elle m’a accompagné. Mais ce qui est bien là-dedans, c’est qu’elle voit mes efforts. J’ai 25 ans, je viens d’acheter ma première maison et, d’ici deux ans, je veux acheter un duplex pour l’installer elle et mon frère. Elle me voit aller et elle sait que mon passé est loin derrière moi. Elle a vu tous les côtés de la médaille et jamais, elle m’a dit d’arrêter la musique. Au contraire, elle m’a toujours dit de go for it. »

White-B À l’instar de beaucoup de rappeurs au parcours tortueux, c’est l’ambition qui permet à White-B de ne pas sombrer. Cette constante motivation à se surpasser est au cœur des thématiques du EP, autant à travers ses portraits empreints de résilience que ses odes au rêve américain et à l’argent. « L’ambition, c’est ce qui me guide. Beaucoup de gens ont essayé de m’écraser, mais au lieu de m’en plaindre, je prends ça comme une motivation. Rendu là, personne ne peut m’arrêter. »

La situation est très différente de celle d’il y a quelques années. Alors qu’il accumulait pourtant les centaines de milliers de vues sur YouTube, le rappeur devait vivre avec les annulations de concerts répétées de la part de promoteurs frileux, influencés par les mises en garde des forces policières. On invoquait notamment le public cible, jugé peu recommandable, du rappeur et de ses acolytes.

Le rapport de force a changé quand White-B et son équipe ont commencé « à faire affaire avec des promoteurs sérieux ». En 2018, le spectacle de 5sang14 présenté à guichets fermés au Club Soda a marqué un avancement notable pour la florissante scène du street rap montréalais, une étiquette qui est loin de faire l’unanimité auprès de ses principaux représentants.

« Même là, les policiers ont essayé de faire peur aux gars de la salle… Mais la demande était tellement grande [qu’ils n’ont pas succombé aux pressions] », soutient-il. « Tu ne peux pas arrêter une machine qui est en marche. »

L’année suivante, le passage de 5sang14 aux Francos de Montréal dans un MTelus bondé a confirmé le phénomène. Et depuis, le collectif a signé avec l’une des plus grandes étiquettes hip-hop de la province (Joy Ride Records), accumulant au passage les millions de vues et d’écoutes en continu. Dans les dernières semaines, on a d’ailleurs remis à White-B deux singles d’or pour ses chansons La folle (avec Capitaine Gaza et MB) et Mauvais garçons – un honneur décerné pour l’équivalent de 40 000 singles vendus (soit 6 millions de streams sur les plateformes). « Et y’en a d’autres qui s’en viennent », promet-il.

La prochaine étape : l’exportation. « J’veux mettre le drapeau du Québec au top de la tour Eiffel », lance le rappeur québécois sur Traine en bande.

« La tour Eiffel, c’est le symbole. Oui, le but, c’est d’amener ça en France, mais aussi en Afrique. C’est le continent qui fait que le rap francophone est aussi populaire en ce moment », nuance-t-il. « Je veux que notre drapeau et notre scène locale soient reconnus au même niveau que les autres scènes rap francophones du monde. On n’a pas encore le crédit qui nous revient… mais c’est juste une question de temps. »