« Does this make me a Grammy-nominated producer??? » (librement : « est-ce que ça veut dire que je suis un producteur en nomination aux Grammys ? »), tweetait le producteur audionumérique torontois FrancisGotHeat le jour où les finalistes des Grammy 2021 étaient dévoilés. Évidemment, le jeune homme de 24 ans était faussement pudique — il sait qu’il fait partie de la nomination pour le Grammy du meilleur album reggae pour son travail sur la chanson de Skip Marley, « Higher Place ».

Racquel Villagante, FrancisGotHeat, Camille Mathews, SOCAN

Racquel Villagante, FrancisGotHeat, Camille Mathews

Connu principalement pour ses productions hip-hop depuis quelques années, le producteur admet tout de même qu’il a été surpris que cette nomination vienne dans la catégorie reggae. Il a néanmoins accueilli à bras ouverts le processus de création « assez fou merci » de cette pièce et il attribue sa participation à sa connexion avec Malay, un producteur de Los Angeles qui a atravaillé avec Frank Ocean, John Legend et Alicia Keys, pour ne nommer qu’eux.

« [Malay] aime m’impliquer de plusieurs des projets sur lesquels il travaille », dit FrancisGotHeat. « Je lui avais envoyé ce “beat” peu de temps avant. Il a pris un élément du “beat” en question et il a tricoté ses mélodies autour de ça… Puis il me l’a retourné, j’ai ajouté des percussions, du 808 et de la basse ; c’est tout ce dont le morceau avait besoin. Je retourne ça à Malay qui, pendant tout ce temps, est en studio avec Skip qui l’a entendu, a attrapé au vol et il qui m’a contacté sur FaceTime immédiatement pour me dire que j’étais en feu, et tout ça. Ça s’est fait de manière très naturelle même si on n’était pas dans la même pièce. »

La relation professionnelle de FrancisGotHeat, par l’entremise de son contrat avec Malay, signifie qu’il a également des crédits de production pour des artistes pop comme Zayn et Lykke Li, et il croit que cette expérience lui a permis d’élargir ses horizons créatifs. « C’est ce que j’aime de travailler avec lui, il ne fait jamais du hip-hop ou du R&B, ce que moi je fais la plupart de temps », explique Francis. « Ça signifie qu’il repousse constamment mes limites et qu’il m’oblige à avoir un encore plus gros son que celui que j’ai maintenant. Ça me pousse à toujours essayer de nouveaux trucs que je n’essaierais pas autrement. »

FrancisGotHeat s’est d’abord fait connaître comme producteur hip-hop grâce à ses sonorités « ambiantes et lugubres », dans ses propres mots, et en signant des productions pour des artistes locaux comme Tre Mission et Roy Woods avant de faire une percée majeure en signant la chanson « 4422 » de Drake mettant en vedette Samphasur le projet More Life. Ce succès est venu après avoir passé du temps et créé des connexions cruciales dans The Remix Project.

« Je passe probablement plus de temps à jaser avec les gens qu’à créer un “beat” lors de mes “streams »

C’est dans ce « hub » créatif de renom qu’il a peaufiné son amour du hip-hop grâce à son expérience de multi-instrumentiste et qu’il a renforcé sa relation de travail avec Wondagurl qu’il a rencontré à l’adolescence, dans le cadre des Battle of the Beatmakers de Toronto où ils se sont engagés dans un long face-à-face. Francis croit que c’est lors de cette soirée que la scène musicale torontoise a été prévenue de tout le potentiel de la jeune productrice qui n’avait alors que 15 ans.

Depuis, FrancisGotHeat et Wondagurl ont travaillé sur des pièces par des poids lourds comme Big Sean et Eminem (« No Favors »), Bryson Tiller (« Blowing Smoke ») et Lil Uzi Vert (« Feelings Mutual »). « Elle va me demander une vibe en particulier, ou je vais tout simplement commencer à jouer quelque chose », explique FracisGotHeat. « Puis, à un moment ou un autre, elle va s’écrier “Oh ! ça c’est ‘dope’ !” et je vais continuer dans cette direction. Quand je pense que c’est prêt, je lui envoie et elle fait son truc. Travailler avec Wondagurl est ce qu’il y a de plus facile au monde. »

Comme tout le monde, FrancisGotHeat a ressenti l’impact de la COVID-19 sur la facilité de son processus créatif. Au début du confinement en Amérique du Nord, il a fait comme de nombreux producteurs et DJ et il s’est manifesté sur Instagram. Mais ensuite, se sentant limité par les créneaux horaires d’une heure, il a fait le saut vers Twitch après avoir vu ce que le producteur Kenny Beats faisait sur la plateforme.

« J’ai décidé de tenter ma chance, car c’était le seul autre producteur sur cette plateforme, essentiellement », dit-il. « En plus, le son est bien meilleur sur Twitch et ils peuvent voir la totalité de mon écran. Et je peux vraiment discuter avec les gens sur cette plateforme. Je suis très très timide, alors le simple fait d’essayer ça, pour moi, ç’a été vraiment bizarre, au début. J’avais des attentes très basses lors de mon premier “stream”, et 30 personnes se sont connectées. Je me suis dit “Wow ! tu sais quoi, je vais continuer à faire ça”. »

Au cours des derniers mois, FrancisGotHeat a gagné en confiance à mesure qu’il gagnait en popularité et compte désormais souvent plus de 1000 spectateurs durant ses « streams » où il présente son processus créatif à son auditoire et accueille d’autres artistes comme Jessie Reyez et Anders, avec qui il collabore souvent, pour des séances de création.

Qui plus est, pour FrancisGotHeat, ces « streams » sont également une occasion de donner au suivant. Il a récemment organisé Heat Check, un concours de création musicale où il donnait des logiciels de production musicale aux trois meilleurs participants et il a également amassé des fonds pour des organismes caritatifs. Quelques jours après sa nomination aux Grammys, il a été l’hôte d’un concours de remix avec de nombreux prix qui a été l’occasion d’entendre un nombre impressionnant de remixes d’une chanson du chanteur Angeleno NEVRMIND par des producteurs audionumériques émergents.

Tout au long de l’événement, Francis est demeuré humble et toujours accessible pour tous les membres de l’auditoire et les autres producteurs qui participaient à l’événement en ligne. Bien qu’il offre des opportunités aux beatmakers en devenir, il est évident que FrancisGotHeat tire autant du processus qu’il en met. « Je passe probablement plus de temps à jaser avec les gens qu’à créer un “beat” lors de mes “streams” », affirme-t-il. « Le truc qui revient le plus souvent c’est que les autres producteurs audionumériques ne leur parlent pas durant leurs “streams”. Je trouve ça étrange, parce que la principale raison pour laquelle je suis sur cette plateforme, pour pouvoir leur parler et répondre à leurs questions. »  Il a d’ailleurs fait preuve de la même ouverture à propos de ses productions lors de son passage au panel « Cooking Beats » de la SOCAN en 2018 dans le cadre de la Canadian Music Week.

Aujourd’hui, à l’ère de la pandémie, FrancisGotHeat considère que ses séances de « streaming » font partie intégrante de son travail, malgré sa réticence initiale : « Ils [Twitch] étaient vraiment sur mon dos à ce sujet », dit-il. « Du genre “Yo ! tu ne peux pas le faire juste une fois, il faut que tu sois cohérent. Tu ne vas pas constater des résultats en une seule semaine, ça va prendre du temps…” Puis, après environ un mois ou deux, je suis devenu vraiment à l’aise avec ça. Maintenant, c’est tout naturel. »