En 2019, Jonah Guimond prenait une pause de son travail sur la construction en Nouvelle-Écosse pour venir à Montréal, participer à la finale des Francouvertes sous le nom P’tit Belliveau. Un contrat avec une maison de disque en poche, il a ensuite conquis le Québec et les Maritimes avec ses deux premiers albums. Cinq ans plus tard, il fait le choix de l’indépendance et devient fier artiste-entrepreneur, au moment où il revient vers son public avec son troisième album, simplement intitulé P’tit Belliveau.
« Je ne peux pas tout dire par rapport à ma décision de quitter mon label, mais ce que je te dirais par rapport à l’indépendance, c’est que maintenant, les grosses décisions, je ne me casse pas la tête avec, je les prends juste », soutient Jonah Guimond.
Le Néo-Écossais considère s’être toujours impliqué largement dans toutes les étapes de la production de ses albums, ce qui fait en sorte que la nouvelle méthode ne lui est pas complètement étrangère. « J’ai toujours fait mes pochettes et j’étais toujours présent pour les décisions de production, ajoute-t-il. J’ai encore une petite équipe que j’ai choisie moi-même, mais les décisions se prennent beaucoup plus vite et je peux être spontané. »
Il fait ainsi partie des musiciens qui sont désormais accueillis, depuis février, au sein de La Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec et artistes-entrepreneurs (SPACQ-AE).
« Je ne me pose pas beaucoup de questions par rapport à ce que ça veut dire, être indépendant. Je suis pas mal juste en train de vivre dans le moment », souligne l’artiste. Pour lui, l’aspect le plus intéressant et le plus stimulant est de décider ce qu’il va faire lui-même et ce qu’il va déléguer. « Par exemple, j’adore faire le booking donc ça, je le fais moi-même, lance-t-il. J’aime la négociation et la logistique de la tournée. Mon cas à moi est vraiment particulier. Mon band reste en Acadie, on vient de loin. C’est une grosse demande, faire faire le booking de ça par quelqu’un de Montréal. C’est tout un casse-tête. »
Comme son projet musical n’est plus en développement et que, lorsqu’il négocie, il est rarement en train d’essayer de convaincre son interlocuteur que son projet vaut le coup, il remarque que cette tâche est assez facile.
« Ce n’est pas du vrai booking, dans le sens que la plupart des salles que je contacte sont fières de me parler et on s’entend juste sur un prix. Je n’aurais pas fait cette tâche-là moi-même pendant mon début de carrière », confie-t-il. Il ne pense pas que l’indépendance lui donne accès à plus d’argent, mais il se rend compte que l’argent « peut être disponible en plus grande quantité pour des choses qu’on veut vraiment ». « Il y a des parties de la job qui me passionnent quasiment autant que la musique. Il faut aimer l’administration autant que la musique pour être bon, soutient Jonah. Si tu veux juste faire de la musique, ne deviens pas indépendant. Tu vas être malheureux. »
L’importance calculée des choix de vie
Au moment de participer aux Francouvertes en 2019, Jonah a pris deux jours de congé de son travail en construction pour aller participer au concours. « J’étais tellement détaché du monde que je vis dedans aujourd’hui. C’est comme si aujourd’hui je prenais quelques jours off de ma job de musicien pour penser à devenir astronaute », dit-il en riant.
L’entrepreneuriat en construction faisait partie de ses plans à l’époque, pour un jour avoir une plus grande liberté et « travailler moins dur ». « Aussi, si tu venais chez moi, à Baie-Sainte-Marie, tu comprendrais que les choses, tout le monde les font eux-mêmes parce qu’il n’y a pas de business pour ce que tu veux, la plupart du temps. Il y a une quincaillerie et une épicerie et ça nous amène à avoir un esprit de débrouillardise qui est important maintenant que je m’occupe de mon projet de musique moi-même. »
Ça fait longtemps que P’tit Belliveau pense sincèrement que la clé d’une carrière en musique, ce sont les spectacles. « On se cause beaucoup de stress à s’imaginer un monde où on vend des vinyles et des CD et que Spotify nous paye plus, complète-t-il. Moi, ça fait longtemps que je ne pense plus à ça. Je pense juste que les shows, c’est la business. Vendre des t-shirts, c’est la deuxième partie de l’industrie. Le reste, c’est juste des petits bonus de rien. »
Par respect pour le public qui remplit ses salles, P’tit Belliveau tient donc à jouer toutes les chansons qui l’ont mené là où il est aujourd’hui. « On ajoute tout le nouveau matériel aussi, explique-t-il. On veut quand même se donner de la place pour l’improvisation, l’inattendu et le randomness. À la fin de la journée, c’est juste un rock show avec du petit fun secret stuff ». Si une blague est ajoutée spontanément et qu’elle fonctionne bien, elle fera partie du spectacle suivant. C’est toujours un « work in progress ». Construire, il sait ce que c’est et ça fait longtemps qu’il construit.
« Tu sais, avant, ma job, c’était de construire des maisons. Puis quand tu vas en avant de la maison que t’as construite, dix ans plus tard, et qu’elle est toujours là, tu sais que tu as fait un bon travail. Pour nous autres, c’est la même affaire : on a travaillé fort pour avoir des salles pleines, mais c’est aussi ça qui nous pousse à faire notre job comme il faut », raconte l’artiste.
Commencer par la fin
Le premier album de P’tit Belliveau s’appelait Greatest Hits Vol. 1 (2020). Depuis, il y a eu Un homme et son piano (2022), puis le long-jeu paru le 26 avril 2024, un album homonyme. On peut dire que Jonah a fait à sa tête et que sa tête aime faire les choses à l’envers.
« Je sais que de faire un album qui s’appelle P’tit Belliveau, c’était plus une affaire de premier album, mais en même temps, je pense que mon premier disque va vraiment être le préféré de beaucoup de mes fans pour toujours, peu importe, donc ça a du sens que c’était le Greatest Hits », explique-t-il.
Avec son nouvel album fuchsia arborant une grenouille, Jonah a l’impression de mettre entre nos mains l’album qui lui ressemble et grâce auquel il comprend enfin complètement son projet. « Ça représente quasiment un nouveau début, un nouveau chapitre, un nouveau livre. Je pense que j’avais besoin de me mettre des limites avant. Si j’avais commencé avec mon frog album, les gens auraient trouvé ça trop vaste et trop éclectique. » Il pense néanmoins être capable d’aller encore plus loin dans ses folies à partir de maintenant. « J’étais dans une cage pendant longtemps, ajoute-t-il. J’ai essayé d’enlever la cage, mais je ne suis pas ready de complètement y aller. »
L’étiquette « pop » est celle qu’il choisit pour décrire l’ensemble de la nouvelle œuvre, « parce que la pop c’est moins un son et plus une mentalité », croit-il. « Le monde peut utiliser la pop d’une manière cynique, et dire que c’est juste essayer d’être common denominator et essayer de faire ça dumb pour tout le monde. Mais pour moi, le concept de pop, ce n’est pas essayer d’être accessible, mais c’est ne pas essayer d’être inaccessible. »
« Le vent du nord est fort, mais point plus fort que moi », chante joliment P’tit Belliveau sur la chanson L’église de St. Bernard. « Je pense que c’est ma préférée parce qu’elle ressemble à ma manière de faire des chansons au début, quand je conduisais en revenant de la job, je ne m’assoyais pas pour écrire, je chantais juste dans mon char », se souvient-il. Beaucoup de ses chansons favorites sont celles qui sont « zéro deep » et qui s’arrêtent au premier degré. « Mine de rien, c’est dur de créer une chanson comme ça, une chanson simple qui fonctionne », ajoute-t-il.
Musicalement, il a une préférence pour « la trilogie de la frog » : The frog swamp, The secret life of frogs et The frog war. « Je considère ça comme une seule grosse chanson dans laquelle j’ai mis plein d’affaires que je ne me permettais pas de mettre sur mes albums avant », explique P’tit Belliveau.
La frog se retrouve d’ailleurs sur la pochette de l’album, une simple photo de grenouille, prise par Jonah et surmontée du logo death metal de P’tit Belliveau : « I don’t know pourquoi. C’était juste cool, s’amuse-t-il. J’avais pris une photo d’une grenouille dans l’étang chez nous. Avec mon logo, je me suis dit que c’était peut-être une miette too much, peut-être une miette too stupide. Mais finalement c’était exactement ça que je voulais. »