« De nombreux musiciens rêvent de composer des trames sonores pour le milieu du cinéma ou de la télévision. Je les comprends. Le boulot est fascinant. La paye est bonne. Mais ce n’est pas seulement votre talent de compositeur qui vous mènera loin dans ce métier. »
Même si elle provient de James Gelfand, dont le cv inclut la musique de 60 films (Pinocchio 3000, Cyberbully, Swamp Devil) et de 200 épisodes de séries télévisées, (Sous un ciel variable, Jack Paradise, Virginie, Crusoe), l’affirmation surprend. Assis devant son piano, un instrument qui l’a mené sur les planches des plus grands festivals de jazz au monde, le musicien parle rapidement. Les idées se bousculent. Ses réponses prennent moult détours. « Je n’ai pas trop de filtre lorsque je donne des entrevues, remarquera-t-il au cours de l’entretien. Je sors tout ce qui me passe par la tête. »
« Lorsqu’un producteur te donne ses commentaires, tu l’écoutes et tu acquiesces. »
À 55 ans, le musicien montréalais, lauréat de plusieurs prix de la SOCAN, jette un regard lucide sur son travail. Sa franchise a de quoi éclairer les futurs John Williams de ce monde : « Ce qui vous mènera loin dans le métier, c’est votre capacité à décrypter un scénario, à saisir la psychologie des personnages, l’émotion des scènes, la tension dramatique du récit. Il vous faut établir une connexion avec le réalisateur et comprendre son film sans même l’avoir vu. Mais surtout, il faut savoir que dans ce job, on ne se satisfait pas soi-même. Les attentes des clients passent avant tout, » analyse celui qui compte parmi les siens des producteurs d’envergure tels ceux de HBO, PBS, NBC, Lionsgate et Lifetime.
« Il m’est arrivé de travailler sans relâche sur la musique d’un film dans le seul but d’être original. Je me creusais la tête pour pondre quelque chose de différent, de plus poussé. Lorsque j’ai enfin présenté mon travail au réalisateur, il m’a demandé de revenir à quelque chose de plus accessible. J’étais déçu, mais je n’ai pas bronché. Je ne m’obstine pas beaucoup avec les clients. Lorsqu’un producteur te donne ses commentaires, tu l’écoutes et tu acquiesces. Il faut savoir choisir ses batailles. Je suis donc retourné le voir avec une trame sonore plus simple, voire cliché. Il a adoré. »
Ce jour là, James Gelfand a compris qu’à titre de compositeur, son sentiment d’accomplissement lui viendrait davantage de ses projets personnels. En plus d’avoir collaboré à une trentaine d’albums, le pianiste récipiendaire d’un JUNO et de nombreux prix Jazz Report a lancé huit disques sous son propre nom. « Je ne pensais pas écrire de trames sonores au départ. C’est lors d’un concert corporatif que j’ai donné à la fin des années 80 qu’un type m’a abordé. Il produisait des vidéos corporatives et avait parfois besoin de musiciens pour composer des thèmes. Il m’a engagé sur un projet. Peu de temps après, Michel Donato (avec qui Gelfand a lancé l’album Setting The Standard en 1996) m’a demandé de collaborer à la musique du téléroman Sous un ciel variable. Ma carrière était lancée. »
Il suffit de survoler l’œuvre de Gelfand pour prendre la mesure de sa polyvalence : des orchestrations épiques du film d’action Exploding Sun à la pop pour enfants de la série The Mysteries of Alfred Hedgehog, le registre du compositeur est vaste. Il a même touché à la musique électro pour la série documentaire Naked Science diffusée au National Geographic Channel. « C’est l’autre grande clé du succès dans le milieu de la trame sonore. Il faut maîtriser tous les genres musicaux pour se garder le plus de portes ouvertes. Si tu ne touches qu’à un genre en particulier, tu seras vite étiqueté et tu perdras des contrats. Lorsque j’étais jeune, j’étudiais le jazz, mais je pratiquais la musique classique à la maison. J’ai ensuite joué dans des groupes de rock à l’adolescence. J’ai même été musicien accompagnateur pour des artistes pop. Il faut rester ouvert d’esprit. Savoir improviser dans n’importe quel style est primordial. »
Gelfand parle en connaissance de cause. Au cours des deux derniers mois, il a travaillé sur trois projets bien différents. En plus de la trame sonore du film de Noël North Pole, il a co-écrit avec sa femme, la pianiste Louise Tremblay, la musique du thrilleur psychologique Forget and Forgive et celle de The Prodigal Son, un dessin animé biblique 100% musical. « Il y a des semaines où je ne dors pas beaucoup, mais au moins, je n’ai pas l’impression de me répéter. » Alors, toujours envie de devenir le prochain Morricone?