Guessmi et Malko sont des artistes difficiles à catégoriser, quelque part entre rap, R&B et afropop. Bref, ils sont l’incarnation même de la relève rap québécoise actuelle. Rencontre avec ces deux artistes talentueux, en prévision d’une vitrine SOCAN présentée dans le cadre des Rendez-Vous Pros des Francos de Montréal, le 20 juin, à 17h.

Même si ça ne fait même pas trois mois qu’ils se sont rencontrés, il y a une chimie palpable entre Guessmi et Malko – une chimie qui s’installe dès le début de l’entretien.

Malko

Malko

Malko se souvient d’ailleurs de cette première rencontre, il en a même noté la date : 22 mars 2024. C’est son acolyte de longue date et producteur Astro qui l’avait mis en contact avec la rappeuse de Laval. « Astro, c’est un A&R, un chasseur de têtes. Il voit des talents à Montréal et les connecte entre eux. »

Astro n’est pas le seul à les avoir repérés : Guessmi faisait partie de nos cinq révélations rap québécoises en 2023, tandis que Malko, lui, fait partie de la cuvée de 2024. Les deux artistes ont un bagage musical riche, et ça parait. Ils n’ont pas peur d’explorer, de repousser les limites autrefois très hermétiques du hip-hop. Alors que Guessmi alterne entre rap et R&B avec une aisance à toute épreuve, en pigeant aussi dans les rythmes latins, afro et UK garage, Malko cultive sa singularité avec une musique aux accents baile funk, trap et afropop.

Avant d’en arriver à cette signature musicale, les deux artistes ont fait leur marque avec d’autres artistes. Guessmi a lancé son premier projet en carrière en 2022 : un minialbum en duo avec Lebza Khey, 45 degrés. Et c’est avec le collectif Playdays (dont fait également partie Astro) que Malko a d’abord fait sa marque entre 2018 et 2021. « C’est de trouver ta propre identité quand tu es seul, de trouver ton message. Au début, ça prend des gens autour de toi pour te donner de la force. Pour te donner envie de te surpasser », explique le rappeur montréalais.

« La musique, c’est quelque chose de très rassembleur », poursuit la Lavalloise. « Au début, quand tu commences, y’a une euphorie du moment. On est tous ensemble, on crée des belles choses, mais à un moment donné, il peut y avoir des conflits d’intérêts, des problèmes d’ego…Y’a rien qui est éternel. »

Même s’ils évoluent maintenant en solo, Guessmi et Malko ne sont pas totalement seuls. Loin de là. Ils ont des gens autour d’eux qui continuent de les motiver. « Je ne pense pas que ça existe un self-made-man dans la musique », proclame Guessmi.

Pourtant, le hip-hop américain regorge de rappeurs qui auraient, selon leur propre mythologie, traversé seuls toutes les étapes les menant au sommet. « Tout le monde joue à ça, mais bon… Y’a tellement de gens derrière toi. Tu peux rien faire seul. Tout le monde est à sa position pour make it work », ajoute la rappeuse.

« Y’a tellement de personnes qui idéalisent LE rappeur. C’est plus facile de prendre conscience d’une seule personne que de toute une équipe », analyse Malko.

Et l’équipe, elle se forme encore plus tôt qu’on imagine. Dès l’enfance, les parents des deux auteurs-interprètes ont contribué à leur essor artistique, en leur faisant écouter une tonne de musiques différentes. D’origine tunisienne, Guessmi se souvient de ballades en auto au son du raï algérien de Cheb Hasni ou de Cheb Khaled. « Dans l’auto, les CDs, c’était back-to-back. Mon père chantait, il a une très belle voix. Et dans ma famille en Tunisie aussi, il y a des chanteurs. Ça n’a pas été un choc pour eux de savoir que j’étais une artiste. »

Chez Malko, ce sont les musiques haïtiennes (le zouk, le kompa) qui régnaient dans la maison le dimanche, jour de grand ménage. « Ma mère faisait zouker le balai ! Elle me prenait par la main, elle m’apprenait à danser. Mon père, lui, écoutait du soul, du jazz et beaucoup de samba, de musique latine. Je parle un peu espagnol grâce à lui. »

Guessmi

Guessmi

Ce bagage se reflète dans leur musique, à un point où ça devient parfois difficile de les catégoriser. « Je sais jamais quoi répondre quand on me demande la musique que je fais, explique Guessmi. Je suis capable de tout faire ! J’aime pas m’enfermer dans une boîte. J’fais whatever the fuck I want ! »

« Récemment, on m’a dit : ‘’Toi, tu fais du R&B alternatif !’’ Je savais pas trop quoi répondre ! » lance Malko, provoquant un éclat de rire généralisé.

« Moi, on m’a dit : ‘’Tu fais du trap progressif !’’ J’ai dit ‘’ok !’’… »  rapplique Guessmi, sourire en coin. « Moi, tant que je progresse ! »

Pour les deux, la découverte du hip-hop a été un moment clé de leur vie. Malko se souvient précisément du moment où il est entré en contact avec cette culture. « Mon père, un jour, m’a dit dans la voiture : ‘’Hey, je t’ai jamais mis de rap !!’’ Et là, il a mis Rapper’s Delight. Je devais avoir 10 ans. Après, je suis retombé dans le rap grâce à mon grand frère qui m’a fait écouter du Lil Wayne. Avant ça, j’écoutais genre du LMFAO ! »

« Je suis dead !! Je m’attendais tellement pas à ça ! » lance Guessmi, en riant, avant de reprendre la balle au bond. « Moi, j’avais pas de grand frère, mais je trainais avec des gens plus vieux que moi. Le premier pour qui j’ai eu un coup de cœur aux États-Unis, c’est aussi Lil Wayne. J’aimais son flow, sa voix, et en grandissant, j’ai commencé à découvrir tous ses jeux de mots. »

Côté francophone, c’est l’Europe qui a marqué le parcours musical des deux. La scène belge, en particulier Hamza et Damso, a grandement soulevé l’intérêt de Malko dans les années 2010. Guessmi, elle, a eu un coup de cœur plus hâtif pour certains des gros canons du rap français comme La Fouine, Booba et Youssoupha.

Dans les deux cas, les influences rap québécoises sont peu nombreuses. Guessmi a été une grande admiratrice de la nouvelle vague de street rap québécois du milieu des années 2010, incarnée par Enima, 5sang14 et Izzy-S notamment. « J’ai fini par connaitre des artistes plus vieux comme Connaisseur Ticaso et Manu Militari, mais avant, j’avais aucune idée de ce qui s’était passé dans la ville. Je savais même pas qu’il y avait une scène ici avant la nouvelle vague ! »

Même chose du côté de Malko : ayant grandi dans le West Island, il a été peu exposé au rap québécois avant de découvrir les artistes de la nouvelle vague mentionnés par son acolyte et certains rappeurs de son coin (comme T.K.). « J’avais pas vraiment conscience de ce qui se passait au Québec… », reconnait-il.

C’est probablement pour cette raison que Malko a des visées davantage internationales que locales. « Le rêve, c’est plus grand que Montréal », explique-t-il, arrimant sa philosophie à celle de sa maison de disques Cult Nation, qui a lancé la carrière d’une certaine Charlotte Cardin.

Même si elle est maintenant indépendante, après quelques années sous contrat avec l’étiquette lavalloise Seiha Studios (de Lebza Khey), Guessmi, aussi, a des ambitions internationales. « De toute façon, je suis une nomade dans l’âme. J’aime pas rester à un seul endroit. »

« Moi, je suis un vagabond ! », lance Malko. « Je suis super posé comme personne, je suis chill… mais j’arrive difficilement à tenir en place. C’est beaucoup dans l’âme d’un artiste, de voyager, de se promener. J’aime découvrir, parler, communiquer, connecter avec les gens ».

« On sait pas de quoi demain sera fait », ajoute Guessmi. « Et je trouve que c’est beau comme ça. »

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