Directrice de création, conceptrice visuelle et directrice artistique, Marcella Grimaux s’empare de la scène pour nous faire rêver. Rencontre avec une femme qui vit perpétuellement au bord du précipice artistique.

Concevoir le spectacle tant attendu de tel ou tel artiste d’ici. La valeur ajoutée que le public souhaite tant. Marcella Grimaux en a fait sa vie. Avec beaucoup d’audace et de talent. « On est dans une business où il faut mettre des idées et des images sur des mots. C’est pas toujours facile ! »

Elle a grandi à New York avec sa mère comme modèle et inspiration avant d’aller étudier le théâtre et la mise en scène en Californie à l’université (USC). Son premier contact avec le métier fut avec Dominic Champagne en 2009 qui présentait la pièce Paradis perdu (musiques de Daniel Bélanger). « Mon rôle était de filmer les répétitions, il n’y avait aucune créativité, mais j’étais heureuse de travailler avec lui ! »

Marcella Grimaux a commencé sa carrière chez Geodezik en 2010. Puis à faire de la mise en scène en 2018. Elle a désormais son propre studio, Noisy Head Studio.

Marie-Mai

Marie-Mai. Photo by/par Patrick Beaudry

La même question revient lors des rencontres de production:  « C’est quoi le trip qu’on a envie de faire vivre au monde, c’est quoi la signature visuelle ? » Dans le cas de la star pop Marie-Mai qui avait changé de compagnie de disque pour se joindre à Spectra Musique avec un nouveau son et une nouvelle image, il fallait un habillage visuel à la mesure de son retour sur scène. Un retour au Centre Bell, de surcroît.

Pour la tournée Elle et moi en 2019, Grimaux est directrice de création. « On a dessiné la scénographie, conçu la vidéo; le set list, on l’a fait avec elle et David Laflèche son directeur musical. « Où peut-on amener c’te gros bateau-là ? Chaque chanson est un tableau. On a visualisé en 3D les angles de vues de n’importe où assis dans le Centre Bell. On a rajouté un escalier, des écrans bougeaient, ça nous donnait des accès de scène, des entrées, des sorties. L’ouverture du show était spectaculaire. On a pré-filmé Marie avec les mêmes vêtements qu’elle portait pour la continuité de l’image parfaite. Dans la chanson Empire elle dit : est-ce que je renais maintenant ? On s’est inspiré de cette phrase-là ! »

Pour ce spectacle, Marcella et son équipe ont remporté le Félix: Conception éclairages et projections au gala de l’Industrie de l’ADISQ en 2019.

Loud

Loud. Photo by/par Susan Moss.

L’entrée de Loud lors de son spectacle au Centre Bell fait encore jaser. Le cockpit d’avion, l’effet saisissant, c’est tout Marcella dans son rôle de directrice de création. Elle signe la scénographie, puis une courte mise en scène avec Simon Cliche, (Loud), en plus de la conception du contenu vidéo.

« À la première rencontre avec son gérant, il me dit: on aimerait ça que Simon arrive sur scène dans un avion. C’est le genre de moment où tu lèves les sourcils et tu écris ça sur tes notes: ‘‘arriver en avion”… »

Nous sommes au début février 2019 et le spectacle est prévu le 31 mai…

« On a commencé à dessiner la scène et au mois de mars on n’avait toujours pas trouvé notre avion. Construire de toutes pièces un cockpit, même un décor, était hors de prix. Savais-tu que tu ne peux pas acheter des morceaux d’avions ? Chaque morceau a son numéro de série et son propriétaire. C’est illégal et c’est pour contrer le marché noir des pièces ».

Un mois plus tard, un ami a aperçu une carlingue d’avion quasi abandonnée sur un terrain à Saint-Jean-sur-Richelieu ! Bénédiction !

Michel Rivard

Michel Rivard. Photo by/par Marc-Étienne Mongrain.

À l’opposé, le spectacle l’Origine de mes espèces de Michel Rivard, couronné spectacle de l’année au gala de l’ADISQ 2019 ( le fatidique instant où Rivard ouvre dans le cadre de porte la lettre révélant l’ADN de son père, puis blackout ! ), avec sa mise en scène sobre de Claude Poissant, suggérait une autre approche.

« Comment accompagner ce que Michel racontait dans ses flashbacks. On a dû scanner environ 350 photos de ses archives personnelles pour créer la vidéo. On aimait que les images soient floues, comme la mémoire parfois… La règle d’or de la vidéo c’est qu’elle sert à accompagner. Avant, les éclairagistes lançaient eux-mêmes des images parce que c’était dans leur terrain de jeu. Aujourd’hui, c’est deux opérations séparées », constate-t-elle.

Puis, avec Jean Leloup, mémorable spectacle solo à la Place des arts en 2016, où régnait en guise d’objet de scène un immense crâne sculpté en fibre de verre transpercé de faisceaux de lumière.  Marcella est DA sur ce projet, ou, si vous préférez, directrice artistique.

« Jean n’arrêtait pas de nous parler de feu de camp. Il voulait une ambiance feu de camp à la salle Wilfrid-Pelletier ; il est tellement à une place et partout à la fois, l’ancrer dans quelque chose de trop concret aurait été une erreur. Mon rôle était d’apporter des univers vidéo qu’on ne souhaitait pas narratifs et continus, il fallait les concevoir pour qu’ils soient flexibles parce que Jean n’a pas de setlist. Il peut décider qu’il chante Je joue de la guitare avant L’amour est sans pitié, faut s’ajuster et être archiii-flexible. On avait quatre univers visuels pour suivre quelle trajectoire musicale il emprunte. Le plus gros défi était technique: la taille de l’écran des projections arrière était proche de celle d’un IMAX: 50 pieds par 32 pieds de haut ! ».

La longue pause occasionnée par la COVID-19 aura permis à Marcella Grimaux de coréaliser le clip de la chanson de Patrice Michaud, La grande évasion, avec son partenaire de création Daniel Faubert, puis d’opérer une direction de création audacieuse sur Asteria, nouveau projet de réalité virtuelle en musique lancé récemment par la boîte La Maison Fauve et Studio La Fougue.

« Je suis souvent la seule femme autour de la table lors des réunions et j’ai la chance d’être entourée d’hommes pour qui cela n’a aucune importance. Mais je ne connais pas d’autres studios du genre à Montréal (Noisy Head Studio) qui sont menés par une femme ».