La dernière fois que Marie-Mai a fait la une de Paroles & Musique, elle posait en couverture au côté de son amoureux et fidèle collaborateur de l’époque, Fred St-Gelais. Le titre de l’article? À quatre mains. C’est dire à quel point sa séparation avec le musicien et réalisateur en janvier 2016 a créé un trou immense dans sa carrière. Et comme si ce n’était pas suffisant, Marie-Mai a aussi mis fin à son association avec son équipe de gérance (Productions J) et sa maison de disques (Musicor). Du jour au lendemain, elle venait de perdre trois piliers présents depuis les débuts. Seule, sans machine derrière elle, la chanteuse a pansé ses plaies et lance cette semaine Elle & moi, son sixième album. Entrevue sans filtre.

Marie-MaiCeci est la toute première entrevue que tu donnes depuis que tu as fait table rase. La première d’une longue série d’entretiens prévus pour la parution d’Elle et moi. Comment appréhendes-tu ce nouveau cycle promotionnel qui s’amorce?
Je réfléchis encore à ce que je veux dire, à comment je vais le dire. Elle et moi est un album hyper personnel du début à la fin. Mon plus personnel en carrière. Je n’ai jamais consacré un album entier à une période de ma vie comme je viens de le faire. Ce disque était mon journal intime pendant que je vivais tous ces bouleversements. J’avais beaucoup de choses à dire, du chaos et de belles choses. J’avais aussi besoin de remettre les gens à la page sur ce que j’avais vécu. Les gens se sont fait une idée de ma situation via ce qui a coulé dans les médias. Je voulais donner ma version. Ce disque est une porte ouverte sur mon histoire des dernières années. Chaque chanson en dit un peu plus sur moi, et je sais qu’en l’écoutant, les gens vont se poser des questions. A-t-elle vraiment fait ça? S’est-elle vraiment sentie comme ça? Je ne sais pas encore ce que je vais répondre en entrevue, où je vais mettre mes limites.

Ton album débute directement dans le coeur du sujet avec le premier extrait, Empire. « Jamais été aussi bas, jamais vu ma vie sans toi » y chantes-tu avant d’enchaîner avec le refrain: « j’ai un empire à reconstruire ». À quel point étais-tu démolie par les événements?
Empire est la première chanson que j’ai écrite pour l’album. Toutes les insécurités que j’ai vécues sont dans cette pièce. Je n’avais plus de maison de disque puisque le contrat s’était terminé avec la parution de M en 2014. Le contrat avec mon équipe de gérance se terminait également. J’étais dans le néant. Je devais me rendre en studio pour la première fois sans Fred. J’avais peur. Je me demandais si j’étais vraiment une auteure-compositrice à part entière. Ça faisait 11 ans que je travaillais de la même manière. Tous ces changements m’ont amenée à compromettre ma confiance en moi. Sans Fred, sans les fans, sans la scène, sans une équipe autour de moi… J’étais petite en tabarnouche.

Fred et toi avez mélangé l’amour et le travail pendant plus de 11 ans. Vers la fin, sachant que son absence allait ébranler ta carrière, est-ce que Marie-Mai l’artiste a essayé de convaincre Marie-Mai l’amoureuse de maintenir le couple en vie?
La musique était une chose très importante de notre vie, mais ce n’était pas la raison première de notre amour. Lorsque tout allait bien, on se disait qu’on continuerait de faire de la musique ensemble même si on se séparait. C’est facile de penser que ta vie va bien quand tu roules à 300 km/h. Avec les enregistrements d’albums, les collaborations, les tournées et les apparitions médiatiques, t’as pas le temps d’y penser. Tu vis dans l’illusion que tout va bien. J’avais 18 ans lorsque j’ai rencontré Fred. J’en ai 30 aujourd’hui. À un certain moment, je me suis demandé qui j’étais vraiment, si ce que je faisais était en accord avec la femme que j’étais devenue. C’est comme si à force de vivre dans mes valises, j’avais perdu de vue ma véritable place. Mais la vie continue. Je suis maintenant ailleurs. Fred aussi. Il a une magnifique blonde, et je ne veux pas constamment parler de lui. Toute cette situation est un peu injuste pour Fred parce que c’est moi qui donne des entrevues. Je lui ai parlé récemment. Je lui ai dit que j’arrêterais de parler publiquement du couple qu’on formait, par respect pour lui. Mais je vais toujours l’encenser et lui accorder tout le crédit qu’il mérite. Avant de le rencontrer, j’écrivais des poèmes dans mon agenda. Je ne savais même pas que je pouvais écrire des chansons.

Musicalement, qu’est-ce que son départ a changé dans la composition de ce nouveau disque?
Fred et moi formions un bon team parce qu’on venait de deux univers différents. Il a toujours été un gars de rock et moi de pop. J’ai aimé le rock de Green Day ou Blink 182, mais je suis une fille de pop, du bout de mes cheveux jusqu’à mes orteils… Donc si tu enlèves Fred de ma création, tu enlèves les guitares. C’est la grande différence. C’est ni pire, ni mieux, c’est différent. Mais tu sais, à plusieurs reprises pendant le processus de composition, je me posais la question: « Qu’est-ce que Fred ferait? » Parce qu’il m’aidait avec mes textes et mes mélodies. J’ai tendance à compliquer les mélodies pour rien. Fred travaillait avec moi pour ramener ça à une forme plus simple et efficace.

Marie-Mai

Tu avais la chance de t’entourer de nouveaux collaborateurs en studio. Comment les as-tu choisis?
Je suis allée faire une session d’écriture à Los Angeles. Je voulais travailler mon muscle d’auteure-compositrice qui ankylose s’il est au repos trop longtemps. Coupée du monde extérieur, loin de ma réalité quotidienne, j’écrivais sans pression. On m’a un jour jumelée avec un compositeur britannique, Oliver Som (qui a collaboré avec James Blunt et Robbie Williams). Ensemble, on a écrit une très bonne pièce destinée à un autre artiste. Ç’a cliqué. On a vite développé une chimie semblable à celle que j’avais avec Fred. Ça m’a fait énormément de bien. J’ai compris que je pouvais retrouver mes réflexes avec un autre compositeur. Puis, on a passé un an sans se parler. Lorsque j’étais prête à retrouver le studio, il est venu au Québec, et on a fait le disque ensemble.

Jusqu’à quel point as-tu besoin d’un compositeur / réalisateur pour t’épauler?
Lorsque je compose, j’ai besoin de jouer au ping-pong avec quelqu’un. Lui envoyer mes maquettes, recevoir ses commentaires, améliorer la chanson. Souvent, je pars d’un beat pour accoucher d’une mélodie. J’avais besoin d’Oliver pour habiller les chansons et me challenger. C’est comme ça que je travaille. Mon chum, David Laflèche, est intervenu en fin de parcours pour optimiser les mixes des chansons.

Dans tout ce processus créatif, as-tu réfléchi au son Marie-Mai? Comment l’abordes-tu en 2018? Écoutes-tu ce que font Katy Perry ou Taylor Swift par exemple?
J’ai jamais abordé ma musique en pensant à ce que les autres faisaient. Mon mélange de pop et de rock n’a jamais eu la même signature que la musique de Katy Perry ou Taylor Swift. Je vois ce nouveau disque de la même manière. J’aime la pop européenne de Robyn, mais je ne peux pas dire qu’il y a des chanteuses qui m’inspirent vraiment par leur style musical. Je reconnais que Katy Perry a de bonnes chansons, mais je n’arrive pas en disant « on doit faire comme Katy ». Au final, j’écoute mon nouveau disque et je trouve qu’il sonne comme moi. Ce sont les mêmes mots, le même genre de mélodies. Les gens vont reconnaître ma signature. C’est ma force, mon univers. J’ai écrit ce disque pour retrouver ma confiance en moi.

À quel moment as-tu retrouvé cette confiance?
Ça s’est fait graduellement chaque fois que je terminais une chanson. Lorsque ça arrive, tout ce qui m’insécurise disparaît. Quand on t’enlève ce qui te définit comme personne, tu perds tes sens. Je les ai retrouvés à coup de chansons, et encore davantage lorsque je me retrouvais en studio avec Oliver. Je sentais que les choses se passaient, comme si rien ne s’était arrêté. J’ai compris à ce moment que ma carrière n’était pas sur stop, mais seulement sur pause. C’est ce que je chante dans la pièce Exister. À partir de là, chaque pas en avant m’a rapproché de qui je suis aujourd’hui. Je veux faire ce métier pour inspirer les gens avec mes textes. En écrivant un album aussi personnel, je crois que je pourrai les toucher. Les remises en question et les crises existentielles arrivent à chacun d’entre nous pour des raisons différentes. Il fallait que je le vive pour apprendre et avancer.

Qu’as-tu appris?
À être moi-même. Apprendre à vivre avec la dualité entre Marie-Mai, celle que tout le monde connaît, et Marie-Mai Bouchard, celle que personne ne connaît. Marie-Mai, c’est un bloc de béton. Marie-Mai n’a pas le droit d’être insécure lorsqu’elle chante au Centre Bell, au Stade de France avec Johnny Hallyday ou lors de la cérémonie des Jeux Olympiques. Bouchard, c’est l’inverse. Elle est timide, insécure. Elle vit toutes sortes d’émotions. C’est le sujet de la chanson Elle et moi. Pendant longtemps, j’ai pensé que je ne pouvais pas être les deux à la fois.  Marie-Mai a fini par éclipser Bouchard. La seule perception que les gens ont de moi, c’est Marie-Mai. Et de ce vedettariat découlent un paquet d’affaires qui n’ont pas rapport. J’ai laissé trop de gens dire des fausses choses sur moi, ça n’arrivera plus.

Comme quoi?
J’ai lu que j’étais une diva. C’est pas vrai. Et je ne réagissais pas parce que Marie-Mai devait être au-dessus de ça. Si Bouchard avait des opinions, Marie-Mai ne les partageait pas pour éviter de se mettre une partie du public à dos. Mais je n’ai pas besoin d’être toujours une wonder-woman souriante et gentille. Un paquet de gens m’ont dit quoi faire ou quoi dire. Maintenant, je mets mon pied à terre. Je reviens des tournages de la série The Launch à Toronto, une série musicale sur CTV dans laquelle je suis juge. Je peux te garantir que les gens là-bas ont vu une fille qui s’assume et n’a pas peur de se commettre.

Est-ce pour ces raisons que tu as décidé de changer d’équipe de gérance et de maison de disque?
Prod J a vraiment été la meilleure équipe pour moi dans ces années-là. J’avais besoin d’une équipe qui pouvait pousser le bateau aussi vite que je le voulais. Oui, on a protégé mon discours. C’est normal, on contrôlait mon image, on voulait que ce soit big. La raison principale pour laquelle je suis partie est artistique. J’ai besoin d’avoir 20 personnes autour de la table pour mener mes projets à terme. Prod J n’avait plus les effectifs nécessaires. Pour ce qui est de Musicor, c’est plus épineux comme sujet. C’est pas évident parce que je sais que mon départ va avoir des conséquences médiatiques, mais j’assume. C’est ce que je voulais pour mon avancement personnel.

Tu veux dire qu’en quittant le giron Musicor qui appartient à Quebecor, tu ne profiteras plus de la convergence avec tous les autres médias de la maison mère?
Je ne veux pas commencer à chialer. Il y a bien pire dans la vie, mais ça reste la réalité. Aujourd’hui, les seules fois que le Journal de Montréal parle de moi, c’est pour rapporter certains de mes tweets. Ils savent que j’attire du clic. Mais je ne suis pas fâchée. Il y a d’autres portes qui s’ouvrent. Je vais faire Tout le monde en parle. Je fais The Launch (diffusion hiver 2019). Je refuse de laisser dicter mes choix en fonction des possibles répercussions médiatiques. Je dois sentir que mon cœur est à la bonne place.

C’est tout à ton honneur. Merci pour cette franchise.
Le mot d’ordre est transparence.



Bâtir une maison d’édition à partir de zéro n’est pas une mince tâche, surtout si on ne dispose pas de financement illimité. Cela n’a toutefois pas empêché Jodie Ferneyhough d’aller de l’avant avec son projet CCS Rights Management, une entreprise qui vise au-delà de l’édition et inclut la collecte et la répartition des droits voisins pour son écurie d’artistes et de créateurs. Elle se spécialise également dans la gestion de succession.

Ferneyhough bâtit son entreprise depuis sept ans déjà, après avoir quitté Universal Music Publishing Canada où il était directeur général. Lentement mais sûrement, l’entreprise a grossi ses rangs avec auteurs-compositeurs/artistes et employés.

On a les droits : des nouveaux contrats pour CCS
Récemment, CCS a conclut des ententes avec le héros du blues rock Colin James, l’ex Great Big Sea Sean McCann ainsi que le réalisateur et auteur-compositeur Gavin Brown. Dans l’ouest du pays, ses clients sont notamment League of Wolves de Saskatoon et Yukon Blonde de Vancouver.

« Chez CCS, nous ne pensons pas uniquement à l’auteur-compositeur, mais aussi à l’interprète », explique Ferneyhough, « je suis un éditeur de musique, c’est ce que je fais. Mais l’entreprise s’occupe de collecte, d’administration et de répartition des revenus dus à nos artistes et à nos créateurs. L’objectif premier de l’entreprise est d’être un solide gestionnaire de droits. »

« Les droits voisins, en général, sont généralement perçus par les gérants ou les artistes eux-mêmes », poursuit-il, « mais souvent, ils tombent dans les craques du plancher. J’ai connu bon nombre d’artistes qui disent s’occuper de leurs droits, mais je ne sais pas comment ils y arrivent, car c’est ce que je fais à plein temps, et c’est un véritable casse-tête ! Il y a plein de choses qu’il faut savoir, parce qu’il y a tellement de variables et de changements d’un territoire à l’autre. Mon travail, c’est de protéger vos actifs afin que vous puissiez vous concentrer sur la création et la performance. »

Mais alors, comment une petite boîte comme CCS parvient-elle à concurrencer avec des géants de l’industrie comme Universal ou d’imposants concurrents indépendants comme peermusic, où Ferneyhough a également déjà travaillé ?

« C’est dur », avoue-t-il. « C’est vraiment, vraiment dur. Il y a une entreprise en ce moment dont tout le monde semble croire qu’elle est magique et tous veulent signer une entente avec cette entreprise magique, et c’est incroyablement frustrant pour moi. »

« Une des raisons pour lesquelles les artistes et les créateurs signent avec nous est que nous ne sommes pas monolithiques et nous ne faisons pas de promesses que nous ne pouvons pas tenir. “On prend les artistes par la main, on s’assoit régulièrement avec eux afin de déterminer ce dont ils ont besoin et quels sont leurs objectifs.” Nous les aidons à atteindre leurs objectifs en leur présentant des joueurs de l’industrie qui peuvent les aider à passer à un niveau supérieur. »

« On prend les artistes par la main, on s’assoit régulièrement avec eux afin de déterminer ce dont ils ont besoin et quels sont leurs objectifs. »

CCS a également conclu des ententes avec des clients importants du domaine de la télévision comme Spin Master Ltd., producteurs d’immenses succès comme PAW Patrol, Little Charmers, Tenkai Knights et Hatchimals. Afin d’aider l’entreprise à croître dans ce domaine, la plus récente addition à son équipe est Sarah Keith, directrice des synchronisations.

Ferneyhough voyage sans arrêt afin d’élargir son réseau de sous-éditeurs internationaux, notamment au Royaume-Uni, dans le Benelux, au Chili, au Brésil, en Italie, en Espagne et en Grèce. Le président de CCS siège également aux conseils de l’Association canadienne des éditeurs de musique (CMPA) et de l’International Confederation of Music Publishers (ICMP).

« Nous sommes tissés serré », explique Ferneyhough au sujet de ses pairs éditeurs. « Nous sommes des concurrents commerciaux et nous cachons notre jeu, mais nous sommes conviviaux. J’ai besoin de leurs créateurs et ils ont besoin des miens pour des collaborations créatives, etc. ».

« Pour nous, aller de l’avant signifie de continuer à faire ce que nous faisons en prenant le plus grand soin de nos créateurs et de nos artistes », explique Ferneyhough. « Nous sommes à la recherche d’artistes établis à la recherche de nouvelles opportunités parce qu’ils ne sont pas satisfaits là où ils sont présentement. Nous sommes confortables depuis cinq ou six ans et maintenant nous sommes prêts à progresser, à signer de nouveaux artistes et à prendre de l’expansion. »

« Chaque droit d’auteur est important pour nous, et nous voulons faire grandir l’entreprise en ajoutant de nouveaux droits et de nouveaux artistes. »



Les paroles d’Antoine Corriveau n’ont jamais été cryptiques, mais n’ont sans doute jamais été aussi limpides, et aussi peu habillées de métaphores que dans Deux femmes, la clé de voûte de Feu de forêt, son nouvel EP.

Imaginez un instant l’impérieuse voix musquée de Corriveau égrenant ces mots simples, mais d’une exceptionnelle intensité, comme si la chanson se dépliait au même moment où son créateur voyait enfin la réalité, aveuglante, en face.

Antoine CorriveauTranquillement je reviens
Il est cinq heures du matin
Il vente à l’arrière du taxi
Entre deux femmes je suis ici

Tranquillement je reviens
Celle de droite me prend par la main
On pleure à l’arrière du taxi
Entre deux vies je suis ici

Quand elle est partie
C’est là que j’ai compris
Tu ne seras pas l’amour de ma vie

« Je sentais que je disais les choses très, très, très, peut-être trop clairement, et je me suis longtemps posé la question de comment je dealais avec ça », raconte l’artiste au sujet de ce texte incendiant tous les masques, une chanson confession à laquelle il donne vie sur scène depuis quelque temps, même s’il l’avait écartée de son précédent album, Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter.

« La réponse à laquelle je suis arrivé, c’est qu’il faut absolument que je sois game d’aller là, parce que sinon, ça ne sert à rien. Enregistrer cette chanson-là, ça m’a aidé à comprendre qu’à partir du moment où j’ai un peu la chienne quand j’écris une phrase, c’est qu’il faut que je la chante. Je suis un grand fan de Dylan et je repense souvent à ce discours de remerciement dans lequel il disait que, tout au long de sa carrière, sa voix s’était fait critiquer, qu’on lui avait dit qu’il chante comme une grenouille. Dylan répliquait quelque chose comme: « La prochaine fois que vous vous voudrez évaluer une voix, demandez-vous pas si elle est belle, demandez-vous si elle dit la vérité. » »

Pas un fan du format EP

« Honnêtement, je ne suis pas un fan du format EP », lance Antoine Corriveau en riant, trop conscient qu’il ne s’agit pas forcément de la meilleure phrase à prononcer pendant une entrevue faisant la promotion d’un EP. Élaboré à partir des pièces écrites afin d’étayer le fil narratif du grand concert qu’il présentait à l’Usine C en décembre 2017, Feu de forêt marque à la fois la fin d’un cycle créatif et le début de son association avec l’étiquette montréalaise Secret City Records (Patrick Watson, The Barr Brothers, Suuns).

Un mariage qui tombe sous le sens, dans la mesure où les musiques portées par la maison coudoient spirituellement celle de Corriveau, premier franco parmi cette écurie anglo. Leur bureau en Europe pourrait éventuellement lui permettre de se rendre plus souvent là-bas – on lui souhaite.

Pas tellement fan du format EP, donc? C’est qu’Antoine Corriveau croit toujours à l’ensorcelant pouvoir de l’album complet, écouté de bout en bout, une vision en radical porte-à-faux avec la toute-puissante culture de la liste d’écoute. Lors d’une récente visite dans une école secondaire (où il donne parfois des ateliers), une jeune fille lui confiait ne connaître le nom d’aucun des artistes dont les mélodies meublent ses journées. La faute à quoi? La faute au streaming, faisant défiler les ritournelles dans l’anonymat total, pour peu que l’on ne jette pas un œil à son téléphone.

« C’est ben complexe comme question, mais moi, je trouve que ça désacralise la musique, que ça lui enlève beaucoup de valeurs [le streaming]. Oui, on consomme beaucoup plus de musique, mais comment on la consomme? J’étais content de mes trois mois gratuits d’Apple Music, je pouvais écouter mes vinyles chez ma blonde, mais j’ai fini par détester ce que ça créait dans mon rapport à la musique. Cette orgie de choix fait que je passe 45 minutes à me demander ce que je veux écouter, mais ça nuit aussi aux liens intimes qu’on développe avec un album qu’on écoute à répétitions. »

On aura compris que ce spectacle en ambisonie qu’il présente le 9 novembre au Club Soda à Montréal dans le cadre de Coup de cœur francophone, et qui fera éclater la stéréophonie traditionnelle grâce à un déploiement d’enceintes placées devant, derrière et parmi la foule, compte parmi les ruses de l’auteur-compositeur afin de réenchanter notre rapport à une musique que l’on ne jetterait pas après usage.

Grâce à Gilles Vigneault

La musique, dans toute sa souveraineté, triomphera néanmoins toujours, peu importe les avanies qu’encaissent ses émissaires (c’est du moins ce que l’on se répète, pour se rassurer). Mon coeur paré passera partout proclame Antoine Corriveau, le titre d’une chanson ayant émergé lors d’un atelier d’une semaine à Saint-Placide, chez Gilles Vigneault.

« On devait avoir créé une nouvelle chanson à la fin de la semaine et si Fanny [Bloom] la chante avec moi sur le EP, c’est parce que c’est la première personne à qui je l’ai présentée. Je ne savais pas trop en fait ce que je disais dans cette chanson-là, mais le soir où je l’ai chantée à Fanny, on a réalisé ensemble que c’est ce monsieur de 90 ans, son désir de contribuer et de léguer une tradition de poésie en français en Amérique, qui l’avait inspirée. »