Le 1er mai 2017 sera présenté en première nord-américaine à Toronto le documentaire Sur la lune de nickel du réalisateur François Jacob, à l’affiche du prestigieux festival Hot Docs. Chronique de la vie au cœur de la ville minière sibérienne de Norilsk, ses images ont été mises en musique par Viviane Audet et son complice (sur scène, en studio et dans la vie) Robin Joël Cool, qui signe ici sa huitième bande originale de film – courts et longs métrages, neuf en comptant la musique du documentaire télé Ma Fille n’est pas à vendre d’Anaïs Barbeau-Lavallette. Conversation sur sa nouvelle passion pour la « musique à l’image » et son impact sur sa carrière multidisciplinaire.
Viviane est toujours à l’heure, m’avait-on prévenu. En avance même sur notre rendez-vous dans un café du Plateau, en cet après-midi torrentiel propice à nous caler dans un sofa à se taper des films à la chaîne.
Elle est d’abord intarissable à propos de Sur la lune de nickel, filmé « dans une des villes les plus polluées au monde, une ville minière construite dans un ancien goulag, avec ces gens qui y vivent isolés, qui travaillent à la mine, raconte Viviane. On a enregistré la musique à l’ONF, dans leurs beaux grands studios de musique, avec l’écran géant, la régie pas possible, le piano à queue, c’était la première fois qu’on travaillait dans de telles conditions. On a fait venir Yves Desrosiers pour qu’il chante une chanson populaire russe dont on avait refait les arrangements. Il était vraiment bon, on a trippé… »
Viviane Audet parle de musique de film et ses grands yeux verts s’illuminent. L’actrice, auteure, compositrice et interprète, qu’on a vue à la télé (Belle Baie, Nos étés), au cinéma (Frissons des collines) et sur scène – en solo avec ses chansons et au sein du groupe indie-folk Mentana – a ajouté une nouvelle corde à son arc en apprivoisant l’art de mettre de la musique sur des images en mouvement. Tout ça un peu par hasard, et beaucoup grâce au réalisateur Rafaël Ouellet.
« J’ai joué dans son premier film », Le Cèdre penché, paru il y a dix ans. « On ne se connaissait pas, il m’avait appelé pour me demander si je n’accepterais pas de jouer dans son film. Il m’avait aussi demandé de composer deux chansons pour ce projet, or c’est vraiment lui qui m’a initiée à la musique pour le cinéma. »
Mais sa vraie première chance est arrivée en 2012. Ouellet avait recruté Viviane et son chum Robin, également de l’aventure Mentana, pour tenir des rôles dans Camion. « Rafaël habitait l’appartement en dessous du nôtre, il nous entendait répéter les chansons de Mentana. Après le tournage, il nous a approchés ; le compositeur qui devait assurer la musique de Camion s’est désisté à la dernière minute, mal pris, il nous a offert de faire la musique pour son film. » Tu parles d’un coquin de sort : la trame sonore de Camion, tissée de sonorités folk minimalistes – la signature propre aux musiques d’Aubin, de son chum et du projet Mentana – a valu à Viviane, Robin avec Érik West-Millette le Jutras de la Meilleure musique originale de film lors du gala de 2013.
Ce fut la piqûre. « Je ne saurais dire si d’être comédienne m’avantage lorsque je travaille la musique de film. Peut-être par la manière dont je conçois un récit ? Je sais pas. Ce que je sais, par contre, après avoir lancé deux disques de chansons, c’est que je crois que j’ai plus de facilité à mettre de la musique sur des images plutôt que sur des mots, à ce stade-ci de ma vie [professionnelle]. Mon instinct me guide beaucoup plus facilement sur des images que sur des mots. Ces temps-ci, je devrais travailler sur mon troisième album solo. Or écrire des mots, je trouve ça un peu souffrant. Et même lorsque j’ai les mots, mettre des musiques dessus, c’est étrange… c’est comme si je m’étais découverte [ailleurs]. Comme si c’était ça, moi, mettre de la musique sur des images. Ça me vient plus instinctivement, pour ainsi dire. »
Ainsi, le processus créatif de Viviane et ses collègues relève beaucoup de la perception du moment affiché sur l’écran. Beaucoup d’improvisation, admet-elle : « On n’écrit pas nos partitions ; lorsque nécessaire, par exemple quand des joueurs de cors sont invités à enregistrer avec nous, quelqu’un d’autre se charge d’écrire les orchestrations à partir de nos maquettes ». Un thème principal est cependant trouvé, une mélodie déjà définie, qui donne le ton au reste de l’œuvre, le tout appuyé par les indications (précises ou pas) des réalisateurs, « qui sont généralement très généreux avec nous, dans la mesure où ils nous fournissent déjà beaucoup de musiques de référence montées sur les scènes que nous devons mettre en musique. »
« Je remarque aussi que les réalisateurs s’intéressent de plus en plus au travail des auteurs-compositeurs, des gens qui ne font pas nécessairement ça dans la vie, la musique à l’image, souligne Viviane Audet. Prends Dear Criminals, par exemple, qui a signé la bande originale du film Nelly d’Anne Émond, ou encore Milk & Bones qui a composé la musique du dernier film de Podz [King Dave]. On sort un peu des sentiers battus – cela dit sans que ce soit péjoratif, puisqu’il y a beaucoup de compositeurs de musiques de film établis, reconnus pour leur une grande expertise. Et par ailleurs, y’a pas beaucoup de filles qui font ça ! »
C’en fera une de plus, et une convaincue d’avoir trouvé sa place dans cette discipline qui a le mérite de marier son amour de la musique et du jeu. En compagnie de son complice Robin Joël Cool, Vivane Audet signera bientôt la musique de Les Rois mongols, le prochain film de Luc Picard, dont l’histoire est campée durant la crise d’octobre 1970.