Dear CriminalsAu lieu de concevoir la musique comme une fin en soi, Dear Criminals la prend comme un point de départ. En transcendant si aisément les formes d’art, le trio électro-folk montréalais suit sa propre voie et accumule les projets d’envergure, dont son plus récent, la bande sonore du film Nelly.

Quand on les rejoint, les trois musiciens tracent la route de Rouen à Vendôme, dans le nord-ouest de la France. Venant à peine de mettre un terme à sept représentations de la pièce Les Lettres d’amour, pour laquelle ils ont signé la musique, les acolytes sont maintenant au cœur d’une mini-tournée, qui comprend des arrêts dans des lieux inusités comme une chapelle, un cinéma, un lycée et un ancien bordel.

« Pour vrai, c’est complètement différent d’un soir à l’autre », rapporte la chanteuse et multi-instrumentiste Frannie Holder. « Le défi, c’est de savoir s’adapter à chacun des endroits. »

Son complice au chant Charles Lavoie poursuit : « À la base, nos chansons ne sont pas faites pour faire groover du monde dans un bar. Au contraire, elles se prêtent tout particulièrement à aller au-delà d’un cadre conventionnel de diffusion. Je crois que nous-mêmes, on a incarné cette particularité-là en sortant continuellement du milieu de la musique. »

Formé en 2013, Dear Criminals est né de ce désir de faire les choses autrement. Tous impliqués dans différents projets musicaux, notamment Random Recipe et b.e.t.a.l.o.v.e.r.s, les trois artistes ont voulu suivre un autre modèle que celui en vogue dans l’industrie musicale québécoise, consistant à enchainer ad nauseam les sorties de disques et les tournées. « On voulait faire nos affaires de notre bord », résume le musicien touche-à-tout Vincent Legault. « On a préconisé une approche plus pragmatique, en se demandant comment faire pour survivre dans le monde de la musique sans avoir à signer avec une maison de disques. C’est à partir de là qu’on a eu différentes opportunités pour s’exprimer à travers d’autres médiums. »

L’élément déclencheur de toute cette aventure a sans doute été sa participation au festival d’arts vivants OFFTA en 2014. Fort du succès critique de son deuxième EP Crave, le trio avait alors été invité à se joindre à l’actrice et metteure en scène Monia Chokri pour la pièce Foire agricole, durant laquelle il reprenait à sa sauce électro minimaliste des succès d’icônes féminines de la pop comme Britney Spears et Mitsou.

En plus de l’avoir révélé au grand jour à la scène théâtrale montréalaise, cet évènement « qui avait comme trame de fond l’image de la femme et sa marchandisation » lui aura permis d’amorcer une réflexion plus poussée sur la portée de son art. « C’est la première fois qu’on discutait aussi profondément du sens derrière notre objet artistique. Maintenant, ces questionnements-là, ils sont rendus indispensables à ce qu’on fait », explique Charles Lavoie.

Les échanges ont d’ailleurs été nombreux en amont de la création de Nelly. Inspiré du plus récent film d’Anne Émond, lui-même librement inspiré de la vie de Nelly Arcan, ce mini-album a nécessité plusieurs mois de réflexion et de création. « On trouvait que le côté dark, érotique et très fragile de notre musique rejoignait beaucoup l’œuvre de Nelly Arcan. Quand on a lu dans le journal qu’Anne était sur le point de faire un film sur elle, on l’a appelée pour lui manifester notre intérêt », raconte Frannie Holder. « Elle a rapidement accepté, en nous disant qu’elle ne cherchait pas un band conventionnel de musique de film. On s’est donc plongés dans l’œuvre de Nelly avec un regard analytique, à la recherche de quelque chose d’universel. Durant le processus, on s’est rendu compte que l’univers qu’on était en train de créer était assez riche pour qu’on puisse se le réapproprier. »

Comprenant des versions remaniées de chansons et de thèmes récurrents qu’on peut entendre dans le film, ce septième EP du groupe provoque un saisissant contraste émotif dans sa combinaison de textures feutrées et d’ambiances froides hyper chargées. « On s’est permis beaucoup de liberté sur cet album », indique Charles Lavoie. « Je  crois que c’était inévitable, car autant la personnalité que l’œuvre de Nelly laissaient une place importante à l’interprétation. »

Si les projets se suivent, mais ne se ressemblent pas pour le trio, son habileté à écrire et à composer rapidement lui assure une certaine stabilité. En plus des projets susmentionnés, Dear Criminals a fait paraitre deux EPs dans la dernière année, en plus de signer la musique de la télésérie Fatale-Station et du spectacle de danse contemporaine Things Are Leaving Quietly, In Silence. « On n’avait tout simplement pas le temps de se planter ! » répond Frannie Holder quand on lui demande le secret de cette cadence. « On a l’avantage d’être trois, donc y a toujours quelqu’un pour prendre le lead. »
Nelly (movie)Prochain défi : un projet avec l’Académie de l’Opéra de Paris en 2018. Les trois musiciens profitent d’ailleurs de leur passage en France pour amorcer un brassage d’idées avec la metteure en scène Marie-Eve Signeyrole. « C’est un spectacle qui jette un regard sur l’érotisme à travers la génération Y. Il reste beaucoup de trucs à clarifier, mais on va entre autres réadapter des pièces baroques », explique Charles Lavoie.

Autrement, les prochains mois permettront à Dear Criminals de reprendre son souffle. « On a tous hâte de se rasseoir ensemble et de penser à notre futur. Ça va faire du bien de se retrouver », croit Vincent Legault.  « En ce moment, je constate qu’on a un peu délaissé Dear Criminals le groupe au profit de Dear Criminals la compagnie. C’est super cool ce qui nous arrive, mais on a hâte de se remettre à composer from scratch, juste pour le fun. »



Tout semble réussir pour le groupe AUTOMAT : les concerts se préparent par dizaines et leur public s’élargit sans cesse. Au lendemain de la sortie de leur deuxième album, Pandora, les quatre jeunes hommes nagent dans le bonheur ! Le chanteur et auteur des textes Mathieu Bouchard se sent bien : « On est super heureux du résultat ! On est quatre gars qui sont bien ensemble. Lorsqu’on joue, tout est simple. »

C’est d’ailleurs dans ce contexte que s’écrivent les pièces d’AUTOMAT. Quand les quatre amis de Québec s’installent en studio, les chansons affluent facilement. « Certaines sont nées alors que nous n’avions rien préparé avant d’arriver à la session d’enregistrement, raconte Mathieu. C’est le cas de notre premier simple, Mea Culpa, composé en une heure ! C’est l’une de nos préférées sur Pandora. »

Bouchard explique que cela est possible grâce au climat de bonne entente qui règne entre les membres du groupe, un terrain propice à la créativité. « Souvent, tout vient en même temps : la mélodie, la musique et les paroles. Je commence par lancer des mots qui sonnent bien avec la musique que les gars jouent, puis le tout se peaufine au fur et à mesure qu’on travaille les morceaux. » Il précise que ce ne sont pas toutes les pièces qui sont apparues aussi facilement. Certaines, comme Lumière, qui ouvre l’album, ont été testées, arrangées, transformées avant d’être finalement enregistrées, sous la gouverne du réalisateur et compositeur Connor Seidel.

Il faut souligner que les gars d’AUTOMAT n’en sont pas à leurs premières armes. Voilà déjà presque 15 ans qu’ils font de la musique, avec plus d’un millier de concerts derrière la cravate. « Nous sommes vraiment fiers du chemin qu’on a parcouru. Au départ, nous étions plutôt un groupe punk rock, mais avec le temps, nous avons changé, tout en conservant l’énergie positive qui nous vient naturellement lorsque nous sommes ensemble. À nos débuts, on jouait dans les centres d’achat, et maintenant, on rejoint tous les membres de la famille, dans les festivals d’été. »

L’influence du nouveau réalisateur, plus jeune qu’eux et plus porté vers les formations indépendantes a également brassé les cartes. « Connor nous a emmenés ailleurs, tout en respectant ce que nous sommes comme band. C’est une évolution naturelle que nous sentons avec Pandora, une évolution de fond. » Seidel est l’homme derrière Evermoor Audio, où se sont développés les Idie & the Mirrors, Mathieu Holubowski, Nova, Palm City et Stefanie Parnell pour n’en nommer que quelques-uns.

AutomatLorsqu’on compare le nouveau matériel d’AUTOMAT avec leurs chansons plus anciennes, comme Le Destin, on est frappé par la vibe différente, un peu moins festive, un peu plus introspective qui habite les nouvelles compositions de Mathieu Bouchard et sa bande, sans pour autant diluer l’aspect pop accrocheur. « Je ne dirais pas que c’est une question de maturité. C’est davantage parce que nous avons collaboré avec un réalisateur qui nous a poussés à sortir de notre zone de confort que nous sommes arrivés avec ce son. On veut continuer à s’ouvrir à des collaborations avec différentes personnes dans le futur. »

Outre Bouchard au chant et aux guitares, la formation est composée de Samuel Paquin aux guitares, Maxime Chouinard à la basse et Dave Vézina à la batterie. Tous des amis du secondaire qui ne se sont jamais quittés de vue. Après quelques années au sein du groupe Pressure, Bouchard s’est tourné vers la pop en français et a rassemblé ses amis autour du projet AUTOMAT. Dès leur premier mini-album de quatre titres enregistré, ils se sont retrouvés dans les festivals comme Envol et Macadam et le Festivent, avant que la radio (NRJ et CKOI, notamment) ne fasse jouer le simple Le jour se lève. L’énergie est palpable sur leur premier succès important, la chanson Parfait, parue en 2012 et propulsée grâce à sa sélection par le Comité olympique canadien lors des Jeux olympiques de Londres en 2012.

Le grand rêve, c’est l’Europe. « Ça serait notre Coupe Stanley! » se sont-ils déjà exclamés dans une entrevue parue dans Le Soleil en 2011. Mais entre temps, c’est en Islande qu’AUTOMAT entraîne ses fans avec le superbe clip, qui illustre la chanson Mea Culpa. La vidéo s’est fait récemment remarquer par son esthétisme, alors que le titre s’est retrouvé à la première position du palmarès radio Correspondants au Québec (tout comme l’extrait précédent Mémoire) et parmi les « Hot Tracks » d’iTunes en décembre dernier « La seule chanson francophone! » s’exclamait fièrement le groupe sur sa page Facebook.

AUTOMAT a eu la surprise de se voir remettre deux Prix No. 1 SOCAN lors du tournage d’une capsule diffusée à la populaire émission matinale de TVA Salut Bonjour le 26 janvier 2017.

 



Par une froide soirée de décembre 2016, à Toronto, un homme est sur scène au Royal Theatre — qui sert habituellement de cinéma — de College Street, au centre-ville. Bien qu’il ne soit accompagné que d’un guitariste et ne parle pratiquement pas entre ses chansons, chacune des phrases qu’il chante de sa voix rauque et chacun de ses mouvements sont accueillis avec euphorie par la salle comble. Étrangement, il est presque entièrement enveloppé par l’obscurité pendant sa prestation, seul un faible projecteur situé directement au-dessus de lui l’éclaire, telle une ombre dans la nuit.

Voilà un auteur-compositeur-interprète — et membre de la SOCAN — qui apprécie l’aura de mystère et qui, vraisemblablement, fait tout ce qu’il peut pour mettre la musique de l’avant tout en protégeant son anonymat et sa vie privée.

Voilà Allan Rayman que d’aucuns considèrent comme la prochaine révélation de la scène musicale torontoise et canadienne sur la scène internationale en 2017. Rayman a d’ores et déjà signé une entente mondiale pour son étiquette 512 Productions avec Communion Records, le label dirigé par Ben Lovett de Mumford & Sons. Il a complété une tournée nord-américaine de petits théâtres où il était tête d’affiche avec James Vincent McMorrow en première partie tout en se bâtissant un auditoire digne d’un culte et il enregistre aujourd’hui même (24 janvier 2017) une prestation en direct dans le cadre de la série First Play Live de la CBC.

Mais comme il refuse obstinément d’accorder des entrevues (pour le moment) et n’offre aucune explication au sujet de son travail, nous sommes laissés à nous-mêmes pour interpréter les sons et le sens de sa musique et les images de ses vidéos.

Musicalement, Rayman superpose sa très expressive voix rauque aux accents parfois un peu folk à des mélodies R & B et des « beats » hip-hop. Tant sur son premier album, Hotel Allan (d’abord lancé en téléchargement gratuit), que sur scène, il se sert de messages vocaux provenant d’une femme avec qui il est en conflit. Quant à ses textes, il écrit à la première personne et décrit fréquemment les épaves de relations de couple et amalgame avec une appréhension palpable l’amour, le sexe et la mort. Le résultat est très intense et tout aussi captivant. Il chante des phrases telles que (librement traduit), « I’m a bad habit that you can’t shake » (je suis une mauvaise habitude dont tu n’arrives pas à te défaire), « I need a selfish kind of girl » (j’ai besoin d’une femme égoïste), « I am the reason that you let me go » (je suis la raison pour laquelle tu m’as quitté).

Le travail visuel de Rayman est encore plus fascinant. Les clips de trois chansons tirées de Hotel Allan (« 27, » « Beverly » et « Graceland ») ont une facture esthétique de film noir/« road movie » américain à petit budget des années 70. Lancés un à un, nous avons appris plus tard qu’ils formaient un tout, un court métrage intitulé The Wolf and The Red Dress dans lequel les personnages principaux, un homme et une femme, se rencontrent dans un restaurant, font l’amour dans une chambre de motel, puis, vraisemblablement, elle le tue avec une arme à feu et lui se réveille dans ce qui semble être un paradis sur terre. Dans « Beverly », la femme qui tire d’une arme à feu porte un masque de loup, un thème récurrent de ses clips. Mais pas seulement : pendant l’entracte du spectacle au Royal Theatre, huit femmes en robes d’été et masques de loup flânaient et posaient au bord de la scène. Pour le clip de la chanson « Faust Road », il a utilisé ce qui ressemble à un film expressionniste allemand des années 20 en noir et blanc inspiré de l’histoire de Faust qu’on a solarisé et légèrement traité visuellement.

Rayman lancera le 24 février 2017 son deuxième album intitulé Roadhouse 01. Le premier extrait, « Repeat », est un duo avec une autre artiste à l’étoile (filante) montante, Jessie Reyez, et il a été lancé dans le cadre de l’émission Apple Beats 1 de Zane Lowe (rien de moins !) et il prouve que l’artiste n’a pas encore envie de quitter le domaine de la noirceur et de la peur. Il y a écrit :

She swingin’ moods just like my mother do (elle a des sautes d’humeur juste comme ma mère)
I see the tension overcoming you (je vois la tension qui prend le dessus sur toi)
The cruel intention starts to shine through (tes intentions cruelles commencent à paraître au grand jour)
I couldn’t help but fall in love with you (je ne pouvais pas m’empêcher de tomber amoureux de toi)

Rayman est sur le point de conquérir le grand public. Mais est-ce ce qu’il veut ? Comme il le chantait dans « 27 », « I feel this fame is pending/With all my idols gone I’m afraid of 27 » (je sens que la gloire approche/Avec mes idoles qui sont toutes parties, j’ai peur de 27) Tout comme The Weeknd avant lui, Rayman est tapi dans l’ombre pour réaliser ses premiers albums. Choisira-t-il éventuellement d’en sortir et même d’embrasser la lumière des projecteurs (à l’instar de The Weeknd) ? Ça reste à voir…