Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, la plus efficace collaboration au registre de la pop québécoise des cinq dernières années, celle unissant l’auteur, compositeur et interprète Karim Ouellet et son fidèle acolyte, le musicien et réalisateur Claude Bégin.

Karim OuelletRéglé au quart de tour, le ponctuel Karim Ouellet nous attend déjà au café pour l’entrevue. Où est Claude? Quelque part sur la route, entre Québec, son port d’attache, et Montréal. « Claude, c’est Claude… », lâche Karim, avec un sourire complice. « J’ai un double de ses clés de studio, comme ça, lorsqu’on se donne rendez-vous et qu’il n’est pas à l’heure, je peux déjà m’installer et travailler en l’attendant. »

Soit, la notion de ponctualité diffère entre ces deux musiciens, mais lorsqu’il est temps de passer à table (de mixage) et faire de la musique, Bégin et Ouellet sont au diapason. Ses trois albums solo – Plume (2011), Fox (2012) et le récent Trente – ont tous été fignolés avec l’aide de Bégin, qui mène aussi sa propre carrière solo depuis la sortie de son premier album, Les Magiciens.

En cinq ans, grâce au succès populaire et critique de Karim Ouellet, ce binôme créatif s’est imposé comme l’une des forces vives de la pop québécoise, et son vecteur de renouvellement. Les albums de Karim, comme celui de Bégin, ont un son, frais, indéniablement moderne : une pop bondissante aux chatoyantes couleurs électroniques qui évoquent les racines hip-hop de ces deux musiciens. Karim était fan du duo Accrophone dont faisait partie Claude Bégin au milieu des années 2000. Leurs premières collaborations remontent à l’album Dendrophile (2009) de Movèzerbe, collectif hip-hop/funk/world réunissant aussi Boogat et KenLo d’Alaclair Ensemble, autres brillants représentants de la scène musicale de la Vieille Capitale.

« Movèzerbe, c’était la première fois où on travaillait ensemble à un projet commun qui nous tenait vraiment à cœur, précise Karim. J’avais collaboré à ses chansons, il avait mis la main à la pâte sur mon premier EP. J’ai rencontré Claude en 2005 ou 2006, grâce à des amis communs. L’amitié s’est construite tranquillement. »

« Notre son, repose sur notre technique particulière pour faire des rythmes hip-hop, en mettant des chansons composées à la guitare par-dessus. », Karim Ouellet

La méthode de travail des deux musiciens s’entend entre les notes des albums de Ouellet. « Claude a un style. Il peut faire beaucoup de choses, mais toujours avec une touche hip-hop. Tout est dans la technique pour construire des beats de rap, avec des boucles, des sons distincts, des couches et des couches d’éléments sonores. Lui a été beatmaker pendant longtemps, j’en ai fait quelques-uns aussi, et c’est comme ça, en faisait du rap, qu’on a appris notre métier. Son son, notre son, repose sur notre technique particulière pour faire des rythmes hip-hop, en mettant des chansons composées à la guitare par-dessus. »

Calude Bégin

Le travail de composition à quatre mains est plus présent sur les deux premiers albums de Karim, alors que sur le nouveau Trente, « j’ai travaillé plus en solitaire, de mon côté; Claude est alors davantage un arrangeur et réalisateur que co-compositeur ».

La broue dans ce toupet qu’il a abondant, Claude Bégin débarque enfin au café, après avoir tourné en rond dans le centre-ville jonché de cônes orange en quête d’une place de stationnement. La journée sera longue pour lui : après notre entrevue, direction Quartier des spectacles pour la répétition du grand concert d’ouverture des FrancoFolies le soir même, mettant notamment en vedette Alaclair Ensemble dont il est membre.

« Karim, c’est le gars avec qui je suis le plus habitué à faire de la musique. Avec les gars d’Alaclair, y’a une sorte d’esprit de groupe, tout le monde met la main à la pâte, tout le monde arrive avec une idée, un beat, un refrain, on se retrouve dans mon studio et parfois, je n’ai besoin de toucher à rien. Avec Karim, c’est donnant-donnant : il arrive avec sa chanson, son idée, et on sait ce qu’on doit faire, on sait comment se rendre au résultat final. Son genre de toune, son genre d’idées, avec mon genre de production, d’arrangements, ça marche, poursuit Claude. Ce qui définit mon style? Je dirais que ce sont mes harmonies vocales, d’abord, mais ensuite les arrangements que j’appose à une chanson. »

« J’ajoute des couches et des couches d’éléments dans mes productions, parfois trop, même, c’est quelque chose qu’on me reproche parfois, avoue Claude Bégin. C’est mon style, quoique j’essaie de plus en plus d’épurer ça… Ensuite, c’est le rap, la programmation des rythmes, je suis rendu efficace avec ça. J’avais une batterie montée dans mon studio, je l’ai démontée parce que je ne m’en servais pas assez souvent. On fait de la pop, mais avec un gros beat, avec la tension du rap. Les radios ont l’air d’aimer ça, c’est ça la tendance dans la pop. »

Karim Ouellet se produira au Métropolis le vendredi 17 juin, à l’invitation des FrancoFolies de Montréal, puis jouera les DJ au Shag du Métropolis après son concert. L’ami Claude Bégin assurera la première partie du spectacle. Dernier conseil : allez faire un tour au concert extérieur de Rednext Level la veille, 23h, où vous risquez de voir apparaître Ouellet et Bégin sur scène!



Ça y est, c’est fait! Alexandre Désilets a lancé, le 15 juin dernier, au Gesù à Montréal, son quatrième album, dans le cadre des FrancoFolies de Montréal. Intitulé Windigo, cet ambitieux projet orchestral marque pour l’auteur-compositeur-interprète la fin d’un cycle. Constitué de douze titres, l’album propose deux nouvelles chansons et en revisite dix. « En retournant aux maquettes d’origine, j’ai eu l’impression que pour certaines chansons, je n’étais pas allé au bout du trip. Je sentais qu’elles étaient restées inachevées. Une toune, c’est pas parce que tu la graves sur un disque qu’elle est finie. Un peu comme un peintre qui, des années plus tard, se donnerait la liberté d’aller ajouter un élément sur un tableau. »

Enregistré en mars dernier au Studio 12 de Radio-Canada avec la complicité de dix-sept musiciens, dont Olivier Langevin, Robbie Kuster et François Richard (piano, orgue, arrangements, coréalisation), le résultat est magnifique. Une grande importance a été accordée à la voix, jamais enterrée sous l’orchestre. « Le mot d’ordre, c’était que la voix et le texte soient mis à l’avant. Je n’avais jamais autant travaillé cet aspect, ce sont mes meilleurs takes à vie. Je me suis entraîné, je suis allé voir ma prof de chant et je n’ai pas fait de compromis. Durant l’enregistrement, je me suis senti enveloppé par l’orchestre. Les instruments n’empiètent jamais sur la voix. On l’a utilisée comme un instrument, justement, pour créer un mur de son qui arrive jusqu’à toi. »

« Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. »

Alors qu’elle concluait le précédent album Fancy Ghetto, Tout est perdu apparaît cette fois en deuxième position dans l’alignement et donne le frisson, c’est vraiment un petit bijou de chanson douce-amère. Les textes impressionnistes témoignent des tourments intérieurs du narrateur; on n’est pas dans la frivolité avec Alexandre Désilets.

« Au premier abord, on pourrait croire qu’il s’agit d’une histoire d’amour, mais en creusant on trouve autre chose. Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. Quand j’écris les paroles avec Mathieu Leclerc, ça fait déjà quelques mois que je vis avec les musiques. On crée un univers; les chansons sont comme les chapitres d’une histoire. Puis je me retrouve avec des thèmes qui sont au diapason de l’émotion brute qui se dégage de la musique. Quand vient le temps d’écrire, c’est souvent un choc pour moi.

Alexandre Désilets Et le windigo qui donne son nom à l’album, d’où sort-il? « C’est l’archétype qui pouvait lier toutes ces chansons provenant de différents albums sous un même parapluie. Selon la légende amérindienne, le windigo est une bête affamée, un peu cannibale, qui hante les forêts et mange de la chair. Là, c’est comme si on avait enlevé les forêts, mais que la bête était restée. Mes personnages ont en commun d’errer dans la ville. Ils ont soif et faim de quelque chose, un appétit somme toute insatiable. C’est une métaphore de notre société actuelle, qui va trop vite et n’en a jamais assez. Elle n’est jamais rassasiée et ne produit pas son propre amour ni sa propre chaleur. Elle va la chercher partout ailleurs et ne redonne pas beaucoup. »

Dans On sème, l’une des deux nouvelles pièces, Alexandre joue habilement sur la phonétique d’un mot. On entend « on s’aime », mais il est question de semer la haine. « On avance avec tellement d’insouciance devant ce que Mère Nature nous a offert. On a fissuré l’atome pour partir en guerre, sans égards aux répercussions, comme si on était seuls sur Terre. On sème le germe de haine et c’est ce qu’on récolte. »

Le jour de l’entrevue, Alexandre portait un t-shirt avec pour motif, un ciel de nuit étoilé. À 41 ans, il est sur le point d’avoir un premier enfant et vient de lancer un album qui fait advenir la beauté dans ce monde pas toujours beau. Il chante :

Je crois en la beauté, mais elle n’est plus la même
Elle ne s’est pas montrée, et ça, depuis des années
Longtemps j’ai laissé tourner la vie
Comme un vieux disque
Mais j’ai faussé sur l’hymne à la joie

L’auteur d’Hymne à la joie serait-il pessimiste? « Quand j’écris, c’est la partie mélancolique en moi qui s’exprime, mais j’ai confiance en notre capacité de nous sortir de la merde. Je m’intéresse aux énergies alternatives. Grâce aux nouveaux modes de communications, des scientifiques arrivent à échanger rapidement des informations-clés. Il y a les panneaux solaires, des moteurs qui fonctionnent à l’eau… J’ai espoir dans les nouvelles générations. »



Portée par des rumeurs on ne peut plus favorables, l’auteure-compositrice Amélie Beyries – BEYRIES pour les intimes – lancera son tout premier album à l’hiver 2017.

Mais pourquoi en parler maintenant ? Parce que la musicienne autodidacte partira en tournée au cours des prochains jours, une tournée qui lui permettra de se mettre sous la dent les compositions qui feront l’objet de ce premier opus aux mouvances folk. Ainsi, BEYRIES partira vers l’Ouest canadien, alors qu’une série de dix à quinze concerts de petite à moyenne envergure l’attendent.

« Jouer et partager la musique, faire des rencontres et amorcer un ressourcement profond à travers le plein air et le voyage, explique la jeune femme à propos de ce qui la pousse à débuter cette première série de concerts. Ça fait longtemps que je veux traverser le Canada. Quand nous avons signé chez Bonsound, au début de l’année, nous avons établi l’échéancier d’ici au lancement de l’album, et je me suis rendu compte que je devais rapidement gagner de l’expérience de scène. Faire la traversée serait un excellent moyen d’y parvenir. Aussi, je me suis rendu compte que j’avais une fatigue accumulée et que c’était un moment idéal pour faire un long voyage et prendre soin de moi. C’est donc devenu un projet idéal. »

Si l’on considère le vaste intérêt que les médias québécois auront porté au lancement de son premier vidéoclip Soldier au début juin 2016, il n’est pas surprenant de voir plusieurs noms dans l’industrie lui prêter main-forte dans les balbutiements de sa carrière d’auteure-compositrice. C’est le cas pour le multi-instrumentiste, arrangeur, auteur-compositeur et pratiquement homme à tout faire Alex McMahon, qui signera la réalisation de cet album.

« Je peux dire que c’est en grande partie grâce à lui s’il y a un projet d’album. Je n’étais pas à mon meilleur quand nous avons enregistré le EP l’été passé. J’étais très fatiguée et je manquais de confiance en moi, mais il m’a soutenue et encouragée. Je lui en suis très reconnaissante. Il a un talent hors du commun qu’il met au service des chansons. Nous avons beaucoup de plaisir à travailler ensemble. J’ai aussi eu la chance d’avoir Guillaume Chartrain (basse, mix), mon ami d’enfance qui, comme par hasard, commençait à travailler avec Alex sur d’autres projets. J’étais très heureuse de le retrouver en studio. C’est très significatif pour moi. Guillaume et moi avons grandi ensemble, c’est mon premier ami. Et pour finir, Alex m’a proposé de travailler avec Joseph Marchand (guitares). Ça devenait difficile d’être mieux entourée », affirme la chanteuse qui ajoute avoir eu la chance de collaborer avec Louis-Jean Cormier sur son seul titre dans la langue de Molière de l’album.

« Quand nous avons terminé le EP, nous l’avons envoyé à quelques personnes dans l’industrie et mes chansons se sont rendues aux oreilles de Louis-Jean Cormier. Il a aimé la musique et nous lui avons proposé d’enregistrer une nouvelle chanson que j’avais composée avec mon ami Maxime Le Flaguais qui signe le texte. Louis-Jean a accepté de réaliser et chanter en duo avec moi. Je suis très touchée qu’il ait accepté, j’admire son talent. Cette chanson est ma première collaboration en équipe et ma seule chanson en français. Je suis très émue à chaque fois que je la joue. »

Pour BEYRIES, cela constitue autant de preuves tangibles que la musique peut parfois prendre au détour quiconque ne s’y attend pas. Elle conclut, visiblement ravie d’avoir eu tort sur ce point : « Faire de la musique un métier n’a jamais été une option pour moi. La musique a toujours été un espace personnel que je partageais très peu avec mon entourage. J’ai choisi une carrière plus conventionnelle. C’est ce qui me semblait la meilleure décision au début de la vingtaine. »