Notre Place, un chanson du compositeur François Dubé et de l’auteur Paul Demers, sera intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens lors du Gala Trille Or le 9 septembre 2023 à Ottawa.
Rappelons le contexte historique dans lequel prend place la création de cette importante chanson. En 1986, la Loi 8, qui garantit au public le droit de recevoir des services en français de la part des ministères et organismes du gouvernement dans 26 régions désignées de la province de l’Ontario, est déposée par le ministre délégué aux Affaires francophones de l’époque, Bernard Grandmaître. Elle n’entrera finalement en vigueur que le 19 novembre 1989 et pour célébrer cette loi, un Grand Gala est organisé au Queen Elizabeth Theatre de Toronto par la Fondation franco-ontarienne et la Chaîne française de TVOntario, qui deviendra TFO par la suite. Dans le cadre de cette soirée, la productrice de l’événement Hélène Fournier contacte le pianiste et compositeur François Dubé afin qu’il crée un thème musical grandiose pour l’occasion, comme ceux qu’on entend aux cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques.
« Je lui ai répondu que comme on célébrait la langue française, il serait opportun d’avoir aussi des paroles, et non pas que des notes de musique », raconte François Dubé. « J’ai fini par la convaincre de me laisser lui présenter une chanson. Elle pourrait ensuite prendre sa décision. »
Dubé, qui avait déjà travaillé par le passé avec Paul Demers lors de galas et d’émissions télévisées, contacte son ami pour qu’il crée la chanson avec lui. Demers qui était en convalescence suite à un diagnostic de cancer accepte de s’imposer un tel stress. Trop belle occasion pour refuser pense-t-il. Écrire une chanson qui jetterait en évidence la vitalité franco-ontarienne, puis l’interpréter… ce serait là un beau retour sur scène après tant de mois d’inactivité. C’est alors que Paul s’inspire de deux vers du poète Jean-Marc Dalpé dans les recueils Gens d’ici et Les murs de nos villages: Notre langue, on l’avait dans nos poches, nos poches avaient des trous.
Dès le lendemain, Paul Demers s’est présenté à la demeure de François Dubé. Dans le studio aménagé au sous-sol, ils se sont assis au piano et le pianiste a fait entendre quelques mesures qu’il avait composées au parolier, après lui avoir confié qu’il voulait que leur œuvre soit aussi puissante que We Are The World, une chanson-événement enregistrée par un groupe de stars américaines en 1985, pour contrer la famine en Afrique. « À la fin, Paul s’est tourné vers moi et m’a dit que pendant que je jouais, il avait les mots Il faut prendre notre place qui lui revenaient sans cesse en tête. Je lui ai dit de se lâcher lousse et de me revenir avec une proposition de texte; quelques jours plus tard, il m’a téléphoné pour me dire qu’il tenait quelque chose », se remémore Dubé.
À leur deuxième séance de création, les hommes se sentent comme s’ils avaient été frappés par un éclair : en un peu plus d’une heure, un premier jet de la chanson est complété! « On en riait de bonheur. La source créative coulait en nous! Il y a des chansons qui prennent des mois à s’écrire; pour celle-là, ça se compte presque en minutes! » Dans les jours qui ont suivi, Dubé a fait parvenir la pièce à la productrice du Grand Gala, qui s’est inclinée : ce sera cette chanson et non une pièce instrumentale qui sera jouée sur scène.
Dubé et Demers se sont revus une dernière fois pour peaufiner les derniers détails de ce qui deviendra Notre Place. Le soir du gala, un millier de personnes étaient présentes au Queen Elizabeth Theatre. Paul Demers, accompagné de François Dubé au piano, de Robert Paquette et du groupe Hart-Rouge pour les chœurs, jouent Notre Place sur scène. À la réception qui a suivi le spectacle, le duo de créateurs est assailli par les dignitaires, à la fois admiratifs et empressés : il faut absolument que Notre Place soit endisquée pour qu’elle soit entendue par le plus grand nombre de personnes possible! « Ça a été le délire! À cette soirée, Paul et moi avons eu le feeling que la chanson allait connaître du succès. On ne s’était pas trompé… » Paul Demers a ensuite enregistré la chanson en studio, avec François Dubé au piano. Et le reste appartient à l’histoire…
Dans les mois qui ont suivi, les créateurs ont été appelés par une multitude de directions d’écoles qui désiraient utiliser leur chanson pour un spectacle étudiant, une fête de fin d’année ou une cérémonie quelconque. En un rien de temps, tel un raz-de-marée, la chanson devient l’hymne officieux de toutes les écoles francophones de l’Ontario. Certaines vont jusqu’à la faire chanter à leurs élèves à tous les matins, tel un hymne national, diffusé à travers les haut-parleurs de l’école. « Paul et moi étions bien touchés par tout ça. Qu’on ait pu donner aux jeunes Franco-Ontariens un outil d’affirmation merveilleux pour défendre leur langue et qui ils sont, ça nous remplissait de fierté », explique François Dubé. Fierté que ressentent aussi les jeunes en la chantant. On ne célèbre plus seulement la Loi 8 avec Notre Place, mais tout le fait français en Ontario…
En 1997, Notre Place devient le chant de ralliement du mouvement SOS Montfort dans sa lutte pour sauver l’Hôpital Montfort à Ottawa, le seul hôpital universitaire francophone en Ontario. Dix-sept ans après la création de la chanson, en septembre 2016, une école primaire de langue française à Orléans est ouverte, l’École élémentaire catholique Notre-Place. En mars 2017, quelques mois à peine après le décès de Paul Demers, Notre Place devient l’hymne national franco-ontarien à la suite d’une motion présentée par le député de Glengarry-Prescott-Russel, Grant Crack, et adoptée à l’unanimité des députés provinciaux en présence de la veuve de Paul Demers, Sylvie Chalifoux-Demers, et de son complice François Dubé. Enfin, en 2018, un monument à la francophonie appelé « Notre Place » est inauguré à Queen’s Park (Toronto), devant l’Assemblée législative ontarienne.
« Au-delà de la signification que cette chanson a eue pour les Franco-Ontariens, elle revêt également un caractère spécial pour moi. Quand Paul est arrivé chez moi pour notre première séance de travail, il m’a confié à quel point mon appel arrivait à point pour lui. Il vivait une période difficile à cause de sa maladie. Écrire cette chanson lui a donné un regain de vie, l’espoir. À travers moi, c’est comme si l’Univers avait lancé un message à Paul : il te reste encore de grandes choses à accomplir, mon vieux… », conclut François Dubé.
Pour ne plus avoir notre langue dans nos poches
Je vais chanter, je vais chanter
Ah! Que tu viennes de Pointe-aux-Roches ou d’Orléans
Ah! Je vais chanter, je vais chanter
Pour mettre les accents là où il le faut
Faut se lever, il faut célébrer
Notre place,
Aujourd’hui pour demain
Notre place
Pour un avenir meilleur
Notre place
Donnons-nous la main
Notre place
Ça vient du fond du cœur