Il arrivait parfois que le club vidéo de Marieville, au Québec, reçoive des disques compacts, ces précieux morceaux de plastique recelant jadis le pouvoir de révéler à quelqu’un un univers entier et, parfois même, de lui ouvrir les portes de son avenir. « Il a survécu plus longtemps que la majorité des autres clubs vidéos, celui de Marieville. Je me souviens très bien de son plancher carrelé. Je me souviens que c’était des excentriques qui travaillaient là », raconte au bout du fil Thierry Larose, en rendant hommage à ces oasis de culture qu’étaient, avant l’avènement de plateformes de visionnement en continu, ces lieux immanquablement imprégnés de l’odeur du maïs soufflé jaune fluo.

Thierry LarosePourquoi parlons-nous du club vidéo de Marieville, cette charmante petite ville de la Montérégie ? Parce que Thierry Larose y a grandi et parce que son premier album, Cantalou, s’ouvre sur une chanson intitulée Club vidéo, qui est à ce disque ce que La Monogamie était à Trompe-l’œil de Malajube : une fresque assoiffée, tragique et enivrante, toute en sinuosités et en pluie de confettis, en murmures et en guitares rugissantes, dans laquelle le chanteur annonce avec un remarquable sens de la formule inoubliable qu’il n’est pas de ceux qui tolèrera la banalité.

« Étions-nous faits pour ce que la vraie vie nous propose / Que faire de notre penchant pour le grandiose / Quand tout autour nous rappelle à l’ordre et à l’habitude? / Viens on va se mettre un film ».

« Quand le club vidéo recevait des batchs de CDs, il y en avait parfois de Dare to Care/Grosse Boîte », poursuit l’artiste de 23 ans en évoquant la maison de disques de Malajube, mais aussi de La Patère rose et d’Avec pas d’casque, aujourd’hui rebaptisé Bravo musique à la suite de son rachat par Béatrice Martin – Cantalou en est d’ailleurs la première sortie officielle. À la même époque, le préadolescent s’abreuve des Sessions Bande à part et de l’émission Mange ta ville animée par Catherine Pogonat, qui lui permettent d’explorer par procuration la fourmillante scène locale montréalaise. « Ça me faisait tellement rêver ! »

« Dès que je voyais le logo de Dare to Care/Grosse Boîte sur un CD au club vidéo, je savais que je pouvais probablement aimer ça. J’avais acheté Trois chaudières de sang [premier album d’Avec pas d’casque] et je me souviens de m’être dit: « C’est tellement cru, c’est incroyable que ce soit sorti en CD. » Je sentais tout d’un coup que moi aussi je pouvais faire ça. C’est fou que ça se soit rendu à Marieville, parmi les CDs de Michel Louvain et Patrick Norman. »

Après un passage de deux ans sur les bancs de l’Université de Sherbrooke en études anglaises, Thierry Larose profite de l’occasion que présente un stage à Montréal afin de s’atteler sérieusement à la tâche d’écrire des chansons. Il participe en 2019 aux Francouvertes avec peu d’expérience de scène, mais déjà un instinct indéniable pour le refrain s’installant à demeure dans la tête de ceux et celles qui l’entendent, qualité rare qui produira son charme sur Alexandre Martel. Le musicien qui a œuvré derrière la console auprès d’Hubert Lenoir et d’Alex Burger cosigne aujourd’hui la réalisation de Cantalou.

« J’ai demandé à Martel : est-ce qu’on peut partir en lion et mettre toutes les bonnes tounes sur la face A et les moins bonnes après ? » confie Thierry, en disant avoir adopté comme modèle l’enchainement de Trompe-l’œil de Malajube, qui débute en malade, traverse une accalmie à mi-parcours, puis culmine sous les feux d’artifice (Rachel et Les éléphants sont les Étienne d’août et St-Fortunat de Cantalou).

Bien que la face B de Cantalou – le disque le plus 2006 de 2021! – contienne elle aussi ses moments de grâce, il y avait effectivement longtemps qu’un début d’album n’avait pas été aussi grisant que ce quatuor que composent Club vidéo, suivi du grunge boule de gomme de la pièce-titre, de l’entêtante Les amants de Pompéi et de Chanson pour Bérénice Einberg, une sorte de fan fiction ducharmienne, à la gloire du personnage principal de L’avalée des avalés. « C’est une lettre d’amour 100% sincère à quelqu’un qui n’existe pas », rigole Thierry Larose, parolier sagace qui sait suggérer beaucoup en faisant usage de peu.

« Ben non, moi non plus j’pleure jamais voyons donc », lance-t-il dans Cantalou, avec quelque chose dans la voix permettant de deviner que la vérité se situe ailleurs, une astuce empruntée à un certain Leonard. « La première fois que j’ai entendu une formule comme ça, c’était dans Chelsea Hotel #2 quand il dit: « That’s all, I don’t think of you that often » et que tu comprends que c’est pas vrai du tout. J’adore ça. »

Alors, dis donc Thierry, que faire de notre penchant pour le grandiose, alors que présentement, tout nous rappelle à l’ordre et l’habitude ? « Faut que t’écoutes des films », répond celui qui revendique l’influence de l’œuvre du cinéaste Richard Linklater, plus précisément des notes douces-amères de sa trilogie Before. « Le next best thing, quand on ne peut pas avoir accès au grandiose, c’est la fiction. Je reviens toujours à ça. Quand j’écris, ça remplit un vide momentanément et après, quand il m’arrive quelque chose de grandiose pour vrai, j’ai l’impression que l’attente en a valu la peine. »