À l’occasion de la publication du rapport annuel de Musicaction, Paroles & Musique se penche sur les grandes orientations de l’organisation, qui se consacre depuis 1985 au développement et à la mise en valeur de la musique canadienne francophone.  Afin de mieux comprendre comment Musicaction s’adapte aux changements économiques et sociaux qui affectent l’ensemble de la société, et pour analyser leur impact sur le milieu musical, nous avons rencontré sa directrice générale, Louise Chenail.

Louise Chenail, Musicaction

Louise Chenail de Musicaction

Dès le début de notre conversation, Louise Chenail, se qualifie elle-même de pieuvre, capable de jongler avec plusieurs idées simultanément. Son agilité intellectuelle n’a rien d’étonnant : à l’emploi de Musicaction depuis 1997, elle a occupé différents postes au sein de l’organisation dont elle assume la direction générale depuis 2011. Si elle se fait généralement discrète dans les médias, ce n’est pas par modestie, mais plutôt par respect pour le travail d’une équipe, dont elle n’hésite jamais à vanter la passion et les compétences.

« Ce n’est pas pour rien qu’on a décidé de présenter notre organigramme de manière circulaire », explique-t-elle. « Imaginez un système solaire où le bénéficiaire serait au centre, entouré par les intervenants de première ligne, les analystes, qui font vraiment le gros du travail. Les gens de l’administration, comme moi, sont là pour les soutenir, mais plus que jamais, notre but est d’être présents sur le terrain, en lien direct avec les besoins des bénéficiaires. Je suis obsédée par l’accessibilité de nos programmes au plus grand nombre: je veux qu’on établisse des stratégies qui servent directement la création. »

Après quelques années mouvementées, durant lesquelles elle a été appelée à distribuer des fonds d’urgence et de relance dans le cadre exceptionnel de la pandémie, Musicaction entend poursuivre son élan de modernisation entamé en 2020. Un mouvement nécessaire, d’autant que la baisse des revenus a forcé l’organisation à couper 10% de ses engagements dans les programmes pour l’année en cours.

Mais ces contraintes ne signifient pas que Musicaction ne pourra pas remplir son mandat premier de soutien aux artistes et à l’industrie musicale, tout en continuant de contribuer à l’ensemble de la société. En introduction du récent rapport annuel, le président du C.A., Pierre Rodrigue, décrit l’organisme comme un « moteur de changement », capable de s’inscrire dans de grands mouvements sociaux. Ambitieux? Louise Chenail croit au contraire que c’est en embrassant cette approche engagée que Musicaction pourra mieux servir les créateurs.

Comme preuve de cet engagement global, on peut citer les mesures de soutien parental, introduites il y a quelques années. D’abord pensé pour les femmes artistes, le programme a été élargi aux pères, puis, et à l’ensemble des professionnelles du milieu, qu’elles soient musiciennes ou employées en entreprise.

« Notre désir de représenter au mieux toutes les clientèles nous pousse à réfléchir à ces grandes questions. C’est ce qui nous a amenés à la parité hommes-femmes dans nos jurys, par exemple. » Encore là, il ne s’agit pas de mesures de façade visant à donner une bonne image de l’organisation, mais de réflexions profondes informées par les réalités du milieu.

« C’est pour ça qu’on s’est impliqués dans le rapport sur les femmes dans l’industrie musicale canadienne francophone, mené par Joëlle Bissonette », poursuit la directrice. « Une étape importante pour nous, car en plus de mettre en lumière les difficultés particulières que vivaient les femmes, le rapport proposait aussi des pistes de solutions. »

Musication, Project CrescendoCar sans actions concrètes, ces nobles intentions finiraient par se noyer dans les beaux discours. C’est pourquoi Louise Chenail cite avec enthousiasme le projet Crescendo, qui soutient l’accompagnement de femmes en entrepreneuriat par le biais de jumelages avec des mentors bien établis dans l’industrie musicale. Un programme qui reprenait des idées déjà testées par Musicaction auprès des communautés autochtones, dont les résultats sont probants.

« L’un des plus beaux exemples est Makusham. Au départ, c’était un studio. Aujourd’hui c’est la plus importante étiquette de disques établie dans une communauté autochtone. C’est positif pour les communautés, mais ça profite à l’ensemble de notre industrie, qui est enrichie par une meilleure diffusion du travail de ces créateurs. »

Consciente de la futilité de saupoudrer aveuglément des dollars à gauche et à droite, Louise Chenail revient constamment sur l’importance d’être sur le terrain afin de prendre en compte les besoins réels du milieu. « C’est plus que de l’accompagnement; il s’agit de véritables échanges entre nous et les bénéficiaires », précise-t-elle. « Avant d’agir, on a discuté avec les gens des communautés, évalué leurs besoins. Puis, les gens de Musicaction et les mentors du programme ont suivi des formations sur l’entrepreneuriat autochtone afin d’adapter au mieux nos interventions. »

Kanen, Musicaction

Kanen

Parmi les artistes qui ont bénéficié de cet engagement et de ce soutien, on peut nommer Kanen, qu’on a vu rayonner au cours de la dernière année, durant laquelle elle a été nommée révélation Radio-Canada, entre autres accolades. L’artiste innue, originaire de la communauté d’Uashat mak Mani-Utenam, illustre parfaitement l’approche plurielle de Musicaction. Non seulement a-t-elle bénéficié d’aide individuelle en tant qu’artiste, mais son étiquette, Musique Nomade, est également appuyée par l’organisation grâce aux programmes collectifs.

« On est fiers de ce qu’on a accompli, mais ce ne sont que les premiers pas », tempère Louise Chenail. « Nous sommes conscients des particularités de chacune de nos clientèles, et si on veut continuer de progresser, d’en faire plus, on doit être prêt à les écouter et à apprendre de leurs expériences. »

Au-delà de l’aide à la création, Musicaction contribue donc à développer tout l’écosystème nécessaire à l’émergence de nouveaux talents. Après tout, la polyvalence est inscrite dans son ADN, puisque ses fondateurs (les radiodiffuseurs, l’ADISQ, ainsi que la SPACQ), représentent différents aspects de l’industrie musicale, qu’ils soient créateurs ou entrepreneurs.

« La diversité des clientèles est fondamentale pour nous », insiste Louise Chenail. « Nous soutenons l’émergence artistique, mais aussi l’émergence entrepreneuriale. Évidemment, les artistes sont au cœur de nos préoccupations et je suis extrêmement fière du soutien direct acheminé aux auteurs-compositeurs (presque 900 000$ au cours de la dernière année) car c’est une reconnaissance de la matière première de notre industrie. »

Bonne nouvelle pour les artistes, qui, dans un contexte économique souvent incertain, pourront continuer à profiter du soutien financier d’une organisation qui se veut un partenaire plutôt qu’un simple guichet bancaire. « On continue de sonder nos clientèles et d’adapter nos pratiques pour être le plus pertinent possible », conclut la directrice. « La modernisation, ce n’est pas quelque chose de ponctuel pour nous, c’est un processus qui se fait en continu. »