Les légères mélodies des Courtneys peuvent sembler simplistes, mais il y a en fait beaucoup de travail et de recherche derrière la musique du groupe vancouvérois. Pour leur deuxième album intitulé simplement II, Jen Twynn, Courtney Garvin et Sydney Koke ont analysé le concept de « chanson parfaite » et écoutant le travail de groupes comme les Écossais Teenage Fanclub. Leur conclusion ? « La chanson parfaite n’existe pas », laisse tomber Koke. « Mais il est possible de s’en rapprocher avec beaucoup de travail ! »

Après d’innombrables discussions au sujet des structures et de l’écriture au fil des ans, ils ont peaufiné leur processus jusqu’à ce que celui-ci soit de « prendre un « riff » ou une ligne de basse, ou un quelconque concept, et de chercher le meilleur véhicule pour cette idée. »

« La chanson parfaite n’existe pas. Mais il est possible de s’en rapprocher ! » — Sydney Koke, The Courtneys

Et comme l’ont démontré leurs recherches, cette stratégie leur a effectivement permis de se rapprocher du Graal de la chanson parfait grâce à des mélodies pleines d’entrain qui vont droit au but, comme « Insufficient Funds », qui traite de la recherche d’emploi ou l’ode à une relation amoureuse à distance, et premier extrait de II, « Silver Velvet ».

II, comme son prédécesseur, regorge de vers d’oreille ensoleillés qui prennent racine dans les sonorités des années 90, une influence majeure du groupe alors que ses membres dans leur adolescence écoutaient la radio et MuchMusic, mais avec une personnalité qui est résolument la leur.

Au cœur de cette signature sonore se retrouve l’idée de s’amuser. Lorsque le groupe s’est formé, c’était ouvertement pour avoir une raison de passer le plus de temps possible ensemble. Mais maintenant que les Courtneys ont gagné en expérience et ont eu à gérer le côté affaires qui vient avec le plaisir, ils n’ont tout de même pas perdu leur perspective sur le côté léger des choses.

Comme l’explique Garvin, philosophiquement, « je crois qu’on a réalisé que le côté affaire peut lui aussi être étrangement amusant. »



Autrefois membre fondateur du collectif soul montréalais Skyjuice, le musicien, producteur et DJ François Simard s’est donné le pseudo Franky Selector au tournant du millénaire et vient de faire paraître Shabby Chic sous étiquette The Good People Records, distribué à grande échelle par Outside Music et disponible en version numérique chez Believe Digital. « Tout est dans le titre. C’est chic, mais c’est aussi un peu déglingué ».

Franky SelectorEntre deux réalisations d’albums sous cette enseigne (un hiatus de six ans), notre homme ne chôme pourtant pas : des remix pour le collectif funk-soul montréalais The Brooks, des collaborations récurrentes avec James Di Salvio (Bran Van 3000), Stéphane Moraille, The National Parks, l’Haïtien Fwonte et Fred Everything, en  plus d’être le DJ attitré des concerts du jam band préféré des campus américains et groupe-culte de son état, Phish, ce qui l’a mené à balancer ses beats contagieux devant des dizaines de milliers de fans après chacun des concerts dudit groupe dans les stades et festivals.

La période d’or de la radio FM, des années soixante-dix au début des années 80, voilà ce qui branche Simard qui a grandi en Floride durant les seventies. « C’était Kool and the Gang avec le monde qui se promène en patins à roulettes en tenant un ghetto blaster. Ce que j’entendais sonne encore plus authentique à mes oreilles comparé à la musique d’aujourd’hui ».

On laisse défiler les treize titres et sans même forcer, on entend sur Shabby Chic des références fort évocatrices de cette décennie bénie : le spoken word de Gil Scott Heron, le soul de Isaac Hayes, l’usage récurrent des cuivres et en filigrane une bienfaisante bouffée d’air des Caraïbes. « J’aime tout ce qu’a produit Chris Blackwell sur son label Island Records, Bob Marley, Toots and The Maytalls, etc. », confie-t-il.

Ses racines libanaises (de sa mère) sont aussi présentes sur Shoo Fi Ma, qui laisse couler les mots en mode spoken word. « Il y va y en avoir de plus en plus dans ma musique, je sens l’appel de l’Orient, laisse-t-il échapper en s’esclaffant ». À moins d’avoir une pierre à la place du cœur, sa musique se boit comme un élixir qui fait du bien. Qui place au-devant les émotions, l’amour et la sensualité. Et plus encore.

« Je mise beaucoup sur l’ambiance et la subtilité avec un groove omniprésent. Il y a toujours une ondulation. C’est comme l’océan. »

« Je mise beaucoup sur l’ambiance et la subtilité avec un groove omniprésent. Il y a toujours une ondulation. C’est comme l’océan, lance Franky Selector en guise d’analogie. C’est possible de danser sur ma musique, mais pas à tout prix ».

Pour y parvenir, ça prend d’abord les bons outils. « Je travaille toujours avec du vieil équipement pour enregistrer en mode analogue. Je suis nostalgique, c’est sûr, mais ma musique n’est pas une reconstitution d’époque ».

Dans cet esprit, ses claviers Fender Rhodes, Mini-Moog, Wurlitzer et autres Clavinet de référence gravitent tour à tour dans ce perpétuel antre du plaisir qui nourrit ses velléités musicales. « Tu ne peux pas reproduire ces sons-là, faut que ça soit les vraies affaires. Mais je travaille aussi avec les ordinateurs, c’est un mariage entre deux procédés, deux techniques ».

Autonome, il s’est loué un local dans le Vieux-Montréal afin d’y implanter son laboratoire, son repaire de création, il s’y rendait presque tous les jours au moment de la création de Shabby Chic. « Je punchais comme à l’usine le matin. Cela commençait à peu près comme ceci : je pars un beat, je fais une progression d’accords, j’enregistre. Il y a plein d’instruments, ce qui me permettait de travailler seul les premières esquisses : des beats et des expériences sonores que j’avais concoctés entre deux spectacles de ma tournée précédente (suivant la parution de son précédent disque Under The Midnight Sun sorti en 2011) et mis en veilleuse ».

L’étape suivante consistait à orchestrer le tout avec une flopée de musiciens qui tour à tour laissent leur empreinte musicale sur des pistes prêtes à être assemblées. Simard enfile ensuite son chapeau de réalisateur, confronté à l’inexorable équilibre entre le cœur et la raison. « Je prends toutes les décisions depuis que j’ai constaté (avec Skyjuice durant les années 90) que la démocratie c’est bien beau dans un collectif de dix musiciens, mais un moment donné ça dilue beaucoup la vision du projet et sa direction ».

L’étape ultime : les concerts, avec la ferme intention de mener sa barque encore plus loin avec un bataillon de huit à dix musiciens dont le maître es claviériste Dan Thouin, prisé de toute la communauté de musiciens du Québec. « Moi je viens de l’école du live. Ceux qui viennent nous voir ne doivent pas s’attendre à des versions scrupuleusement fidèles au disque. Ça évolue beaucoup ! »

 



À travers les audacieux mélanges musicaux de No Wanga 2, le chanteur d’origine haïtienne Fwonte désire rassembler et faire cohabiter les cultures du monde.

De pair avec son réalisateur et fidèle « grand manitou » Vincent Letelier (alias Freeworm), qui a donné un son uniforme à ce riche alliage de hip-hop, d’électro, de kompa, de rara et d’influences diverses provenant autant de la musique malienne que moyen-orientale, le Montréalais soutient un propos idéaliste célébrant la force de la mixité sociale.

Fwonte« Quand j’ai amorcé l’écriture du EP, il y avait tous ces migrants qui arrivaient en Europe et en Amérique du Nord, et j’entendais beaucoup de personnes se demander si toute cette vague de nouveaux arrivants allait causer des problèmes dans la société. Pour leur répondre, j’ai voulu intégrer des styles musicaux de tous les continents dans ma musique. Je voulais prouver que, si des genres aussi hétéroclites pouvaient cohabiter naturellement dans une même chanson, les humains aussi en étaient capables. »

Optimiste sans être naïf, le chanteur créole s’adonne aussi à des critiques plus directes. Sur Ansamn, composée par le renommé DJ et producteur haïtien Gardy Girault, il évoque le manque de solidarité qu’il a perçu lors d’un récent séjour dans son pays natal. « J’ai vu comment les gens vivaient pour eux-mêmes, comment ils essayaient de s’en sortir en s’occupant uniquement de leurs affaires, sans penser à la communauté, réprouve-t-il. Selon moi, la seule façon de sortir le pays du chaos, c’est que tout le monde se mette ensemble pour faire avancer les choses. »

Surtout, Fwonte insiste sur l’importance du travail, de la persévérance, du cœur à l’ouvrage. L’adage No Wanga est traversé par ces valeurs. « Dans le vaudou, le wanga, c’est le sacrifice que le prêtre fait afin que tu atteignes un but précis. Ça peut, par exemple, prendre la forme d’une prière ou d’un parfum spécial qui met en transe les gens autour de toi, explique-t-il. Le message que je veux lancer aux jeunes, c’est que le plus important, c’est pas le wanga, mais bien le travail. Aide-toi et le ciel t’aidera… Ne fais pas le wanga en pensant que c’est ce qui va t’amener du succès. »

Initié à la musique vaudou par sa famille maternelle, Fwonte a été élevé par sa grand-mère paternelle après la disparition soudaine de ses parents, alors qu’il n’avait que trois ans. « C’est elle qui m’a initié au kompa et aux chants évangéliques. Toutes ces musiques-là m’habitaient encore quand j’ai commencé à écouter du hip-hop à l’adolescence, se souvient-il. L’art m’a rapidement interpellé dans la vie, et ça soulevait des inquiétudes chez mes oncles et mes tantes de Floride qui finançaient mes études. Ils voulaient que j’arrête tout ça et que je choisisse une autre voie professionnelle, mais ma grand-mère me disait de ne pas les écouter et de faire ce que j’aime. »

« J’ai préféré la vibe de Montréal. »

Alors qu’il occupe un poste de designer graphique au tournant de la décennie actuelle, l’artiste choisit de faire le grand saut dans la musique. Pour ce faire, il prend la décision de déménager à Montréal, là où la famille de sa copine habite. « Je voulais lancer ma carrière et j’hésitais entre m’installer ici ou bien en Floride. En comparant les deux, j’ai préféré la vibe de Montréal. Dans les soirées de musique haïtienne en Floride, c’était uniquement ma communauté qui était là, comme à Port-au-Prince. À Montréal, la culture était plus inclusive, et j’appréciais déjà certains artistes de la scène comme Luck Mervil ou Muzion. »

À peine un mois après son arrivée, l’artiste participe à un spectacle-bénéfice pour Haïti, alors mis à mal par un tragique tremblement de terre. Ce soir-là, au défunt Club Lambi, il rencontre son futur complice musical Vincent Letelier, avec qui il enregistrera ensuite l’essentiel du premier EP Men mwen. Évoluant alors sous le nom Mr. Ok, le rappeur ne met pas de temps à s’imposer comme une révélation de la scène world 2.0 montréalaise, notamment en se rapprochant de deux de ses principaux représentants : Boogat et Poirier.

Sept ans après cette intégration presque instantanée, Fwonte est plus que satisfait de son évolution musicale au Québec. « Si j’ai fait une chose de bien dans la vie, c’est bien de venir ici », juge-t-il.

Malgré tout, un mal du pays l’envahit parfois, comme il le dévoile sur la mélancolique Chagren, et la touchante Grann, un hommage très personnel à sa grand-mère qui lui provoque encore des bouleversements émotifs. « La première fois que je l’ai chantée sur scène, j’ai pleuré… Ça ne m’était jamais arrivé avant, mais l’émotion est venue me chercher jusqu’au motton, confie-t-il. Quand j’étais plus petit, ma grand-mère était toujours un peu anxieuse pour mon futur, et là, j’ai simplement voulu lui dire qu’elle n’avait plus à s’en faire, que j’avais maintenant une carrière, une famille et que, tout ce qui me manquait, au fond, c’était elle… »