Le maître de la production hip-hop québécoise Ruffsound rencontre l’étoile montante du beatmaking QuietMike sur Génies en herbe, un album qu’ils ont en grande partie créé dans un chalet avec leurs fidèles acolytes Koriass et FouKi.

À gauche, visionnez l’entrevue que FouKi et Koriass ont accordée au rédacteur en chef de Paroles & Musique, Eric Parazelli, en complément à cet article à propos de l’album Génies en herbe : YT URL to come

« Mike, c’est un naturel. Il a toujours de très bonnes idées. Il est vraiment fascinant à voir aller », lance au bout du fil Ruffsound à propos de QuietMike, 13 ans plus jeune que lui. L’indéfectible allié de FouKi a lui aussi des beaux mots pour celui qu’il considère comme l’un de ses mentors : « C’est un vrai guerrier. Il est toujours en train d’évoluer. C’est très motivant. »

Marc Vincent a effectivement un parcours de guerrier. Arrivé sur la scène rap au début des années 2000, à une époque où les exemples de succès étaient peu nombreux pour un beatmaker québécois, le jeune Lavallois a produit son « premier beat potable » en 2005 : J’représente d’Yvon Krevé. La force de frappe de ses compositions a interpellé d’autres grands du rap d’ici, notamment Connaisseur Ticaso, Imposs et Sans Pression, qui ont fait appel à ses services, à l’instar de plusieurs chefs de file de la nouvelle vague du rap québ’ (Yes Mccan, Souldia, Rymz) quelques années plus tard. Depuis, le nom Ruffsound est non seulement synonyme de qualité, mais aussi de popularité, comme en témoignent Toutes les femmes savent danser (de Loud), Cinq à sept (de Koriass) et iPhone (de FouKi), trois chansons qu’il a coproduites et quelques-unes des rares pièces à avoir obtenu un grand succès à la radio commerciale.

Cette dernière, il l’a coproduite avec QuietMike. À seulement 23 ans, le producteur a déjà plusieurs faits d’armes sur sa feuille de route, en grande partie attribuables à son travail avec FouKi, avec qui il développe une chimie exceptionnelle depuis l’école secondaire. Initié au beatmaking au tout début de la décennie, alors qu’il explorait les possibilités du « finger drumming » sur sa machine MPC, le Michel Silencieux a frappé un grand coup en 2017 avec Gayé, pièce aux teintes folk/reggae basée sur un échantillon d’une chanson de l’artiste marocaine Hindi Zahra.

Cette chanson a été le premier contact de Ruffsound avec le répertoire de Mike. « J’étais down en esti. Quel gros jam ! » reconnaît le vétéran producteur. Son collègue n’a également que des éloges pour son œuvre : « Moi, mon premier contact (avec la musique de Ruff), c’était Montréal-Nord et Devenir fou de Koriass. C’est FouKi qui m’avait fait entendre ça, et j’en revenais pas à quel point c’était bien fait. »

C’est donc dans l’enthousiasme le plus total que les deux artistes ont collaboré pour une toute première fois, en 2019 sur iPhone et No Offense (toutes deux de FouKi). « Ça a été cool et super organique. On a commandé du griot et on a fait des beats. Si tu connais un tant soit peu Mike et son entourage, tu sais que c’est jamais compliqué avec eux. »

« J’avoue que, moi, j’ai été un peu flabergasté lors de notre première session, admet Mike. J’avais rarement fait des beats avec des gens hors de mon entourage, donc ça m’a épaté de voir une autre technique, une autre approche. Ruff est moins dans le sampling que moi. Il construit la track de A à Z. »

« Ce que j’aime le plus, c’est collaborer, poursuit Vincent. C’est vraiment inspirant de tous se regrouper dans un studio. Y’a quelque chose qu’on perd lorsqu’on travaille chacun chez nous, dans notre coin. J’ai accompagné des amis dans des studios aux States, et c’est vraiment la collaboration qui règne. Y’a trois producers un à côté de l’autre sur des laptops, et le workflow est toujours très rapide. Les gars s’envoient des loops, que chacun retravaille. »

C’est dans cette optique de collaboration que les deux producteurs se sont joints au chalet de création de Koriass et FouKi l’hiver dernier, à Morin-Heights. « Ça s’est fait super rapidement. Nous, on faisait des beats pendant que les gars lançaient des idées, écrivaient des verses ou buvaient une petite bière sur le divan. Mocy (l’ingénieur de son du projet) enregistrait les voix des gars dès qu’ils étaient dans le vibe, se souvient Ruffsound. Le plus important, c’est la chimie. Faut être capable de faire des blagues et de chiller en studio. Si c’est trop silencieux, ça sera pas bon. »

« C’était pas un rythme auquel j’étais vraiment habitué, admet son comparse. J’étais un peu étourdi au début, mais j’ai fini par apprendre beaucoup de choses. »

Une bonne partie des beats de Génies en herbe a été composée en une journée, lors de l’apparition éclair de Ruffsound. D’autres ont plutôt été retravaillés, car leurs esquisses avaient déjà été entamées avec d’autres collègues beatmakers du vétéran (Jay Century, June Nawakii, Alex Castillo, Realmind). « Quand on voyait que les gars avaient un peu moins d’inspiration, on leur mettait des beats qu’on avait déjà dans nos ordis. Ça repartait la session instantanément », indique Ruffsound.

Après coup, les deux producteurs se sont renvoyé des maquettes pour finaliser l’album. Le producteur Rousseau (un proche de QuietMike) et le guitariste Pops (de Clay and Friends) ont également mis la main à la pâte. En raison de la crise sanitaire mondiale, Koriass et FouKi ont dû eux aussi terminer l’album chacun de leur côté. « On a été de bons citoyens responsables, on n’a pas triché… En fait, y’a FouKi qui voulait tricher, mais on l’a pas laissé faire », blague Ruffsound.

Et depuis, le vétéran a pris goût à travailler avec le jeune prodige. « C’est certain qu’on va retravailler ensemble », assure-t-il. « Ouais, mais peut-être dans longtemps… » déplore QuietMike, en faisant référence aux mesures de distanciation établies en rapport avec la COVID-19.

« Je suis justement en train de pimper mon gazebo pour recevoir du monde, lui répond son acolyte, visiblement plus optimiste. Le studio dans ma cour, ça va être incroyable ! »