Récemment lauréat du 7e prix Écho de la chanson pour sa pièce « St-Eustache », le jeune rappeur Koriass, Emmanuel Dubois de son vrai nom, s’est taillé une place enviable sur la scène hip-hop québécoise. En effet, en quelques années, il s’est fait connaître pour ses textes intelligents et ses excellents rythmes mais aussi pour son efficacité dans le « battle-rap ».

Rencontré en compagnie de son ami producteur Steve Jolin (Anodajay), il explique comment tout a commencé : « Je me suis tout de suite reconnu beaucoup dans le hip-hop. Quand tu es au début de ton adolescence, tu es un peu révolté et c’est une musique de la révolte. J’ai d’abord commencé à écrire pour le plaisir avec mes amis. J’ai toujours aimé écrire des histoires et j’avais de la facilité en français, en rédaction. Par le rap, j’ai trouvé un véhicule qui me représentait bien. »

Fasciné par le rappeur Eminem, il s’intéresse au « battle-rap », compétition dans laquelle deux rappeurs se mesurent en faisant valoir leur aisance au micro. « Ce que j’aime beaucoup, c’est que c’est très condensé, tu peux exprimer beaucoup de choses en peu de temps. » C’est entre autres en analysant ce genre d’artiste qu’il a élaboré son propre style, y appliquant évidemment sa propre couleur.

« J’ai eu la chance de débuter en 1998, alors que ça commençait vraiment à être effervescent sur la scène québécoise. Puis vers 2001, j’ai enregistré des chansons avec les moyens du bord dans le sous-sol d’un de mes amis et je les diffusais sur Internet. Ensuite il y a eu des tournois de “battle-rap” sur Internet. C’est quelque chose que je voulais faire et il y avait peu d’événements dans mon coin. C’est ce qui a lancé un peu l’intérêt pour moi. De là sont venues des invitations à participer à des spectacles. » Son premier album Les racines dans le béton est lancé en 2008 et connaît du succès auprès des critiques et du public.

«Généralement quand je travaille un beat que j’aime, je l’écoute sans arrêt et je construis ensuite le texte qui va vraiment s’harmoniser avec la musique. »

Pendant ses phases d’écriture, le rappeur de 28 ans commence généralement par faire une maquette de la chanson à la maison et invite ensuite des amis musiciens à ajouter leur touche. « C’est très rare que j’écrive le texte avant d’établir le rythme, mais je n’ai pas nécessairement de démarche précise, alors ça peut aussi arriver. Généralement quand je travaille un beat que j’aime, je l’écoute sans arrêt et je construis ensuite le texte qui va vraiment s’harmoniser avec la musique. »

Quels sont ses objectifs et comment qualifie-t-il sa propre démarche? « Ce que j’essaie de faire, c’est d’enlever cette idée de médiocrité intellectuelle souvent associée au rap. J’ai aussi envie d’exprimer des opinions politiques mais je trouve parfois difficile d’assumer le rôle d’un artiste dit engagé, parce qu’il faut que tu défendes tes idées sur la place publique et pas nécessairement de la façon que tu voudrais le faire. Simplement favoriser l’intelligence et l’ouverture d’esprit, je pense que c’est ça mon vrai cheval de bataille.»

Artiste aux nombreuses facettes, il ne tient pas à se limiter à une seule dimension : « Je n’ai pas le goût que toutes mes pièces soient lourdes de sens, je valorise aussi l’humour et le côté festif me vient très naturellement. » Ainsi, sur son deuxième album Petites victoires paru en 2011, des pièces plus sensibles côtoient sans difficulté un humour parfois décapant ou encore des messages sociopolitiques plus subtils. Il ajoute : « Je suis quelqu’un qui n’est pas capable d’arrêter d’analyser le monde et ça me fournit la matière dont j’ai besoin dans mes chansons. »

À propos du prix ÉCHO, qui comporte un choix des finalistes par des acteurs de l’industrie puis un vote du public, il dit avoir été surpris d’être sélectionné mais pas nécessairement de gagner : « Juste la nomination c’était beaucoup, j’étais surpris qu’ils sélectionnent un artiste rap, donc plus marginal. Par contre, pour ce qui est du vote du public, les fans de hip-hop sont très présents et se mobilisent pour les artistes qui leur plaisent. »

Fort de cet accomplissement et de sa notoriété grandissante (Koriass était notamment en nomination au récent Gala de l’ADISQ pour le Félix de l’auteur ou compositeur de l’année), il poursuit sa démarche réfléchie et aspire à une plus grande visibilité dans d’autres pays francophones. Les amateurs de hip-hop « songé » ne sauraient passer outre cet artiste unique au verbe facile et à l’esthétique très travaillée. Maintenant établi à Québec, le jeune père de famille originaire de St-Eustache est un magnifique exemple de sincérité, qui sans se prendre trop au sérieux, demeure un redoutable adversaire au micro.