La composition pour l’écran est à la fois une affaire d’étroite collaboration et de travail solitaire. Les Compositeurs à l’affiche carburent aux changements de rythme de travail, mais lorsque l’épidémie de COVID-19 s’est transformée en pandémie, ils ont compris que rien ne serait plus pareil dans leur quotidien et leur créativité.

Lesley Barber

Lesley Barber

« Étrangement, cet isolement forcé a été pour moi une sorte de libération vu que je suis une personne plutôt sociale », avoue la compositrice à l’écran Lesley Barber, dont le c.v. mentionne des films comme Late Night, mettant en vedette Mindy Kaling et Emma Thompson, le film oscarisé Manchester by the Sea et Tu peux compter sur moi, mettant en vedette Mark Ruffalo et Laura Linney. « Ça été très agréable d’avoir cette période de temps libre juste [pour] me concentrer sur mon écriture et rester en contact avec ma famille, mes amis et mes collègues à partir de chez moi. »

Barber ajoute que la pandémie a affecté ses projets – il y en a un qui a été mis sur pause, un autre qui a été remis à plus tard – et que les sessions en personne se sont transformées en appels ou réunions téléphoniques auxquelles peuvent participer des collaborateurs répartis dans plusieurs fuseaux horaires. Tous ces changements lui ont montré à quel point la pandémie touche ses pairs à différents niveaux. « Tout le monde a subi l’impact de la COVID – émotionnellement autant [que professionnellement] – et le fait de compatir avec les gens et de comprendre les changements avec lesquels ils ont eu à composer est une chose à laquelle je suis sensible quand je travaille avec des musiciens », explique-t-elle.

La sensibilisation à sa propre situation et à celle des membres de sa communauté a également été un phénomène important pour Amritha Vaz, qui est l’auteure de musiques pour des films primés comme Made In India (PBS), Little Stones et Music for Mandela, aisni que la série télévisée d’animation Disney, Mira Royal Detective (2020), et qui a servi d’apprentie pendant cinq ans au compositeur oscarisé de musique de film Mychael Danna. Vaz confie que la conciliation carrière-famille l’a complètement « déstabilisée et qu’il [lui] a fallu trouver un nouvel équilibre.

Amritha Vaz

Amritha Vaz

« Avant la pandémie », poursuit-elle, « je travaillais de 12 à 15 heures par jour pour pouvoir respecter les délais. Sans le soutien des gardiennes et de l’école, c’est devenu un immense jonglage. Mon partenaire travaille lui aussi en création, et il a un horaire de travail insensé. À l’heure actuelle, il est important pour moi d’établir un équilibre entre la livraison de la meilleure musique dont je suis capable, dans les délais qui me sont imposés, et le besoin de prendre soin de moi et de ma famille. »

Les troubles sociaux et politiques que connaît le monde depuis que des policiers ont assassiné des Afro-américains sans armes comme George Floyd, Breonna Taylor et tant d’autres sont un coup dur de plus pour cette compositrice basée à L.A., et cette situation lui fait ressentir encore davantage le besoin de se mettre en relation avec sa communauté – même en période de distanciation sociale.

« Initialement, c’était comme un coup de poing à l’estomac au milieu d’une période déjà sombre », explique Vaz. « Mais une chose étrange s’est produite : les membres de la direction et les collègues ont commencé à entamer de véritables conversations sur la politique et le changement social. J’ai commencé à observer un peu partout des gestes de solidarité de la part d’autres artistes ou d’amis. Ça créait une impression de connexion et d’appartenance qui m’avait manquée. Ça m’a redonné espoir et inspirée. Ce ne sont là que des premiers pas dans la direction de ce qui devra être une transformation massive du système, mais j’étais heureuse de constater ces petites avancées. Je compte également davantage sur le soutien et la camaraderie des compositeurs que je connais, particulièrement ceux du Composers Diversity Collective.”

Pour les co-équipiers Amin Bhatia et Ari Posner – surtout connus pour leur travail maintes fois primé (y compris par la SOCAN) sur des séries télé qui ont été vues autour du monde telles  Flashpoint et X Company – la camaraderie fait partie du métier. Ces deux compositeurs à l’image remportaient récemment leur second prix Écrans canadiens pour Anne with an E, mais la pandémie est bientôt venue ralentir leur élan.

Amin Bhatia, Ari Posner

Amin Bhatia & Ari Posner

« Ça aurait été le moment idéal pour nos agents d’aller nous chercher d’autres mandats », observe Bhatia, « mais l’absence des équipes de tournage signifie en même temps une absence de production et une absence de postproduction, ce qui veut dire que ça pourrait être assez long. L’animation, par contre, se porte vraiment bien. Ari et moi avons été engagés pour la prochaine saison de Luna Let’s Go plus tard cette année, et nous avons très hâte de nous mettre à l’œuvre. »

Certains prétendent que les redevances produites par l’essor de la diffusion en continu pourraient aider à compenser la perte des projets qui ont été reportés, mais Bhatia ne le pense pas nécessairement. « La structure commerciale actuelle des services de diffusion en continu fait de loin plus de tort aux compositeurs et aux auteurs-compositeurs que tout ce que la pandémie pourrait causer », affirme-t-il. « De nombreux compositeurs et auteurs-compositeurs ont vu chuter leurs redevances de 50 à 90 % au cours des deux dernières années. Ce système fait actuellement l’objet d’un réexamen… donc on espère qu’on pourra en arriver à une meilleure situation qui pourra être gagnante à la fois pour les créateurs, les distributeurs et les consommateurs. Et puis nous disposons de beaucoup de temps maintenant pour des réunions en ligne entre la SOCAN, la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image (SCGC) et des partenaires de l’industrie pour aplanir ces difficultés en attendant que les caméras se remettent à tourner. »

Posner ajoute que cet intervalle de temps est également une bonne chose pour la régénération créatrice. « C’est un ralentissement forcé non seulement pour l’économie, mais pour notre système nerveux aussi », observe-t-il. « Si je n’avais pas à gagner ma vie et à faire vivre ma famille, c’est un rythme auquel je pourrais facilement m’habituer. Un des grands avantages, pour moi personnellement, ça été d’avoir plus de temps pour m’installer tranquillement au piano. Ça été une grande joie et tout un défi – répéter une pièce de musique complète jusqu’à ce que je la sache suffisamment par cœur pour la jouer avec confiance du début à la fin. »

Jeff Danna

Jeff Danna

Jeff Danna – lauréat de trois prix Écrans canadiens et de douze prix de la SOCAN et créateur de trames sonores pour des films comme Le Bon Dinosaure (Pixar), Kurt Cobain: Montage of Heck et L’imaginarium du docteur Parnassus (Terry Gilliam) – occupe un studio qui fait face à une jolie rue achalandée de la vieille ville de Pasadena en Californie. Mais quand le confinement a été imposé dans cet État, la circulation piétonne s’est arrêtée, et lorsque les manifestations ont commencé,  les magasins ont été murés – victimes d’une double crise. Danna n’en a pas moins terminé des projets pour des productions comme la série Chasseurs de Trolls de DreamWorks Animation (Guillermo Del Toro). « C’était très amusant, vraiment cool », rapporte-t-il. « J’étais content d’avoir du pain sur la planche au moment où les choses commençaient ralentir dans la profession. »

Maintenant que les dates limites se font plus rares, Danna, tout comme Posner, est libre de créer à son propre rythme.

« En art, on ne cesse jamais d’apprendre », observe-t-il. « J’ai un livre d’orchestrations de Ravel, et il se pourrait bien que je me plonge dedans et que je fasse des efforts pour aiguiser mon sens du métier et de l’esthétique. Quand on a les yeux fixés sur des dates limites en permanence, on n’a pas nécessairement le temps d’analyser le processus créateur. Je vais tenter d’en profiter pour explorer des recoins de mon métier où je ne me rends normalement jamais, et pour voir si je peux faire reculer un peu mes limites. »