Lorsque nous rencontrons la compositrice de musique à l’image Amritha Vaz en juillet 2016, elle fait un stage au prestigieux Sundance Institute Music and Sound Design Labs de Skywalker Sound, situé sur le Skywalker Ranch du créateur de Star Wars, George Lucas, dans le nord de la Californie. Elley participe à des ateliers et des exercices créatifs sous la direction d’éminents compositeurs de musique à l’image et autres professionnels de la musique servant de conseillers créativité. Chaque équipe compositeur/réalisateur a ses musiques originales pour de nouvelles scènes de film indépendantes interprétées en direct par un orchestre de chambre.

« On te jumelle avec ces cinéastes extraordinaires et on te donne quelques jours pour mettre en musique des scènes plutôt difficiles, et tu ne peux pas t’empêcher d’être prise de panique à l’idée de te planter royalement », explique Vaz. « Ensuite tu te rappelles que oui, c’est précisément le but de l’exercice. S’il y a un endroit où je peux essayer de nouvelles choses et prendre des risques sans avoir peur, c’est bien ici. »

Ce n’est pas par hasard que le mur de la pièce où elle nous reçoit est décoré d’une affiche qui dit Make Mistakes. « J’ai tellement de chance d’avoir eu Harry Gregson-Williams, Christophe Beck et Edward Shearmur comme mentors », reconnaît Vaz. « Il y a tellement à apprendre d’artistes qui peuvent travailler à ce niveau-là, non seulement pour la création, mais aussi pour équilibrer les pressions temporelles et les problèmes techniques, réagir à des opinions différentes — y compris les tiennes ! – et comprendre à demi-mot… J’ai aussi tellement appris de mes collègues compositeurs, des concepteurs sonores de Skywalker et de toute l’équipe de Sundance. Ils ont tous été tellement généreux de leur temps et honnêtes concernant leur cheminement personnel. Ironiquement, en venant ici, je m’attendais uniquement à faire l’apprentissage de nouveaux outils et de nouvelles techniques d’écriture — mais bien que j’aie décidément approfondi ma connaissance du métier, j’en repars avec quelque chose d’infiniment plus précieux : m’être fait dire par tout ce monde que j’admire que je mérite d’être ici. » C’était la troisième année que Vaz postulait pour le programme, et elle a finalement été admise cette année. Pas étonnant qu’elle en soit si reconnaissante.

Amritha Vaz

Vaz s’y connaît déjà en écriture de musique de film, bien entendu. Elle a récemment écrit deux musiques pour le laboratoire Project Involve de Film Independent et signé celle des documentaires Made in India (PBS) et Music for Mandela après avoir collaboré à l’écriture de musiques de film pendant plusieurs années. Née au Canada de parents d’origine indienne et établie à Los Angeles, cette multi-instrumentiste a servi d’assistante pour de nombreux films couronnés d’Oscars ou de prix Emmy du compositeur de musique de film et de télévision Mychael Danna, notamment 500 Days of Summer, Pomegranates and Myrrh et Cooking with Stella.

Comment a-t-elle rencontré le compositeur de L’Histoire de Pi, qui s’inspire des traditions musicales de l’Asie du Sud et du monde occidental ? « Quand je l’ai croisé pour la première fois, il portait un tee-shirt sur lequel on pouvait lire le mot desi, un terme hindi qui signifie essentiellement local ou un des nôtres », raconte Vals. « J’étais comme “Ah ouais ? Tu te prends pour un gars de la place ? » C’était juste une blague. C’était drôle et il l’a bien pris. En l’entendant parler, je pouvais constater l’immense détour par lequel il était arrivé à la musique indienne, et j’aimais la façon dont il parlait de la musique de film… Il parlait de l’importance de trouver sa propre voix, et son histoire m’a réellement accrochée. Le fait qu’il travaillait lui aussi sur de nombreux films indiens décalés en plus [de films grand public] voulait dire que je connaissais son travail. Je l’ai contacté un peu après pour m’excuser de l’avoir malmené. Je me suis rendu compte que j’étais fière de le considérer comme un desi.

« J’ai l’impression que l’industrie dans son ensemble commence à vouloir diversifier ses équipes – non seulement parce il est important d’être plus inclusif, mais aussi parce que ces candidats sont excellents dans leur métier. »

« Il est sans doute absolument improbable que tu ailles entendre une conférence de compositeur et que, six mois plus tard, tu travailles avec lui comme assistante », s’étonne Vaz. « J’ai eu la chance incroyable de faire mes débuts avec un autre compositeur canadien, Tim McCauley. Puis, moins d’un an après, par un autre coup de chance, je commence à travailler dans le studio hollywoodien de Mychael. Quand tu commences à travailler comme assistante, tu peux exceptionnellement avoir la chance de décrocher un contrat d’écriture, mais il arrive plus souvent que tu aies à faire ton propre chemin vers une telle position. Peut-être parce que je n’avais pas de formation formelle en composition de musique de film, j’étais extrêmement consciente de la courbe d’apprentissage que j’avais devant moi, si bien que j’étais tout aussi désireuse d’apprendre la configuration des modèles Logic Pro et la synchronisation vidéo que je l’étais d’absorber des connaissances musicales. Le fait d’être un peu nerd a probablement aidé, mais même à ce compte-là, il y avait tellement à apprendre ! April Lebedoff, du bureau de la SOCAN à Vancouver, a décidément reçu plus que sa part de courriels désespérés pour lui demander comment remplir un rapport de contenu musical. Éventuellement, j’ai eu la chance d’écrire de la musique additionnelle pour Mychael, et nous avons même écrit deux musiques ensemble. »

Vaz en a beaucoup appris comme assistante du compositeur Mychael Danna depuis environ 2008 jusqu’à la fin de 2013. « J’ai acquis de l’expérience et de l’intuition dans la composition de musiques de film de haut niveau, dans l’art d’incorporer de la musique du monde et d’écrire des musiques à la fois épurées et hautement orchestrées », explique-t-elle. « Il m’a toujours encouragée à me “raccrocher au concept” dans mon écriture, à me mettre au défi d’aller au-delà de l’évidence et à songer à contribuer à l’histoire globale du film tout en produisant des musiques qui soient belles en elles-mêmes. Après tout ça, il y a l’art de lâcher prise avec grâce lorsque ce que tu as essayé ne tient pas la route et que tu dois retourner à la case départ. Je ne prétends maîtriser aucune de ces choses-là, mais j’essaie, ça c’est sûr ! »

Amritha Vaz

Le cheminement de Vaz a connu de nombreux détours avant de la conduire là où elle est aujourd’hui. Violoniste classique pendant son adolescente, une mauvaise tendinite (« tellement sérieuse que j’étais incapable de m’habiller ou d’ouvrir une porte ») l’amène, à l’âge de 16 ans, à se rendre en Inde pour étudier la musique classique indienne, qui encourage l’improvisation. Elle commence alors à créer de la musique, à se joindre à des groupes et à jammer. Mais sa tendinite n’étant pas encore complètement guérie, elle se découvre une nouvelle passion : la justice sociale. Elle obtient un diplôme en sciences politiques, une maîtrise dans le cadre du programme d’études du développement international, puis en droit, et part travailler en Afrique du Sud. De retour à Vancouver, incapable de se trouver du travail comme avocate, elle se met à aider d’anciens amis de l’école des beaux-arts qui avaient besoin de musique pour le court métrage qu’ils tournaient.

« Vu que mon grand-père travaillait à Bollywood, c’est peut-être pour ça que je me suis dit que ça pourrait être agréable d’essayer, mais je n’avais aucune idée que ce serait le coup de foudre », se souvient-elle. « C’était passionnant de collaborer et d’aider à raconter des histoires de cette manière-là, mais une autre lumière s’était déjà allumée. Quand je travaillais en Afrique, j’avais entendu parler de groupes de théâtre musical qui remportaient plus de succès dans le domaine de la sensibilisation au sida que les politiques traditionnelles, et j’ai commencé à me demander si je ne pourrais pas faire quelque chose dans ce sens-là avec mon amour de la musique. Peu de temps après le court métrage, j’ai rencontré Tim McCauley, et il m’a aimablement donné la chance d’écrire des musiques pour un documentaire de la CBC sur les réfugiés hongrois, et je me suis soudainement rendu compte que la composition de musique de film pourrait être le lien entre ces deux mondes-là. »

Comme mère socialement consciente et femme de couleur travaillant dans une industrie dominée par de très riches hommes blancs, Vaz voit son métier de compositrice de musique de film d’un œil particulier. « Bien que personne n’ignore que les femmes et les personnes de couleur ont fait face à la discrimination, je pense que les choses changent », observe-t-elle. « Il y a des tas de champions partout, et j’ai l’impression que l’industrie dans son ensemble commence à vouloir diversifier ses équipes – non seulement parce il est important d’être davantage inclusif, mais aussi parce que ces candidats sont excellents dans leur métier et qu’ils apportent de nouvelles perspectives emballantes qui n’ont pas encore réellement été entendues. »

Le prochain projet de Vaz est un long métrage documentaire qui correspond parfaitement à sa philosophie. « Little Stones raconte l’histoire d’artistes sénégalaises, brésiliennes, indiennes et kenyennes qui changent profondément la vie des femmes, et ce, particulièrement dans les domaines de la mutilation génitale, de la violence domestique, du trafic sexuel et de l’extrême pauvreté », explique-t-elle. « Elles n’ont aucun financement, aucun argent. Elles agissent simplement de leur propre chef, accomplissent simplement des choses étonnantes… des femmes de vision qui ont une histoire incroyable à raconter. »

CONSEILS D’AMRITHA VAZ AUX JEUNES COMPOSITEURS DE MUSIQUE À L’IMAGE

  • Trouvez votre voix. Qu’est-ce que vous et votre son avez de particulier ? La technique s’apprend, mais la découverte de votre voix est la vraie clé.
  • Entourez-vous d’une communauté de compositeurs/artistes — pour pallier la solitude possible de ce métier, il est important de pouvoir compter sur le soutien d’autres artistes pour apprendre, collaborer et parfois s’apitoyer.
  • Bâtissez votre équipe — au début, vous faites tout vous-même, mais à mesure que vous entreprenez des projets plus importants, vous avez besoin de musiciens, de mixeurs de réenregistrement, d’assistants Pro Tools, d’entrepreneurs, d’orchestrateurs et d’assistants sur lesquels vous pouvez compter pour vous aider à réussir.
  • Adhérez à une association de compositeurs — pour bâtir des alliances, enrichir vos compétences et trouver des mentors.
  • Amusez-vous — cela peut sembler banal, mais j’essaie autant que possible de découvrir l’aspect joyeux de ce que j’écris parce que je suis persuadée que, en fin de compte, ce qui m’interpelle en interpellera d’autres aussi.