La question qu’on pose le plus souvent à Ric’key Pageot (qui vit à L.A., mais est né à Montréal) au sujet de son intrigante carrière est sans aucun doute « comment est Madonna en personne? »
Après avoir été directeur musical pour le Cirque du Soleil, ce vétéran de la SOCAN a été claviériste pour Madonna 4 dans le cadre de quatre de ses tournées mondiales, à commencer par Sticky & Sweet en 2008, et il a également donné des cours de piano à sa fille Mercy James qui se produit actuellement avec maman pour sa tournée Celebration.
Vous voulez le savoir, alors voici sa réponse : « elle travaille incroyablement fort, c’est une microgestionnaire qui se soucie du moindre détail et tout ce qui compte pour elle c’est d’être au sommet de son art, et elle attend la même chose de toute son équipe », confie-t-il en rigolant. Nous l’avons joint chez lui, à Los Angeles, où il vit avec son épouse Dessy Di Lauro, une autrice-compositrice également membre de la SOCAN et la figure de proue de leur groupe Parlor Social, un groupe qui a créé son propre genre musical combinant soul et funk dans un style datant de la Prohibition.
« Le concept qu’on a créé est une version moderne de la renaissance de Harlem », explique Pageot. « La musique est le fruit de notre collaboration où Dessy écrit les chansons et les textes en plus d’être choriste et moi je produis et collabore à l’écriture. »
« Ce qui est vraiment intéressant, c’est que Dessy est autodidacte tandis que moi j’ai étudié la musique toute ma vie, mais cela ne nous empêche pas d’avoir cette complicité qui fait qu’on s’entend parfaitement », dit l’homme qui a été choisi comme ambassadeur de marque pour les pianos Steinway. « Je vais proposer les accords les plus raffinés et elle est capable de composer avec ça parce qu’elle a une oreille incroyablement développée. Elle trouve les meilleures mélodies et je les complète avec les accords les plus jazzy qui soient. »
Pendant que Parlor Social est en veilleuse en raison des nombreux projets auxquels sa femme et lui participent séparément, Pageot – qui a écrit pour Jill Scott et Earth, Wind & Fire, et qui a également tourné avec Cher et Diana Ross – se concentre sur deux projets.
En ce moment, il collabore avec Christina Aguilera pour une résidence où elle se produit le week-end durant tout l’été au Voltaire, une salle de spectacle « intime » de 1000 places située dans l’hôtel Venetian de Las Vegas.
Plus important encore, Pageot se prépare à faire ses débuts au théâtre, fin avril 2024, dans la production de la Latino Theater Company de Ghost Waltz d’Oliver Mayer.
Pour ce premier rôle en tant qu’acteur, Pageot incarne Scott Joplin, un expert du piano ragtime dans une pièce qui raconte la vie du compositeur classique mexicain Juventino Rosas, dont l’œuvre la plus célèbre, Sobre las olas, a été attribuée par erreur à Johann Strauss.
« Scott Joplin a écrit deux opéras », explique l’artiste. « L’un a été détruit, personne n’arrive à en trouver une quelconque trace, et l’autre, Treemonisha, il l’a présenté en version piano solo et voix parce qu’il n’avait pas les moyens de financer sa production complète. Il a souvent été présenté dans les années 70 et même l’an dernier, il a été monté par trois ou quatre compagnies différentes. Il est vraiment devenu pas mal populaire. »
Ce rôle s’inscrit parfaitement dans le mandat qu’il s’est donné, soit de mettre en valeur les œuvres des compositeurs Noirs de musique classique comme William Grant Still, George Walker, Florence Price, Joseph Boulougne Chevalier, George Bridgetower et le Canadien R. Nathaniel Dett, originaire de Drummondville, en Ontario.
« Au cours des dix premières années où j’ai étudié la musique classique, je ne me souviens pas qu’on m’ait parlé une seule fois des compositeurs noirs de musique classique qui ont pourtant grandement contribué à ce genre musical », dit-il. « En 2019, je conduisais sur Highland Avenue, à Hollywood, et j’ai vu la marquise du Hollywood Bowl qui affichait “Afro-American Symphony” par William Grant Still, et ce fut ma première découverte. Je suis rentré chez moi et j’ai commencé à faire des recherches, puis quand la pandémie a frappé, je ne faisais que ça, des tonnes de recherches sur les compositeurs noirs et la musique classique partout dans le monde. »
« Je visitais plein de bibliothèques et de centres culturels. C’est rendu une véritable passion et ça me permet d’apprendre tout en me ramenant à la base, soit de recommencer à jouer de la musique classique en public. C’est une période vraiment stimulante de ma carrière, je dois dire. J’ai l’impression que c’est mon devoir et que je dois le faire pour les générations à venir. »
Pageot propose une demi-douzaine d’enregistrements mettant en vedette ces compositeurs méconnus sur Spotify. « Je n’en suis carrément qu’au tout début de cette démarche. »
Grandir à Montréal
Après avoir obtenu un diplôme du Collège Vanier, il a complété un baccalauréat en interprétation jazz à l’Université McGill et Pageot jouait régulièrement au très populaire Jello Bar en tant que membre du groupe Café Soul.
« Le Jello Bar était comme une école pour moi », se souvient-il. « Le chanteur du groupe était le légendaire Alan Prater et son groupe m’avait pris sous son aile. Prater a tourné avec The Jacksons au début des années 80 et il a écrit des “hits” avec Cameo. Jouer au Jello Bar toutes les semaines était mon école après l’école. C’était mon endroit préféré. »
Il affirme que le fait de grandir à Montréal a aidé sa carrière d’autres façons. « La beauté de grandir à Montréal, c’est que t’es exposé à tellement de cultures différentes, que ce soit la nourriture, les langues et, bien entendu, la musique », explique-t-il. « Le fait d’être en contact avec tant de styles musicaux différents a définitivement aidé ma carrière et dicté mon approche. On me dit souvent que j’ai un style de jeu différent, même si je ne m’en rends pas compte. Il faut être Américain pour entendre mes différentes influences. »
Pour la petite histoire, l’étudiant juste avant Pageot lorsqu’il suivait des cours de piano avec une religieuse qui enseignait l’instrument était nul autre que Justin Trudeau. « Disons simplement qu’il est meilleur comme premier ministre que comme pianiste », plaisante Pageot.