« Tous les jours printemps » n’est pas un vœu, mais une certitude. Le titre du deuxième album d’Original Gros Bonnet, septuor jazz rap qui a remporté l’édition 2019 des Francouvertes sous l’acronyme O.G.B., est donc davantage à prendre comme un adage annonçant un constant changement de cycle qu’un mantra incarnant l’espoir d’un jour meilleur.

« Dans ce cas-ci, le printemps est quelque chose d’inévitable. Ça représente la renaissance, le renouveau. Le cycle est annuel, mais aussi quotidien. Il faut l’accepter pour savoir en profiter et le célébrer… plutôt que l’encaisser », explique le rappeur François Marceau (alias Franky Fade), principal vocaliste du groupe.

« C’est aussi un portrait de notre ambition », poursuit Samuel Brais-Germain, réalisateur de l’album et arrangeur en chef. « C’est un spin positif de notre rapport au hustle, au travail qu’on fait pour arriver à nos fins. »

Au centre des thématiques de cet opus : l’épanouissement. Sur Watch a Flower Bloom, l’image de la fleur colle tout particulièrement bien au sentiment qui habitait le jeune rappeur durant l’écriture de l’album. « La fleur éclot tranquillement. C’est imperceptible, mais elle s’ouvre pour vrai. Faut accepter que l’évolution prend du temps. »

Et considérant la fragilité de la fleur, son évolution n’est pas toujours évidente ni même garantie. De là l’anxiété qui guette le rappeur sur certaines pièces comme Sous stress et Jusqu’au noyau. « J’ai un rapport craintif par rapport au succès. J’ai parfois peur que ça finisse par me détruire… On a tellement vu de monde atteindre le sommet et finir par crasher. C’est pour ça que je me demande constamment ce que je veux », confie le rappeur. « J’ai pas tendance à prendre les meilleures décisions sous pression. Je dois dealer au quotidien avec les remises en question. »

Si les doutes ont nourri les textes de Marceau, ils n’ont pas altéré les sessions de création du réalisateur et des cinq autres membres : le guitariste John Henry Angrignon, le pianiste Vincent Favreau, le bassiste Vincent Bolduc-Boulianne, le batteur Louis René et le saxophoniste Arnaud Castonguay. Anciens collègues du programme de musique au cégep de Saint-Laurent, les musiciens et amis montrent avec Tous les jours printemps qu’ils sont maîtres de leur instrument respectif et qu’une fois leurs forces combinées, ils peuvent composer des chansons aussi impressionnantes et audacieuses que concises.

Deux résidences de création ont été particulièrement bénéfiques pour ces sept grands mélomanes de jazz, qui ont tous vécu une illumination il y a quelques années après avoir entendu To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, bougie d’allumage de leur amour pour le rap. L’une d’entre elles a eu lieu dans un chalet aux abords du lac Castor, à Saint-Paulin, en octobre 2019. « On est restés cinq jours, c’était super beau. On avait acheté une grosse console portative et on l’a installée pour enregistrer tout ce qu’on joue. Dès qu’on avait une bonne idée, on réécoutait les takes. Ensuite, on s’organisait des réunions pour savoir qui fait quelle partie. Entretemps, on avait aussi du temps pour chiller, faire du canot, fumer des battes. On a joint l’utile à l’agréable », relate Marceau.

Enregistré juste avant la pandémie aux studios Madame Wood et Dandurand à Montréal, Tous les jours printemps profite aussi des sessions d’un quatuor à cordes et d’une section d’instruments à vent, en plus de pouvoir compter sur la présence du rappeur Jam (sur Ballade) et sur l’expertise de l’ingénieur de son et mixeur Manuel Marie.

OGB, Original Gros BonnetBref, comme le stipule Marceau dans Jusqu’au noyau, la formation s’est « donné les moyens de [ses] ambitions » avec cet opus, éminent successeur à leur album Volume Un (2018) et à leurs EPs Original Gros Bonnet (2017) et Fruit Jazz (2018). « On n’a pas voulu couper dans quoi que ce soit. Dès qu’on avait une idée, on allait jusqu’au bout », explique Arnaud Castonguay. « Mais bon, c’est sûr qu’on a pu faire ça grâce aux bourses et aux prix qu’on a eus, notamment durant les Francouvertes. »

« Ouais, ça va être différent pour le prochain. La pochette va être faite sur Paint », ajoute Samuel Brais-Germain, en riant.

Et à sept musiciens, avoir les moyens de ses ambitions passe par un amalgame bien dosé des goûts et influences de tout un chacun. Cette fois, le groupe a choisi de rendre hommage aux ambiances cinématographiques de compositeurs émérites comme Quincy Jones et Henri Mancini plutôt qu’à Kendrick. Leur amour commun pour Tyler, The Creator, Playboi Carti et PNL a aussi teinté leur création, ce qui a provoqué un changement esthétique, notamment perceptible par l’utilisation plus harmonieuse et planante de la voix de Marceau sur certaines pièces.

« Ça s’est pas fait de manière consciente, mais oui, ma voix sonne un peu plus comme un instrument [que d’habitude]. Avant, j’étais dans l’interprétation des textes, tandis que là, je les ressens plus. Ça donne un résultat que je trouve plus authentique et qui s’intègre mieux à la musique », analyse le principal intéressé, qui a fait le choix (conscient, cette fois) de délaisser le franglais. « Je voulais être plus en phase avec les origines et la facture esthétique d’O.G.B… Et on a tous été élevés en français. »

Original Gros Bonnet préfère donc le consensus au compromis. « Si on veut que tout le monde soit content de l’album, on peut pas aller dans un vibe hyper électro ou trop commercial », résume Brais-Germain. « On n’a pas le choix d’aller vers un son (aussi niché que ça). C’est la musique qui nous ressemble. »