Milk & BoneUn peu moins de trois années ont passé depuis l’arrivée immanquable de Laurence Lafond-Beaulne et Camille Poliquin dans la cour des grands. Leur duo Milk & Bone fait partie des recettes gagnantes; un amour au premier regard entre leur univers mystérieux et le public. Après Little Mournings, elles nous invitent ces jours-ci dans la Baie des Déceptions, l’endroit où l’on se rejoint quand on veut remonter la pente en se servant des erreurs du passé pour aller plus loin. Bienvenue à Deception Bay.

Je rencontre Laurence et Camille dans un café montréalais où elles rigolent déjà entre elles à mon arrivée. « On se lance en humour », plaisante Camille. « On va faire notre propre première partie avec notre show d’humour. Camille fait des jokes et moi je ris », ajoute Laurence.

Même si les talents humoristiques des deux musiciennes ne font pas partie des véritables plans de carrière du duo, il est fort intéressant de constater l’habileté incroyable qui leur permet de chanter des chagrins tout en laissant transparaître une intense lumière. « Tous les textes de nos chansons partent d’émotions réelles. On les écrit parce qu’on a besoin de les écrire, mais on a écouté énormément de pop dans notre vie, donc, instinctivement, c’est plus lumineux, comme la pop peut l’être, quand on arrive à l’étape des arrangements », explique Camille.

You never said why you went away / We’ll meet again in Deception Bay / You promised you would be here to stay / We’ll meet again in Deception Bay

La chanson-titre de l’album évoque cet endroit onirique où l’on récupère les histoires qui ont mal tourné. On y retrouve toute l’espérance qui réside dans la perte des instants précieux. « Deception Bay, c’est là où tu envoies tout ce qui t’a déçu. C’est un endroit honteux, difficile à visiter, mais il est important parce que c’est grâce à lui que tu es plus fort après, même si c’est douloureux », image Camille.

« On était vraiment inquiètes par rapport à ce titre-là, même si ça allait de soi pour nous que l’album devait porter ce nom, ajoute Laurence. On se disait que de mettre le mot déception dans ton titre d’album, c’est un peu comme donner gratuitement la ligne aux critiques qui n’aimeront pas ça (rires). Mais on espère que les gens y verront davantage l’aspect poétique. »

Le temps des compromis

Travailler en équipe exige des sacrifices, c’est vrai dans tous les domaines, mais réussir à élever une œuvre commune en ayant deux visions plutôt qu’une, ça demande une approche particulière du travail. Pour Milk & Bone, il est inutile de chercher à trouver le juste milieu entre les deux pôles, car Camille et Laurence se présentent comme des éléments complémentaires.

« Je pense que, juste de travailler avec quelqu’un qui gère les choses différemment, ça m’aide à être plus sensible aux autres, dit Laurence. Avant de travailler en équipe, tu penses toujours que tout le monde travaille exactement comme toi, qu’il n’y a qu’une façon de faire. Camille m’inspire beaucoup et elle me challenge. Il y a une grande partie de moi qui se force à être bonne parce que je veux qu’elle soit contente. »

Pour Camille, le lien n’est rien de moins que le plus intense de tous : la famille. « Un chum, une blonde, des meilleurs amis… ce sont des choses qui peuvent se briser, admet Camille. Nous, on est liées par notre projet. C’est vraiment un sentiment d’être sœurs. Même si on se voit dans nos pires moments, on sait qu’on va toujours devoir prendre soin de l’autre. » « C’est le genre de relation où tu ne peux pas juste quitter quand ça va mal. Il faut que tu t’occupes de la situation », renchérit Laurence.

« On avait envie de ne pas s’imposer de limite. Dans la création, la seule vérité, c’est qu’on a le droit de faire ce qu’on veut », Camille Poliquin, Milk & Bone

Penser la suite

Il y a trois ans, Milk & Bone esquissait un projet sur un canevas tout blanc. Aujourd’hui, le duo détient le sceau d’approbation critique et populaire qui prouve que les deux jeunes femmes ont fait leurs preuves. « On sait que les gens attendent le nouvel album donc ça nous motive », dit Laurence. « Si le premier avait moins bien passé, on aurait entamé la production du deuxième avec un peu plus d’amertume », complète son acolyte. « Au moment où on n’avait encore rien prouvé, les gens avaient déjà confiance en nous, se rappelle Laurence. La SOCAN, entre autres, nous a décerné son prix Révélation en 2015. Ils ont vu quelque chose en nous au départ, quand on n’était seulement deux jeunes femmes qui décidaient de se lancer. On ne s’attendait vraiment pas à être autant prises sous leur aile. »

BBBLUE, :’) et Tmrw. font partie des titres de chansons que l’on retrouve sur Deception Bay. De quoi faire sourciller les plus conservateurs et titiller les amateurs de singularité. Ici, Milk & Bone repense la forme et fait exploser le cadre. « Pour le premier album, on a fait les choses en bonne et due forme avec une majuscule au début de chaque mot, mais la vérité, c’est qu’on ne travaille pas comme ça, assure Camille. On avait envie de ne pas s’imposer de limite. Dans la création, la seule vérité, c’est qu’on a le droit de faire ce qu’on veut. »

Plus qu’une abolition du cadre, le duo offre son propre moule : une identité visuelle qui lui est propre et qui permet d’embrasser la musique, de s’y fondre, d’en faire partie. « Tout est calculé, confirme Laurence. On sait qu’il y a beaucoup plus de chance que les gens s’approprient ce qu’on fait s’ils peuvent capter toute la cohérence qui entoure la chanson. » « Je consomme autant de musique que d’images, complète Camille. Pour moi, ça va de soi. Et c’est pourquoi, même s’il n’y a pas de clip officiel pour chaque chanson, on va créer un visuel pour chacune d’elle pour que les gens puissent se mettre à off et s’imprégner d’une image en écoutant. On sait que nos chansons vont exister de cette façon, sur YouTube. C’est important pour nous que tout ce qui entoure la consommation de la pièce soit unique. »

Chez nous, partout

Le groove électro féminin proposé par les deux femmes ne plait pas qu’ici et, rapidement, elles ont pu faire voyager leur son. L’exportabilité de la musique, est-ce que ça se calcule ? « Je ne le sais pas, avoue Camille. Mais je sais que si on y réfléchit trop, ça ne marchera pas. Pour nous, la seule raison qui fait en sorte que ça parle aux gens, c’est que ça nous ressemble. Pour rejoindre quelqu’un intimement, il faut que nous-mêmes on ressente des affaires. Ce n’est même pas une question de chanter en anglais ou pas. »

Si le deuxième album est souvent celui qui provoque des angoisses de performance aux artistes, ici, la route a été moins sinueuse compte tenu de la confiance engendrée par le succès du premier effort. « On voulait prendre tout ce qu’on avait aimé du premier album et pousser ça plus loin », dit Camille. « Mon seul stress est arrivé une fois que l’album a été complètement fini. Il est devenu, par définition, imparfait parce qu’on ne pouvait plus y toucher. Mais j’ai vraiment hâte que les gens puissent l’entendre », admet Laurence.

Devant leurs claviers et leurs consoles, Camille et Laurence sont en contrôle. Sachant que le préjugé de la « chanteuse qui ne sait que chanter » est bien vivant dans le monde de la musique, elles ont choisi d’attaquer la tournée encore une fois, que toutes les deux. « On s’est toujours entourées de gens vraiment respectueux donc dans le day to day, on ne sent pas cette pression-là, mais on trouvait que ça avait plus de sens de défendre à deux notre musique qu’on fait à deux. »

Complices et pleines d’assurances, Camille Poliquin et Laurence Lafond-Beaulne nous font voguer sur leur baie jamais décevante. On y rencontre des voix fortes qui savent guider la peine vers des eaux plus calmes. « On est vraiment devenues de meilleures musiciennes depuis le premier album, affirme Laurence. On a évolué. » « On est solides et, même si j’ai déjà douté du fait d’être bonne dans mon métier, là, j’ai le sentiment que je peux me permettre d’être whatever the fuck I am. » C’est dit. Et c’est vrai.