Au fond du ciel, la mort d’une étoile survient dans un éclatement brutal et brillant, qui envoie des débris de lumière dans l’espace. Les sœurs Boulay partent en quête de cette intense clarté, de ce qu’il reste après nous. Leur troisième album La mort des étoiles est porté par leurs voix d’adultes, de femmes fortes qui constatent leur fragilité et celle du monde. Avec Connor Seidel à la coréalisation, Mélanie et Stéphanie signent une œuvre chargée qui les sort officiellement de l’adolescence et qui confirme tous leurs choix précédents.

« S’il vous plaît quelqu’un, faites quelque chose pour virer le courant », réclament les sœurs dans la chanson-titre de l’album. Connectés sur tout ce qui existe sauf sur nous-mêmes, nous évoluons dans une ère paradoxale où tout ce qui nous permet de communiquer nous éloigne pourtant les uns des autres. « C’est une chanson sur cette chute de l’humanité, mais aussi sur la chute du règne de l’image, dit Stéphanie. On explique qu’on aimerait, idéalement, ne pas avoir à nous vendre sur Instagram. Il paraît que Dieu est mort et que l’homme a pris sa place, mais ce n’est pas l’homme qui est rendu au centre de tout, c’est ce regard omniscient de tous nos réseaux qui est invisible, mais constamment en train de nous juger et de nous faire douter de nous. »

La pause des sœurs Boulay, après la tournée de 4488 de l’Amour (2015), a permis à Stéphanie de sortir un album solo et à Mélanie de prendre un congé de maternité après la naissance de son fils. « C’était clair que c’était juste une pause et elle était prévue avant l’enfant, assure Mélanie. Les pauses, ça fait peur aux gens parce que souvent, les artistes ne reviennent pas pour vrai. Pour nous, c’était vraiment la seule façon de savoir qui on était sans l’autre. » Le hiatus a fait perdre à Mélanie la corne qu’elle avait eue sur les doigts depuis toujours. Puis, séparément elles ont écouté et vécu des choses qui les ont menées à ce qu’il reste des étoiles.

Les arrangements du troisième album enrobent les sujets durs comme une grande couverture d’hiver, un travail qui s’est fait avec un entourage riche. « On était habituées à nous deux et on ne voulait laisser rentrer personne, se rappelle Mélanie. On avait peur de perdre notre essence. Maintenant, on a tellement confiance en notre unité en duo que ça nous permet d’aller chercher tous les points positifs chez les autres. » «On n’a presque pas joué sur l’album, ajoute Stéphanie. On a délégué. On découvre des couleurs qu’on ne pensait pas pouvoir avoir. On a montré ce qu’on avait fait à des gens de talents et on leur a demandé ce qu’eux entendaient là-dedans. » En découlent entre autres des performances de basse de Marie-Pierre Arthur et des guitares méticuleuses de Joseph Marchand et Simon Angell, un surdoué. Ce dernier exécute d’ailleurs une partition à couper le souffle en conclusion d’album sur Immensité. « Je pense qu’on a engagé le guitariste le plus talentueux qui existe, assure Mélanie. La guitare donne l’impression d’avancer et de reculer. C’est comme si la musique retenait son souffle. »

Les sœurs ont cessé de bouder les plaisirs et se sont plongées dans tout ce qu’elles avaient déjà aimé, s’abreuvant des mélodies de Jean-Pierre Ferland, Michael Kiwanuka, Sinatra ou Julie Masse. « On a appris des nouveaux accords et je me suis remise à composer au piano, un instrument qui me permet vraiment plus de créativité », constate Mélanie.

L’ambition n’est plus au cœur de la vie, pour les filles qui constatent leur impact sur la suite du monde depuis la naissance de Léonard, le fils de Mélanie, un nom que l’on compte d’ailleurs parmi les titres des nouvelles chansons.

Pour elles, difficile aussi de passer à côté de tout ce qui émane de la période post #metoo. Il me voulait dans la maison, témoignage chargé sur la violence psychologique, s’inscrit dans la suite du mouvement. « On a regardé le documentaire sur R. Kelly et on s’est dit que les pervers narcissiques étaient vraiment partout, se souvient Stéphanie. » Les femmes ont vécu #metoo, elles l’ont assimilé. Aujourd’hui, l’heure est venue de décortiquer ses contours. « La violence invisible est très fâchante parce qu’elle ne contient aucune preuve et qu’elle revient souvent sur le dos de la femme, dit Stéphanie. Je l’ai vécue, mais tellement de femmes l’ont vécue. La journée de l’enregistrement, je n’arrêtais pas de pleurer et tout le monde a dû sortir du studio pour que je puisse poursuivre. Je pleurais de rage. Parce que la violence psychologique, verbale et économique, ça reste impuni, c’est intangible. » Au doigt évoque des thèmes semblables, décrivant l’ampleur du poids de ce qui est demandé à la femme au quotidien, en société. « Ils ont parfois peur d’être écrasés, les garçons, dit Mélanie, alors que ce qu’on veut, c’est marcher à leurs côtés. »

La politique n’est pas contournée, la société actuelle répondant à des valeurs qui viennent de plus haut et qui nous affectent toujours. « On a chanté La fatigue du nombre devant 300 membres du parlement et sénateurs, le 14 mai dernier lors de la réception de la SOCAN sur la Colline parlementaire. On chante vous étiez jeunes avant nous votre feu a tout brulé. On a réalisé ce qu’on leur disait une fois sur scène », constatent les sœurs en riant. « C’est le rôle de la musique de faire passer les messages. Tu peux les digérer à la vitesse que tu veux, dit Stéphanie. Ce qu’on leur expliquait, en chantant, c’est que si aucune loi ne passe, vous entendrez uniquement la musique des douze mêmes personnes qui ont les moyens de le faire. » « La musique, c’est une psychothérapie que tu payes 10 $ par mois sur Spotify, renchérit sa sœur. C’est plus important qu’on pense. »

La tournée de La mort des étoiles sera portée par l’incandescence des étoiles avec un visuel enveloppant et de nouveaux arrangements qui nous font embrasser les chansons qu’on connaît par cœur depuis près de dix ans. « On voulait aimer les chansons qu’on était tannées de jouer, précise Mélanie. Embrasser notre évolution et celle de notre public. »