La pandémie de COVID-19 a peut-être mis la carrière et les activités de plusieurs de ses pairs sur la glace, Joey Moi, lui, n’a jamais été aussi occupé et couronné de succès. Le producteur et auteur-compositeur canadien établi à Nashville explique que durant le confinement « on a fermé notre bureau de Music Row et j’ai déménagé mon studio à la maison. Tous les artistes qui ne peuvent plus partir en tournée ont envie de continuer à créer de la musique. »

« Tout ça s’est traduit par le fait que notre compagnie [Big Loud Records] et notre équipe d’auteurs-compositeurs est plus occupée que jamais et on essaie de lancer le plus de musique possible par tout ce beau monde. Les artistes sont rarement aussi disponibles qu’ils le sont actuellement. Tout le monde est à la maison et veut enregistrer de la musique. Ils sont aussi plus impliqués dans le processus d’enregistrement et de production, et c’est très agréable. Je ne chôme vraiment pas ces temps-ci ! »

Depuis qu’il a quitté la Colombie-Britannique pour Music City il y a dix ans, Moi, qui a remporté de nombreux prix et certifications platine, est passé de producteur et créateur prolifique du domaine hard rock pour des groupes comme Nickelback, Theory Of A Deadman, Daughtry, Hinder et My Darkest Days à producteur de « hits » et entrepreneur de l’industrie de la musique du côté du country.

Et pour le moment, ça roule pour Moi. En août dernier, il trônait au sommet du Billboard Hot 100 Producers tous genres confondus avec quatre productions à son nom. Celles-ci incluaient trois « hits » de la vedette montante Morgan Wallen, notamment son immense succès « 7 Summers », entièrement produite par Moi, ainsi que « One Beer » de Hardy, coproduite avec Derek Wells. À titre de producteur, Moi compte 10 No.1 sur le palmarès Hot Country Songs et il a été sacré No.1 au palmarès des producteurs country de l’année par Billboard en 2013, 2014, et 2016.

Après s’être installé à Nashville, Moi s’est rapidement offert des certifications platine avec des « hits » réalisés pour Florida Georgia Line et Jake Owen. Les chansons produites par Moi pour Florida Georgia Line ont cumulé plus de huit milliards d’écoutes en ligne en plus de s’écouler à plus de quatre millions d’exemplaires physiques.

Il s’est ensuite tourné du côté de l’industrie et a participé à la fondation de Big Loud Records en 2015. Il s’est lancé dans cette aventure en compagnie de Seth England, de l’auteur-compositeur Craig Wiseman et de Kevin « Big Chief » Zaruk et leur succès a été tel qu’ils ont depuis lancé une étiquette sœur, Big Loud Rock.

De son propre aveu, il adore faire partie d’une équipe qui dirige une maison de disques. « C’est exactement ce dont je rêvais en tant que jeune producteur et entrepreneur », dit-il. « C’est la situation idéale : on a la chance de signer nos artistes coup de cœur pour ensuite enregistrer des chansons qu’on adore. Je participe à l’élaboration de notre stratégie d’un bout à l’autre et chacun de nos artistes représente pour nous un projet passionnant. »

Les Prix SOCAN de Joey Moi

  • 2010 — Prix de la chanson internationale — « Gotta Be Somebody » interprétée par Nickelback
  • 2011 — Prix #1 SOCAN — « Life After You » interprétée par Daughtry
  • 2011 — Prix #1 SOCAN — « Gotta Be Somebody » interprétée par Nickelback
  • 2011 — Prix #1 SOCAN — « Something in Your Mouth » interprétée par Nickelback
  • 2011 — Prix #1 SOCAN — « When We Stand Together » interprétée par Nickelback
  • 2014 — Prix de musique pop/rock — « When We Stand Together » interprétée par Nickelback
  • 2014 — Prix de musique country — « Nothing But Summer » interprétée par Florida Georgia Line

« Quand t’es un producteur pigiste, comme je l’ai été pendant 15 ans, tu ne vois pas comment on fabrique la saucisse ! », lance-t-il en riant. « Tu ne vous pas nécessairement la quantité de travail, de dévouement et tout l’apport des équipes de marketing et de promotion. J’ai appris tellement de choses au cours des cinq dernières années. »

Parmi les artistes sous contrat avec Big, on retrouve la Canadienne MacKenzie Porter et Moi poursuit la longue et fructueuse relation avec la vedette country Dallas Smith. « Dallas et moi, ça remonte au tout début », explique-t-il. « C’est le premier artiste que j’ai enregistré qui a tourné à la radio. Nickelback est venu après. »

Il faut savoir que Moi est d’abord allé à Nashville en tant qu’auteur-compositeur après avoir signé une entente d’édition avec Big Loud Shirt Publishing en 2010. « Cet investissement dans l’écriture de chansons m’a totalement aidé en tant que producteur et pour aider les artistes avec l’aspect A&R de leurs albums et pour identifier les chansons qui ne sont pas juste OK, mais vraiment exceptionnelles », explique-t-il. « Malheureusement, l’écriture a été mise de côté à mesure que mes échéanciers de production devenaient plus nombreux. J’écris à peu près une chanson par année, maintenant. »

Joey Moi est toujours aussi passionné par le processus de création d’un album et de promotion d’une carrière. « Ce que je trouve le plus satisfaisant, c’est enregistrer un premier album et voir cet artiste prendre son envol », dit-il. « Je ne me lasse pas de ça. Si ça devenait lassant, ce serait le signal qu’il est temps de rentrer à Vancouver et de passer du temps sur mon bateau », conclut-il.

Mais ne retenez pas votre souffle, ça n’est pas demain la veille…



Célèbre native de Steeltown, le surnom de Hamilton, nous avons joint la vedette electro pop Jessy Lanza dans son studio de Redwood City, non loin de Silicon Valley. Et si cette image vous semble discordante, elle n’en demeure pas moins un bon résumé de la musique de cette artiste. Son lyrisme plutôt sombre combiné à sa voix mielleuse couchée sur des rythmes synthétiques à l’euphorie contenue font de son nouvel album un baume pour l’âme dont nous avions tous besoin.

« Je suis pas mal stressée en permanence, même quand je n’ai aucune raison d’être stressée, et ça me fait sentir coupable, car je me demande pourquoi je suis incapable d’être reconnaissante. Par contre, quand j’ai une bonne raison de pleurer, ça me semble parfaitement normal », confie-t-elle. « Ça me réjouit de penser que mon album puisse faire du bien aux gens. »

« C’est ironique, car je pensais que les choses allaient se replacer, cette année »

Comment elle a fini entourée de forêts Ewok afin de discuter de All the Time, son plus récent album pour l’étiquette britannique Hyperdub et , comme la majorité des histoires récentes, une histoire de fléau. Lanza s’est installé chez nos voisins du sud il y a déjà quelques années — dans le quartier Queens, à New York, pendant la tournée de son album Oh No paru en 2016 — et elle était en tournée de prépromotion en Europe quand le monde s’est arrêté.

« On jouait en Suisse », se souvient-elle. « Entre Saint-Gallen, où on était, et l’Italie, il y avait les alpes, mais tout le monde capotait complètement. Ils demandaient des pièces d’identité aux gens afin d’empêcher aux Italiens d’entrer. C’était la première fois que je constatais que quelque chose de vraiment pas normal s’en venait. »

Elle est rentrée aux États-Unis, mais comme elle avait récemment prévu une tournée, maintenant annulée, qui s’étalerait d’avril, à L.A., jusqu’en octobre, à Montréal, elle n’avait pas renouvelé son bail. New York s’écroulait sous le poids de la COVID, alors Lanza et son partenaire ont fui la ville dans leur minifourgonnette et ont traversé le pays afin de se réfugier chez ses parents à lui dans le nord de la Californie. (La minifourgonnette a été recyclée en salle de spectacle pour sa prestation Boiler Room.)

All the Time était déjà « mixé, matricé et prêt à partir », ce qui a forcé le report de son lancement, mais seulement jusqu’en juillet. S’il semble légèrement différent de ses prédécesseurs, ça n’est toutefois pas la faute de la pandémie, mais plutôt parce que c’est la première fois que Lanza et son collaborateur de longue date, Jeremy Greenspan de Juniors Boys, travaillaient à distance. « C’était un peu bizarre de travailler comme ça, parce que je suis tellement habituée qu’on soit super proches, mais ç’a été quand même amusant », dit-elle avant d’ajouter qu’elle faisait quand même l’aller-retour de New York à Hamilton une fois par mois pour le voir.

Elle a également été influencée par les artistes qu’elle a rencontrés à New York — « je me sentais moins cloîtrée, cette fois-ci » — et par les occasions créatives qui se présentent du simple fait d’être loin de chez soi. « J’ai beaucoup plus travaillé seule », ajoute-t-elle. « J’ai installé mon studio comme je l’aime et j’ai expérimenté. »

Elle prend également plus de risques au chapitre des textes, disséquant allègrement son cynisme et sa détresse émotive, et elle les a même inclus dans les notes de l’album, malgré toute la vulnérabilité qu’elle ressentait dans la foulée de cette décision.

« J’étais vraiment en pagaille ces dernières années, et c’est ironique, car je pensais que les choses allaient se replacer, cette année », dit-elle avec un rire sardonique. « Mais j’ai appris une bonne leçon. Tu peux faire tous les plans que tu veux et te dire que tu vas sortir un album, partir en tournée et te sentir normale de nouveau. Tout ça ne pourrait être moins vrai. »

Elle ajoute néanmoins que « de grands pans de ma musique parlent de se sentir rejetée et pas assez bonne. Ce sont des émotions très fortes pour beaucoup de gens. [All the Time] est l’effort que je fais pour calmer ces émotions en moi — et j’espère qu’il aura le même effet sur d’autres quand ils l’écouteront. »



Le CouleurIls font mentir l’adage entonné dans I Want to Pogne, le vieil air de Rock et Belles Oreilles qui se moque des Québécois qui trahissent leur langue pour percer. Avec son nu disco vaguement tropical et ses paroles graves, Le Couleur transcende même les frontières invisibles de la francophonie.

À contre-courant depuis plus d’une décennie, résolument bien loin de la pop rock et du folk qui prédominent encore à l’ADISQ, Le Couleur a plus en commun avec Patsy Gallant ou Toulouse qu’avec des groupes plus récents comme Karkwa ou Galaxie.

En marge des modes à Montréal, mais parfaitement en osmose avec ce qui se fait dans Pigalle ou à Brooklyn, le groupe porté par la voix de Laurence Giroux-Do cartonne à l’international, se faufilant jusque dans la trame sonore d’une série Netflix (Emily in Paris) et les pages de papier glacé du Playboy Mexico. Deux engagements surprenants parmi tant d’autres, deux accomplissements en apparence anecdotiques qui, pourtant, en disent long sur l’intérêt croissant qu’ils génèrent à l’étranger.

Avant que la pandémie ne leur coupe les ailes et ne paralyse la totalité de l’industrie du spectacle, ils avaient par ailleurs pour projet de récolter le fruit de leurs statistiques d’écoutes sur Spotify en dehors du Canada. « Notre sortie était prévue le 18 avril et, quand c’est arrivé, on n’y croyait pas trop, confie l’autrice-interprète. On devait faire South by Southwest le 8 mars et après, on avait une quinzaine de dates aux États-Unis. Tout a été annulé.  […] On travaille avec une super bonne bookeuse en Amérique du Sud, on devait aussi faire une tournée au Brésil, au Mexique et au Chili… »

Concorde, parce que c’est le titre de cet opus faisant suite à P.O.P. qui s’était taillé une place la longue liste du Prix Polaris en 2017, a finalement été pressé sur vinyle et partagé sur la toile cet automne.

Sorti le 11 septembre, une date à jamais associée à l’attentat terroriste de 2001, conférant à cet album un aspect doublement morbide, Concorde prend racine dans le crash de l’avion du même nom. Les mots entonnés et écrits par Laurence génèrent un fort contraste avec cette façon guillerette et engageante que Steeven Chouinard a de battre la mesure. Une recette qui leur a été inspirée des plus grands, des maîtres de l’électro pop qui ont assis les bases du genre il y a près d’un demi-siècle.

« ABBA, ils sont devenus quadrillionnaires en étant dark dans leur formule et leurs paroles, mais avec de la musique super dancy, résume celui qui agit à titre de percussionniste, co-compositeur et réalisateur. ABBA, c’est une grande influence pour nous et sans le vouloir. C’est de l’ordre de l’inconscient. Quand on se fait comparer à eux, ceci dit, c’est le plus beau des compliments. »

Introduit par la retranscription exacte des dernières paroles du pilote avec la tour de contrôle, un échange sinistre interprété par deux comédiens aux accents parisiens, l’ultime refrain de la chanson-titre résonne comme un écho d’outre-tombe. C’est que Laurence s’est nourrie de moult documentaires sur la tragédie aérienne d’Air France au moment d’empoigner la plume. « En même temps, ça passe un peu inaperçu parce qu’en arrière tu as le groove super funky. »

Stationnés sur la piste de décollage en attendant de pouvoir reprendre leur ascension en compagnie de leur nouvel équipage de quatre musiciens supplémentaires, les trois membres de la mouture originale ont changé leur plan de match. « Pour nous, en attendant le vaccin, les États-Unis n’existent comme plus, résume Laurence. Tous nos bookeurs nous disent aussi d’oublier les shows en Europe pour 2021 parce que les gros noms et les artistes locaux seront privilégiés. »

Motivés par la promesse d’un retour à la normale, les Montréalais concentreront leurs efforts sur le développement d’un marché qu’ils ont négligé jusqu’ici. « On a joué genre quatre ou cinq fois à New York, mais on n’est jamais allés au Lac-Saint-Jean, à Trois-Rivières ou Gatineau. C’est le temps de remédier à ça », ajoute Steeven dans un éclat de rire.

En attendant de pouvoir reprendre la route par-delà la Réserve faunique des Laurentides et vers des destinations plus exotiques, c’est leur musique qui se chargera du voyage à leur place.