Hildegarde, Ouri, Helena DelandC’est la collision de deux astres qui ont déjà leur place au firmament des playlists Spotify les plus suivies, la rencontre de deux musiciennes qui cultivent une aura de mystère presque malgré elles. Lorsque Helena Deland et Ouri créent ensemble, le tout est plus grand que la somme des parties. Le résultat tient presque de la magie.

La première, Helena Deland, vient du folk, d’une bourgade-dortoir de la Rive-Sud de Québec où on rêve à la métropole dès que l’âge nous donnera le droit de partir. Ourielle Auvé, dite Ouri, aspirait aux pavés de Montréal elle aussi, mais depuis les rues de Paris qui l’ont vue grandir et pratiquer son violoncelle, du temps où elle enchaînait les airs classiques. En équipe, les deux femmes confectionnent quelque chose d’inclassable, mais de profondément envoûtant, à la jonction de leurs univers respectifs si distinctifs. « Je pense que notre style de musique est un peu un point d’interrogation », résume habilement Helena.

Et selon elle, c’est précisément cette forme hybride qui attire l’attention au-delà des frontières des genres, des limites des villes. Pitchfork a recensé leurs parutions en duo, idem pour Stereogum, Nylon, Les Inrocks et The Fader… Rares sont les projets qui font pianoter les claviers d’autant de blogueurs, et dès l’écoute des premières notes. « On est chanceuses, admet Helena. Je me rappelle du moment où on a sorti Jour 2… C’était vraiment émouvant de voir toute la presse relayer l’information. »

Scellées sous vide depuis 2018, les morceaux de l’album ont été composés puis enregistrés en format démo d’un seul jet, entre les quatre murs d’un studio de l’Est de l’île de Montréal, au-dessus du Village des Valeurs, coin Pie IX et Ontario, un étonnant refuge que les gérants des filles avaient loué à leur attention pendant huit jours. Huit jours top chrono pour accoucher d’autant de titres, des pièces qui semblent avoir gardé leurs codes d’identification minimalistes d’origine. Jour 1, Jour 2, Jour 3 et ainsi de suite.

Mais pourquoi avoir patienté si longtemps avant de les partager ? Ouri a la réponse : « On a toutes les deux nos carrières solos et c’est un projet qui est né de manière tellement inattendue que c’était important, je crois, de le laisser fleurir dans nos esprits doucement pour trouver les manières de le mettre au monde. Il y a aussi une structure de label qui s’est créée et dont on a pu bénéficier. »

Cette étiquette de disques, c’est Chivi Chivi. Une maison fraîchement inaugurée, celle de Robert Robert (formidable parolier aux ambiances house), de Valence (la prochaine «grosse affaire» en provenance de Québec), de Lydia Képinski (électron libre déjà bien établi) et maintenant Hildegard. « Je pense qu’on avait envie d’avoir une relation spéciale avec le label et de ne pas sentir qu’on était un projet parmi tant d’autres, confie Ouri. On sent une réelle connexion avec notre équipe. C’est une première fois pour tout le monde, il y a vraiment une énergie spéciale qui circule. »

Hypnotisantes, résolument sensuelles et quasi méditatives, les chansons du duo Deland-Auvé ont tout de la précurseure qui les inspire. Leur muse ? Hildegard Von Bingen. Une compositrice allemande du XIIe siècle, l’architecte des Cantiques de l’extase, une artiste aux propensions féministes qui s’adonnait aussi à être une dame de foi, une nonne de l’ordre des Bénédictins. Un fascinant personnage que Helena et sa collègue mettent en lumière par la bande, par l’entremise de leur propre production.

« Ce qu’on partage avec Hildegard, c’est notre autosuffisance féminine, c’est notre prise de position par rapport à la féminité. Je suis consciente qu’on lit son travail comme ça à travers une lunette moderne, mais en même temps… Son travail s’intéressait à ça ! Elle avait quand même fondé une abbaye de femmes. C’est fou comme elle était en avance sur son temps. »

Au-delà du nom qu’elles se donnent, de réelles références médiévales s’allient fluidement à leur écrin musical d’avant-garde. « C’est une influence qu’on entend un petit peu dans l’album, même si ce n’est pas extrême, admet Ouri. C’est sûr qu’il y a une partie de moi qui réfléchit à la possibilité de faire un genre d’album médiéval moderne. Ce serait quand même une aventure musicale extraordinaire ! »

D’ici là, promettent-elles, Helena et Ouri poursuivent leurs explorations sans intentions esthétiques spécifiques, portées par leur intuition qui les sert et leur sied si bien.