Helena Deland

Photo : Alex Huard

« Les chansons qu’écrivent les musiciens ne sont pas représentatives de toutes les humeurs qui les habitent, prévient l’auteure, compositrice et interprète Helena Deland. Mais, c’est vrai que les miennes se prêtent bien à la tristesse ». Pas aujourd’hui, en tous cas : attrapée en cette journée de ciel « full beau » à Austin au Texas où la musicienne a donné cinq concerts en autant de jours pour le festival South by South West, c’est le sourire dans la voix qu’elle nous raconte l’histoire derrière son excellent mini-album From the Series of Songs « Altogether Unaccompanied » Vol. I & II, paru début mars.

Il s’agit de sa première grande vitrine professionnelle internationale, la première fois qu’elle tourne avec ses trois musiciens à l’extérieur du Canada. Et Helena Deland en profite au max. « C’est drôle parce qu’on se fait mettre en garde à propos du South by South West de tellement de manières, mais franchement, it lives up to its expectations ! », balance-t-elle dans sa langue maternelle.

Langue maternelle au sens propre, si vous voulez : maman est d’origine irlandaise, papa du Québec, Helena Deland a grandi dans les deux langues qu’elle maîtrise avec une égale aisance, ça s’entend dans ses chansons, composées en anglais. « Avant d’enregistrer quoi que ce soit, j’écrivais mes textes en français, raconte-t-elle avec cet accent franc de la capitale nationale. Je les aime encore, mais il me semble que c’est plus facile pour moi [d’écrire en anglais], ça va avec ma culture musicale personnelle. Y’a aussi quelque chose de séduisant à écrire en anglais, à cause de son rythme inhérent. Ça coule mieux. »

Elle a quitté Québec pour Montréal il y a cinq ou six ans dans le but de poursuivre ses études littéraires à l’UQAM. Helena traînait alors dans ses bagages quelques chansons « mais ce n’était pas très assumé. C’est un concours de circonstances qui a fait en sorte que je rencontre Jessie » Mac Cormack, qui a réalisé son premier mini-album, Drawing Room, paru à l’été 2016. « J’avais envie d’enregistrer mes chansons, mais je ne pensais pas faire carrière, je n’avais aucune expérience en studio. D’ailleurs, je ne donnais pas vraiment de spectacles non plus. C’est allé de fil en aiguille. C’était beaucoup de nouveauté. »

Prometteur, ce premier EP révèle la voix feutrée et le fort joli timbre d’Helena Deland, cependant trempé dans l’univers distinct de Mac Cormack, fait de folk planant, de guitares électriques ondulatoires, de quête de l’intime à travers la prise de son. La formule a fait mouche et a vite attiré l’attention des producteurs.

Paru sur la nouvelle étiquette new-yorkaise Luminelle, From the Series of Songs « Altogether Unaccompanied » Vol. I & II, lui aussi réalisé par le Montréalais, voit la jeune musicienne s’affranchir de son réalisateur, alors que sa personnalité s’exprime avec une plus grande clarté dans des chansons qui s’éloignent des clichés folk contemporains pour embrasser des grooves plus minimalistes.

« Notre relation était complètement différente, explique Deland. J’étais toujours présente en studio, j’ai pris plus de temps pour faire ce mini-album – notre relation est parfois devenue plus conflictuelle même, puisque nous sommes tous deux très têtus et on a l’impression de savoir ce qui serait le mieux, chacun de notre côté. Ça a été un travail de collaboration plus serré; Jessie a les capacités techniques de faire n’importe quoi en studio, et maintenant que je sais ce que je veux, il me donne l’occasion le concrétiser. »

Le style Deland touche à l’intime, « dans le personnel, l’échange d’une personne à l’autre, estime-t-elle. Souvent, je chante les choses qui sont non dites dans mes relations avec des gens qui me sont proches. J’ai souvent utilisé la composition pour ventiler et m’aider à comprendre des situations interpersonnelles. »

Son téléphone intelligent déborde de petites idées musicales enregistrées à la sauvette. « Je collectionne des phrases chantées, puis certaines me donnent envie de les retravailler. Des fois, ça donne des chansons. Des fois, rien du tout. Souvent, je pars juste d’une idée, une phrase; ensuite, le gros du travail sera d’y trouver des accords, une mélodie, puis le texte. C’est l’idée première, la phrase chantonnée dans mon téléphone, qui m’inspire ensuite la mélodie et le texte. Quand ça marche, ça va tout seul, le processus de création se fait de manière presque ésotérique. Comme si la chanson naissait, simplement parce que ça devait arriver ».

« J’ai toujours été impressionnée par des structures de chansons originales », l’un des traits les plus captivants de son style d’écriture, qui semble posséder son propre rythme, une façon si naturelle et dynamique d’enchaîner le couplet au refrain. « Aussi, je lis beaucoup de fiction, ça m’aide à écrire. Ce qui me fascine, c’est l’élément de surprise au niveau des textes. Quand je me penche sur un texte et que ça m’étonne. »

Comme ceux de la Néo-Zélandaise Hollie Fullbrook, alias Tiny Ruins. « Avant-hier, complètement par hasard, j’ai abouti au concert qu’elle donnait à Austin, raconte Helena. Dans la salle, seulement une dizaine de personnes – dont cinq penchées sur leurs téléphones intelligents, comme tout professionnel de l’industrie… Après le concert, je suis allé lui parler, et forcément, j’ai pleuré. Elle m’a beaucoup influencé, surtout au moment d’enregistrer le premier EP, j’étais très émue de la rencontrer. »