Cet automne, Ouri nous a partagé son sang, mais pas que ça. Avec son EP We Share Our Blood, elle s’offre en entier, emportant avec elle ses rythmes R&B bruts et vifs. Ses mélodies électros nous font danser avec légèreté, sans urgence.

Pour cette nouvelle production, une chose importait plus que tout à Ouri: transmettre son art à elle, de son esprit à celui de son public. « J’ai commencé un peu sporadiquement à droite et à gauche, dit-elle. Je ne savais pas que je composais un  EP. Parfois, quand on compose quelque chose, tout est correct, mais on a le sentiment que tout sonne faux quand même. Ça m’est arrivé souvent. Ici, la direction était claire. » Le seul but d’Ouri était d’utiliser sa voix. Elle voulait que tout soit plus direct.

Dans sa quête de sens artistique, elle a choisi de faire cavalier seul. Elle a loué des micros, des compresseurs, tout ce dont elle avait besoin, et elle s’est lancée. « J’avais besoin de ça dit-elle. Il fallait que je sente que je n’avais pas à plaire à personne. J’ai demandé des avis, au mixeur notamment, mais sinon, je voulais vraiment que ce soit un projet où il n’y a que moi.»

Ce qui devait sortir d’elle à ce moment est un mélange imprécis d’émotions ressenties au bout de l’attente et du doute. « Je suis super émotive, avoue-t-elle au bout du fil. Ce n’est pas politique du tout, l’art que je fais. Mais on y trouve beaucoup d’espoir conscient et de naïveté aussi. »

Originaire de la France, elle a adopté Montréal, mais y voit aujourd’hui autant une toile vierge pour créer qu’un obstacle monumental. « À Montréal, en ce moment, c’est un couteau à double tranchant. Il y a de la discrimination positive envers ma musique parce que je suis une fille de couleur, mais j’entends régulièrement des trucs négatifs sur ce que font les femmes en musique électro. » Elle admet néanmoins que, lorsqu’elle était plus jeune, elle croyait que c’était impossible qu’une femme fasse ce qu’elle fait aujourd’hui. « J’ai eu deux amoureux pendant sept ans, ici, complète-t-elle. Ça a ancré ma présence ici. Maintenant seule, j’ai quelques projets qui m’animent, mais rien que ne me retienne. »

Dans tous les contextes, Ouri souhaite « tenir son bout » et être sa propre porte-parole. Lors du FME, en Abitibi-Témiscamingue, où elle offrait une performance aux nuits électros, un délégué de France n’avait pas du tout aimé sa proposition et il souhaitait en discuter avec elle au lendemain de son spectacle. « Le lendemain je sentais que mon entourage ne voulait pas me dire les choses, déplore Ouri. Mon manager voulait m’empêcher de parler. Tout le monde pensait que j’allais prendre ça personnel. J’ai répondu au gars que je n’étais pas à son service, lance-t-elle. Il y a des trucs pour tout le monde. Tu peux aller voir ailleurs. Je suis une grande fille. »

Elle demeure convaincue que l’encadrement qu’on lui procure est un genre de façade servant à légitimer ce qu’elle fait, alors qu’elle est toujours prête à prendre les devants par elle-même. « J’ai pas été gentille, mais j’étais SPM aussi », ajoute-t-elle en riant.

Sur son nouvel EP, Ouri se permet de chanter, suivant les conseils de ses amis qui l’ont encouragée. Elle a suivi des cours de chant indien. « J’avais envie d’utiliser ma voix et dans les notions de chant indien classique, chacun a son registre, sa note centrale. C’est vraiment poussé, mais tous les tons de voix sont possibles et se valent. Il faut que je me pratique pour arriver à un résultat qui me plaise, mais je ne fais pas de l’opéra non plus. »

La musique électro se pose dans la vie d’Ouri comme une expérience. « Je veux renouer avec le violoncelle dont je jouais beaucoup avant, dit-elle. Je ne sais pas comment encore. Je sortirai peut-être quelque chose d’acoustique. »

À force de jouer sur les claviers, elle avoue avoir développé des tendinites. « Au contraire, le violoncelle, lui, je le pousse sur moi et il vibre avec moi. C’est un contact physique. L’expérience n’est pas du tout la même. Je ne sais jamais à l’avance où mes mains auront envie d’aller. »



Les membres de Hex ne pensaient jamais poursuivre une carrière musicale et, à vrai dire, elles n’en sont toujours par convaincues.

Formé en 2014 dans le cadre du chapitre torontois du programme Girls Rock Camp, le trio composé de Halina Katz, Simryn Mordasiewicz et Kyria Sztainbok a immédiatement cliqué. « Il n’y avait aucune tension et je crois que nous avons toutes saisi les sensibilités des autres », raconte Katz. Une des premières chansons qu’elles ont interprétée fut « Rebel Girl » de Bikini Kill, un hymne du mouvement Riot Grrrl des années 90 qui parlait à Hex parce que, comme le dit Katz, « elle représente bien l’idéologie de Girls Rock Camp — encourager les jeunes femmes à jouer de la musique et à être anarchiques ».

C’est grâce à cette expérience que les membres de Hex, qui cherchaient toujours leurs repères, musicalement, ont été encouragées à continuer leur collaboration. Kritty Uranowski, de Girls Rock Camp, a même décidé d’assurer la gérance du trio. Mais comme elles étaient encore étudiantes au secondaire, à l’époque, tout était une question d’équilibre. Lorsqu’elles devaient partager leur temps entre les devoirs et les répétitions, la meilleure façon d’acquérir de l’expérience et d’évoluer en tant que groupe était de jouer sur scène dans des salles tous âges et d’assurer la première partie de groupes locaux comme Hooded Fang ou la gagnante du prix Polaris Lido Pimienta.

Mais la scène musicale est parfois dure et les membres de Hex doivent non seulement composer avec des attitudes sexistes, mais également, à l’occasion, âgistes. « Les techniciens de son nous traitent comme si nous étions idiotes », raconte Mordasiewicz. Katz se souvient d’un spectacle, récemment, où un des techniciens a cru bon lui montrer comment allumer son ampli, et elle n’a pas pu s’empêcher de se dire à elle-même, « tu me “fucking” niaise ? »

Donner l’Hex-emple
Elles résument très simplement leur perception de leur gérante Kritty Uranowski, elle aussi musicienne et directrice artistique du collectif No Mean City : « On ne serait rien sans elle », lance Mordasiewicz. D’ajouter Katz : « elle nous a montré l’importance de la diversité et de donner une chance aux groupes de musique. Lorsqu’on “booke” un spectacle, on est très conscientes de notre présence féminine et de devoir gérer les trouducs qui s’occupent du son. C’est la femme qui a le plus de sagesse au monde. »

« Mais ils ne sont méchants avec nous qu’avant notre “set” », ajoute-t-elle, poursuivant que leur prestation est la seule preuve nécessaire afin de démontrer qu’elles savent ce qu’elles font. « Ça fait des années qu’on fait ça », dit Sztainbok. « On sait comment on veut que ça sonne. »

Puis, un jour, le temps est venu d’enregistrer un album. Le groupe admet volontiers qu’enregistrer leurs pistes individuellement a été difficile et elles ont rapidement réalisé que le groupe est au sommet de sa forme lorsqu’elles jouent ensemble dans une même pièce, comme elles le font avec tant de brio sur scène, et cela a permis d’enregistrer l’album au complet en une seule soirée. « On a travaillé jusqu’à 5 h du mat’ », explique Mordasiewicz au sujet de cette séance d’enregistrement. « C’était amusant et incroyablement intense. »

Grâce à cette méthode d’enregistrement, l’énergie explosive de Hex en spectacle est captée cet album intitulé Miss Pristine, paru un peu plus tôt cette année. Sur la première pièce, d’une durée de sept minutes, Hex joue sur le tempo et le volume, passant de guitares grattées doucement à furie cacophonique, et chaque racoin de la pièce est rempli du vibrato hurlant de Katz.

Les influences de Miss Pristine sont solidement ancrées dans la musique qu’elles ont d’abord appris à jouer au Rock Camp — Bikini Kill et d’autres groupe punk des années 90 comme Sleater-Kinney et Hole —, mais avec des liens actuels, également. Leurs chansons sont remplies d’une rage éblouissante qui brille en chacune d’elles, une énergie brute qui propulse chaque « riff » de guitare, chaque « drum fill » et chaque ligne de basse.

La plupart du temps, tout s’articule autour de la voix et de l’écriture captivantes de Katz. Mordasiewicz et Sztainbok chantent les louanges de leur chanteuse et la qualifient de « déesse lyrique » qui est souvent celle qui propose l’étincelle d’une nouvelle chanson — inspirée par ses expériences de vie — au reste du groupe pour qu’elles tissent le reste avec leurs instruments. Lorsque je demande si Hex a de nouvelles pièces qui paraîtront bientôt, Mordasiewicz regarde Katz et dit, avec un sourire en coin, « je ne sais pas ; as-tu des idées de chansons ? »

Avec Mordasiewicz et Sztainbok qui sont désormais étudiantes à l’université et Katz qui habite actuellement Philadelphie, Hex est devenu un emploi à temps partiel pour ses membres. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne sont pas déterminées à continuer de jouer et lancer de la musique — elles doivent d’ailleurs lancer un vidéoclip sous peu, à leur grand bonheur, et trois nouvelles chansons ont récemment vu le jour. Néanmoins, le groupe maintient une attitude de laissez-faire lorsqu’il est question de l’avenir.

« Je veux continuer à faire carrière en musique, mais c’est difficile à admettre parce que ce n’est pas une vie facile », avoue Katz. C’est toutefois Sztainbok qui résume le mieux l’état d’esprit de chacune d’elles avec une affirmation succincte et optimiste : « Tant que jouer de la musique est l’une des choses que je peux faire, je suis heureuse. »



Lorsque la production de l’émission The Launch, sur les ondes de CTV, préparait son propre lancement en 2017, le directeur musical Orin Isaacs a décidé de passer un coup de fil à Hill Kourkoutis. Il était à la recherche d’une claviériste, mais lorsqu’il a appris qu’elle joue également de la guitare, il l’a invitée à faire partie du « house band » de l’émission. Cette multi-instrumentiste et chanteuse primée connue également pour son travail de réalisation, d’écriture et de composition était le choix idéal. De son côté, Kourkoutis ne pouvait pas demander mieux qu’une émission dédiée à lancer la carrière d’interprètes et d’auteurs-compositeurs.

Je travaille avec tant de gens incroyables que j’ai l’impression d’apprendre quelque chose de nouveau de tout le monde, tous les jours », dit-elle. L’émission a également débouché sur une amitié avec la gagnante et interprète de la chanson « Soldier of Love », Poesy, et ensemble elles ont écrit « Strange Little Girl ».

« On voulait écrire quelque chose qui parle d’accepter que nous avons tous un petit côté étrange, on peut tous avoir plusieurs facettes », explique Kourkoutis. « C’est merveilleux d’avoir quelque chose qui touche tant de gens de manière si concrète. »

Les histoires et les collaborations sont fondamentales dans l’ADN créatif de Kourkoutis. Elle a commencé à écrire des chansons à cinq ans, et lorsque ses parents ont compris qu’elle ne deviendrait jamais ballerine, ils lui ont finalement acheté la guitare dont elle rêvait. Elle a ensuite appris le piano et, bien qu’elle ait ensuite appris la théorie musicale et la lecture à vue, elle possède un talent naturel qui lui a permis d’apprendre facilement et de manière autodidacte la basse et la batterie. David Bowie, The Go-Go’s (« pour leur sensibilité pop ») et Jimi Hendrix ont tous été des influences, tout comme Girl Crow, « ne serait-ce que parce qu’elle a écrit toutes ses chansons et joué tous les instruments sur scène, mais elle a également réalisé ses albums ». Puis, à 12 ans, Kourkoutis a commencé à écrire pour son groupe entièrement féminin dont faisait partie l’artiste country Meghan Patrick.

TRUCS DU MÉTIER
Le moment où j’ai le plus progressé, c’est lorsque j’ai commencé à collaborer avec d’autres.
« Bien des gens ont un talent naturel pour écrire des chansons, mais pour écrire une bonne chanson, il faut prendre conscience de plusieurs choses : la construction des mélodies, les paroles, et comment tout cela interagit avec la musique en arrière-plan. J’ai pris conscience de tout ça quand j’ai commencé à écrire avec des créateurs établis. Chaque créateur nous apprend un nouveau truc. »
La création musicale est un muscle qui doit être entraîné.
« Ça n’est pas facile, au début, de savoir comment écrire sur demande. Lorsque j’ai commencé, j’écrivais quand je ressentais une émotion que je voulais exprimer. Mais lorsque l’on participe à des séances de création, il faut être capable de rapidement saisir n’importe quelle émotion au bond. Il faut arriver dans ces séances bien préparé. Que ce soit un “hook”, des paroles ou une progression d’accords, ce sont toujours de bons trucs pour donner le coup d’envoi à une de ces séances. »
Il faut se donner un espace.
« J’adore les rituels, je me crée un espace, peu importe où je suis, afin d’arriver à faire certaines choses. Pour arriver à travailler sur la route, j’avais besoin de mes outils — mon studio dans un sac à dos. Je m’étais créé un studio que je pouvais emporter avec moi n’importe où, que ce soit une chambre d’hôtel ou une loge. »

« À mesure que je me tournais de plus en plus vers l’écriture, j’ai découvert plein d’auteurs-compositeurs qui m’inspiraient », se souvient-elle. « Lisa Dal Bello a été très inspirante pour moi, tout comme Simon Wilcox, qui a commencé à écrire à un très jeune âge. »

Kourkoutis a vécu son premier « grand moment » en tant qu’auteure-compositrice lorsqu’elle a écrit pour Mookie and the Loyalist (Sony Music), des participants à l’émission Canadian Idol, mais c’est une communauté d’auteurs-compositeurs indépendants qui lui ont permis de peaufiner ce talent.

« Ça faisait des années que j’écrivais en compagnie d’artistes de la scène indé de Toronto », raconte-t-elle, « et on nous nous entraidions tous en collaborant sur les projets des autres. C’est vraiment là que le processus collaboratif a commencé au chapitre de l’écriture. »

Récemment, la musique de Kourkoutis est passée des palmarès à la pub et à l’écran, incluant Private Eyes, The Adventures of Napkin Man ! et Kim’s Convenience.

« Plusieurs trajectoires m’ont menée vers ces opportunités », dit-elle. « J’avais quelques agents qui octroyaient des licences pour mon matériel. Bon nombre de ces occasions proviennent aussi de relations personnelles que j’ai établies avec des directeurs musicaux. »

Les films et la musique vont main dans la main, pour cette auteure-compositrice formée en composition à l’image. « Je ne peux pas travailler sur un projet de film sans penser à la trame sonore », confie Kourkoutis, « Tout comme je ne peux pas écrire une chanson sans penser à l’histoire qu’elle raconte. C’est vraiment intéressant d’écrire une chanson sans savoir jusqu’où elle ira et, soudainement, elle se retrouve dans une scène très spécifique. Juste de pouvoir constater comment une chanson peut influencer une scène, c’est toujours très excitant. »

Son succès grandissant signifie toutefois qu’elle a dû mettre certaines de ses passions sur la glace, notamment de ne plus partir en tournée.  « Ce fut une décision difficile pour moi, parce que j’adore la tournée, et j’ai eu l’honneur de jouer avec des artistes incroyables au fil des ans [Serena Ryder et The Weeknd, entre autres]. Mais je trouve incroyablement difficile d’être créative sur la route. Une des raisons les plus importantes pour lesquelles je me suis lancée en musique était pour l’aspect créatif, le savoir-faire qu’il y a derrière la création d’une chanson. Mon modus operandi, désormais, est la concentration, et la production et l’écriture sont là où j’ai choisi de me concentrer. »