Everything that’s bad for the world is good for rock’n’roll, observa un jour le sage. Il aurait pu ajouter que tout ce qui est mauvais pour le monde – Trump, les tentatives de d’autocrédibilisation réussies de l’extrême-droite, la désignation de faux ennemis collectifs – est paradoxalement bon pour GrimSkunk (et leurs fans). La colère propulsant Unreason In the Age of Madness, le neuvième album des pères du rock alternatif québécois, se chauffe des brasiers nombreux constellant une planète sur laquelle règnent des puissants ayant tout intérêt à diviser pour mieux dominer.

GrimSkunk« Protestors are anarchists, dissenters are terrorists, you have no right, no right to resist », hurle d’emblée la formation sur Let’s Start a War, faux appel aux armes épousant, pour mieux le subvertir, un discours assimilant à des enfantillages le désir de manifester dans la rue son désaccord avec les diktats du néolibéralisme. Des raccourcis intellectuels avec lesquelles vous êtes sans doute familiers si vous avez un jour jeté un œil morbidement curieux aux commentaires s’empilant sous une publication Facebook d’une grande chaîne de télé, ou d’un tabloïd.

« Il y a malheureusement de plus en plus de gens qui avalent la bullshit totale que la droite leur sert depuis Reagan, qui prétendait que la fortune des riches allait bénéficier à tout le monde », observe le chanteur et guitariste Franz Schuller, pas exactement le genre de gars que vous avez à supplier afin d’obtenir une généreuse tranche d’éditorial au vitriol.

« La réalité, c’est que des tas de gens dans certains médias ont intérêt à ce que le 1% demeure en place et ils sont là pour prétendre que des mensonges sont des vérités, puis diviser la classe ouvrière, les gens moins instruits, les pauvres, en essayant de leur faire croire que leurs véritables ennemis, ce sont les élites intellectuelles ou les stars d’Hollywood. »

Enregistré à Gibsons en Colombie-Britannique avec Garth Richardson (le réalisateur derrière le premier album de Rage Against the Machine), le successeur de Set Fire! (2012) imagine toujours, en se jouant des limites entre les genres musicaux, une planète sur laquelle toutes les frontières auraient été abolies. Du reggae de Same Mistake, au vol plané très pinkfloydien de Starlight, jusqu’au punk bras-dessus-bras-dessous de Gimme Revolution, le caméléon GrimSkunk demeure fidèle à ses polyvalentes habitudes.

« Le but du band, c’est plus que jamais de faire réfléchir », explique Franz, au nom de ses compagnons de lutte, le claviériste et chanteur Joe Evil, le bassiste Vincent Peake, le batteur Ben Shatskoff et le guitariste Peter Edwards (qui balance sur Hanging Out in the Rain et Computeur Screen des solos trahissant l’amour jamais parfaitement camouflé du groupe pour le prog rock).

« Certains pensent qu’on est des sermonneurs, mais on ne dit pas aux gens ce qu’ils ont le droit de faire ou pas. T’as le droit de ne pas être d’accord avec ce qu’on pense. On veut juste mettre en valeur des idées différentes de celles qu’on utilise partout pour brainwasher les gens et les faire rentrer dans le rang comme des moutons. On veut les exposer à des idées différentes, qui vont peut-être éventuellement leur donner le goût de prendre des décisions citoyennes et politiques différentes. »

C’est l’évidence: le groupe qui célébrera son trentième anniversaire en novembre n’en est pas encore à la création du proverbial album folk pour punks pantouflards.

« Non, parce qu’on a encore les mêmes valeurs que lorsqu’on était jeunes et qu’on n’a pas envie de tourner le dos aux opprimés, qui ont besoin d’être soutenus », plaide celui qui chante sur Same Mistake le « redneck revival » de La Meute et autres groupuscules identitaires, vingt ans après avoir fustigé le nationalisme niais sur Lâchez vos drapeaux (extrait du mythique album Fieldtrip).

Autrement dit: comment décolérer quand les raisons de la colère, elles, restent les mêmes? « C’est pas parce que tu deviens plus vieux ou plus confortable que tu devrais cesser de te soucier des autres, surtout quand autant d’entre eux sont exploités, persécutés, tués, méprisés. On a une responsabilité humaine face aux autres êtres vivants sur cette planète. »

« Fuck the NRA », gueule d’ailleurs GrimSkunk sur The Right to Bear Harm, rageur pamphlet anti-armes. « Je pense que lorsqu’on sent de la colère face à quelque chose qui nous désole, il faut l’exprimer de la manière la plus naturelle et vraie possible. L’idée de base du punk, c’est que de dire les choses doucement, ça a une efficacité limitée. Dire les choses fortement, ça permet d’ouvrir un débat et de créer du questionnement. Regarde les kids qui ont pris la parole contre la NRA après la tuerie de Parkland. On les a traités de pathétiques, de juvéniles, mais ils ont fait bouger les choses. La colère peut être un bon moteur si elle est dirigée vers un but positif. »

Mais la colère du punk permet aussi plus simplement – c’est déjà beaucoup – de se délester de celle que fait bouillir en nous un monde où les injustices se multiplient. « Pendant un show de GrimSkunk, les gens trashent, ils se lançant de tous les bords, ils sortent de là avec des bleus parce qu’ils sont tombés par terre, mais ils ont aussi un smile gros comme le soleil dans la face. Ils ont été libérés de toutes leurs frustrations. » Jusqu’au journal du lendemain, du moins.