Nous avons eu la chance d’assister à un spectacle enlevant de Blackie & The Rodeo Kings au Danforth Music Hall de Toronto le 21 février 2020. Ne manquez pas nos images de l’événement !

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Sur Homme-objet, Luis Clavis aborde des thématiques bien de son époque avec sarcasme, auto-dérision et vulnérabilité.

Luis Clavis, Homme-objet, William ArcandAu terme des 15 pistes de ce premier album solo, on reste saisi. C’est qu’on ne s’attendait pas à ce que Luis Clavis, qu’on connait surtout pour ses textes ludiques et son charisme festif au sein de Valaire et Qualité Motel, s’ouvre autant à nous sur Farewell, pièce électro-pop-jazz au fond folk lo-fi qui conclut l’opus. « Quand ton odeur quittera mes vêtements / Il sera sûrement temps que je les brûle », y chante l’auteur-compositeur-interprète avec un ton morne, presque piteux.

« Je voulais me confronter pis faire des affaires plus personnelles. Dès que ça devenait un peu rushant ou simili-gênant, j’y allais. Y’a une estie de beauté d’être dans un band avec des amis d’enfance, mais à un certain moment, ça devient important de se demander ce qu’on peut faire seul », explique Clavis, rejoint dans un café rosemontois, tout près de chez lui.

Ce « certain moment » ne s’était pourtant jamais pointé le bout du nez en 15 ans d’activités avec Valaire. Devenu leader de la formation « un peu par défaut » lors des spectacles, Clavis a eu ce désir de prendre le micro en solo il y a un peu plus de deux ans, lorsque deux des cinq membres de la formation (Tō et Kilojules, alias Tōki) ont pris une pause de quelques mois pour travailler sur l’album de leur bonne amie Fanny Bloom.

« Avant ça, j’avais jamais pensé à ça », assure-t-il. « En tant que band instrumental qui a grandi dans le jazz, on voulait pas que ma voix soit associée à une teinte de frontman. On voulait toujours être bien égal, et ça me plaisait […] Mais quand les gars ont commencé avec Fanny, j’ai eu du temps pour moi. Assez pour me demander : ‘’Qu’est-ce que je fais dans la vie, moi, quand j’ai pas mes bands?’’ Je me suis mis à écrire des tracks pour moi, sans trop me demander quelle forme ça prendrait. »

Clavis a d’abord cherché ce qu’il avait de pertinent à dire. Plus conscient que jamais de sa situation sociale, c’est-à-dire celle d’« un homme blanc, québécois, privilégié et ayant eu une enfance équilibrée », il a stimulé son inspiration grâce au best-seller Libérez votre créativité, ce fameux livre d’autoassistance de l’autrice américaine Julia Cameron. « C’est un livre qui encourage les gens bloqués [à sortir de leur inaction]. Ça m’a enseigné à écrire chaque jour pendant cinq minutes tout ce qui me sortait par la tête, sans juger. À force d’écrire n’importe quoi, y’a des idées, des bouts de verse qui sont sortis. Ça m’a vraiment aidé à trouver une démarche et des thèmes propres à moi, car contrairement aux artistes que j’écoute, j’ai pas vécu de struggle particulièrement inspirant. Je suis un homme blanc, hétéro qui a jamais vraiment connu l’adversité. Même mes parents sont encore ensemble ! »

Malgré son éducation favorable, le Sherbrookois d’origine a réussi à mettre le doigt sur plusieurs bobos de notre époque. Sur l’album Homme-objet, il ironise le culte du paraître et la célébrité instantanée, tout en prenant bien soin de ne jamais se prendre pour un autre et de ne jamais succomber à la critique facile ou trop directe.

« Je me juge et je m’observe… Y’a une belle poésie de la défaite là-dedans », explique-t-il. « J’ai grandi en écoutant du hip-hop, mais au lieu de faire comme la plupart des rappeurs et de me vanter, j’ai choisi le personnage du MC un peu loser qui regarde la vie avec contemplation. J’aime cette idée de valoriser la contemplation, de vivre mes journées sans avoir ce besoin de modifier le monde pour satisfaire mes ambitions. »

« Je me demandais vraiment comment un non-chanteur comme moi allait faire pour enregistrer un album chanté. »

Une façon propre à lui d’incarner la décroissance ? « En vrai, non ! » s’exclame-t-il, en riant. « Je sais que je suis dans le même bateau que tout le monde et je prétends pas avoir LA solution. Mais j’aime l’image de la contemplation, et je crois que ça fait peut-être partie de la solution. Si on montrait à nos kids à observer plus qu’à performer, on aurait sûrement un monde meilleur. »

Cette façon de voir le monde prend forme de manière assez originale sur Cycle délicat, dans laquelle Clavis se met dans la peau de l’homme de maison (presque) parfait. « Quand j’ai écrit ça, je pensais à toute la question de la charge mentale et du surmenage professionnel. Moi, je serais ultra down d’être l’homme de maison, d’être le gars qui s’occupe de tout en attendant sa femme qui revient du travail », confie-t-il, sourire en coin.

Ces thèmes modernes s’agencent tout naturellement à une trame musicale qui l’est tout autant. Appuyé par Tōki à la réalisation, Clavis signe des compositions électro-pop aux ramifications funk et hip-hop. « Beck m’a beaucoup influencé dans la création, surtout son album Midnite Vultures. Cet album-là, c’est un hommage à Prince de la part d’un homme blanc, frêle et pas si sexy. Ce côté qui se veut sensuel avec une twist pas sérieuse, ça me fait triper. »

Par son côté posé et ses élans de nonchalance, la posture vocale de Clavis épouse également cette « twist pas sérieuse ». Le rappeur et vocaliste (qui refuse de se considérer comme un chanteur) a mis du temps avant de trouver le bon ton. « Je me demandais vraiment comment un non-chanteur comme moi allait faire pour enregistrer un album chanté. Tout ce qui me restait, c’était l’honnêteté, celle d’un gars qui assume ce qu’il a […] car je suis loin de pouvoir pousser la note comme le monde à La Voix. Je suis pas mal sûr que j’aurais affaire à quatre sièges non retournés si j’y allais. »

À l’aube de la sortie de cet album, Luis Clavis se dit satisfait, mais pas nécessairement encore prêt à affronter les réactions du public, qui a pourtant bien réagi aux deux premiers extraits, autant relayés dans les radios étudiantes que commerciales. « Ça fait un bout que je me situe entre ‘’OK c’est cool’’ et ‘’c’est le pire album qui a jamais été fait dans l’histoire de la musique’’ » lance-t-il. « Chaque étape est challengeante, et j’aime ça comme ça. »



« L’affaire, c’est que c’est pas des textos ou des emails », souligne Viviane Roy des Hay Babies au sujet de la fertile matière première leur ayant permis de créer leur troisième album, Boîte aux lettres: la correspondance entre une mère et sa fille, une jeune femme ayant quittée le Nouveau-Brunswick pour Montréal, au milieu des années 1960. « Et puis le téléphone, c’était way trop cher dans ce temps-là. Ça fait en sorte que ces lettres-là sont riches, elles sont pleines de détails. Jackie essaie de faire vivre à sa mère ce qu’elle vit à Montréal. »

 Les Hay BabiesMais cette histoire, avant d’être une histoire de lettres, ou de musique, c’est d’abord une histoire de vêtements. Julie Aubé hérite, il y a quelques années, des fringues retrouvées par Claudette, une supportrice de longue date des Hay Babies, responsable de vider une maison de Moncton, désertée par sa propriétaire. C’est que Julie Aubé, en plus de son travail de créatrice, gère aussi une friperie en ligne, OK My Dear, et possède une des garde-robes les plus éblouissantes de toutes les Maritimes (bien que sa collègue et amie Katrine Noël lui offre en la matière une flamboyante compétition).

Parmi ces vêtements: une série de lettres, qu’elle laisse d’abord en plan, « tellement les habits étaient cool. Tsé, des beaux jeans à pattes d’éléphant, qui coûteraient 300$ aujourd’hui. » Une fois cette ivresse vestimentaire calmée, la musicienne reconnaît cependant le vrai joyau que recelait le lot légué par Claudette. « Dès qu’on a commencé à lire les lettres, on était literally on the edge of our seat. »

Le projet d’élaborer un album-concept à partir de ces échanges épistolaires s’impose rapidement comme une évidence, tant il se dégageait des récits de Jacqueline le portrait palpitant de la vie professionnelle, sociale et sentimentale d’une célibataire embrassant le tourbillon de la vie montréalaise entre 1965 et 1969.

« Quiconque lirait ces lettres-là ne resterait pas indifférent, pense Katrine Noël. C’est comme un roman-savon: oh my god, elle s’en va faire une audition pour devenir top-modèle, oh my god, elle date ce gars-là. En même temps, Jackie écrit avec son ego. Elle essaie de se faire paraître way plus high class que anybody else de Moncton. Peut-être que sa mère voulait pas qu’elle déménage à Montréal à 24 ans, peut-être qu’elle lui a dit: « Tu vas jamais atteindre tes rêves, tu devrais te marier. » Peut-être que Jackie en met un peu plus à cause de ça. C’était ben intéressant d’hypothéser sur ce qui est vrai ou pas. »

Conséquence heureuse de ce travail d’extrapolation à trois: alors que Mon Homesick Heart (2014) et La 4ième dimension (version longue) (2016) permettaient de deviner aisément laquelle des trois autrices-compositrices formant Les Hay Babies se cachait derrière chacune des chansons, chaque seconde de Boîte aux lettres sonne résolument comme l’œuvre d’un trio.

« Un album, c’est pas un single, faut que ça se tienne debout. », Viviane Roy, Les Hay Babies

Et si La 4ième dimension (version longue) faisait la fête au soft rock des années 1970, Boîte aux lettres bourgeonne de sonorités empruntées à la décennie 1960, du folk pastoral d’Entre deux montagnes, en passant par le rock garage d’Almost minuit et le psychédélisme de Limonade.

« On était aussi obsédées par la musique sur laquelle pépère pis mémère font des bébés », blague Viviane, la plus loquace des trois, en évoquant les références très easy listening d’une pièce lascive comme Jacqueline.

La lecture de ces lettres aura par ailleurs permis aux Hay Babies de mesurer comment les libertés dont jouissent aujourd’hui les femmes ont jadis été autant de frontières à conquérir. « Pour l’époque, Jackie était super féministe, observe Viviane. Elle avait l’indépendance de ne pas settle down, de ne pas se marier à 18 ans comme elle aurait pu le faire. Elle était très open minded. Ça nous a fait checker nos privilèges. Il y a beaucoup de stuff qui pour elle demandait du courage et qui pour nous sont complètement banals. Il y a tellement un contraste entre ce qu’elle vivait, entre comment elle pensait par exemple qu’elle devait se comporter pour plaire aux hommes, pis où on est astheure. Toutes les preuves de l’avancement des femmes ressortaient des lettres. »

À l’heure des listes de lecture et des plateformes d’écoute en continu séparant les chansons des albums auxquels elles appartiennent, Boîte aux lettres impose quant à lui une écoute de A à Z, pied de nez à une époque d’incessant zapping.

« J’ai tout le temps cru aux albums-concepts, lance Viviane. Tous les albums devraient être des sortes d’albums-concepts. Parce qu’un album, c’est pas un single, faut que ça se tienne debout. Quand tu rentres dans un album, c’est la même affaire que dans une galerie d’art. Si tu sais c’est quoi le thème, suddenly toutes les œuvres peuvent faire plus de sens. Honnêtement, je trouve qu’il y a beaucoup trop d’artistes qui écrivent des tounes et qui se disent: « J’en ai assez pour un album. » Ben guess what? J’écouterai jamais ces albums-là. Il y a tellement d’albums qui sortent sans que ceux qui les ont créés soient capables de les backer up avec des idées. »

Les lettres de Jacqueline, Néo-Brunswickoise exilée à Montréal, ont-elles donné envie à Julie et Katrine, qui habitent toujours leur province natale, de déménager?
Katrine grimace. « Ça m’a donné envie de voir Montréal dans les années 1960 big time, ça m’a donné envie d’aller à l’Expo 67. Mais déménager à Montréal pour aller dans les hipster restaurants qui se ressemblent tous? Ça m’excite beaucoup moins. »