« Le rap, c’est un milieu féroce. T’as pas le choix ; si tu veux être considéré comme un membre actif de cette scène-là, tu dois arriver avec le chien mangé chien philosophy », explique le rappeur montréalais, en référence à cette expression créole qui évoque le côté animal et égoïste de l’humain dans une situation de compétition. « Mais je dis pas ça dans le sens que je veux écraser tout le monde dans le game… C’est plus pour m’affirmer, pour dire que je suis là et que je fais ma place. »

 Fleau DicaprioÀ peine deux mois après la sortie de ce premier album, on peut dire que Fléau Dicaprio a réussi à la faire, sa place. Et pas seulement dans la catégorie des meilleurs pseudonymes d’artistes de tous les temps… Les médias spécialisés en rap québécois l’encensent constamment, ses chansons cumulent les centaines de milliers d’écoutes sur les plateformes numériques, et certains des joueurs les plus respectés de la scène hip-hop locale (comme Mike Shabb, Baxter Dexter et Ruffsound) ont manifesté de l’intérêt pour travailler avec lui depuis cette parution.

Actif sous le surnom Le Réel Fléau depuis la fin des années 2010, il attire l’attention grâce à son attitude décalée (qui peut rappeler celle d’un Jeune Loup par exemple), son flow précis, ses structures de rimes bien calculées, son langage cru et sa direction musicale novatrice, empreinte de trap et de guitares rock pesantes.

Cette direction, elle est échafaudée par Danny Ill, producteur montréalais d’expérience qui a notamment travaillé avec Tronel (des Anticipateurs) et, surtout, avec Mike Shabb sur l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire récente du rap d’ici, Life Is Short (2020). C’est en fait grâce à Danny Ill si Fléau Dicaprio a pris le rap plus sérieusement, après des années à en faire simplement pour s’amuser.

« On se connaissait avant, mais à un moment donné, pendant la COVID, on a décidé de faire une session. On a passé la journée à faire du rap et on a enregistré sept chansons, dont Chien mangé chien. Cette journée-là, le rap, c’est devenu du sérieux pour moi. Je devais profiter du vibe qui était là. Tout se mettait en place. »

Son personnage aussi se mettait en place. Originaire du Mile-End, Fléau Dicaprio n’a pas exactement l’envergure du rappeur typique. En fait, le rappeur se dit conforme à l’image du quartier qu’il a vu évoluer depuis maintenant plus d’un quart de siècle. « Le Mile-End, c’est un quartier où il fait bon vivre. C’est relax, artistique, mais avant que ça devienne populaire comme maintenant, c’était plus industriel, comme c’est souvent le cas pour les quartiers qui sont près d’une track de train. Dans le temps que ma mère m’a eu, les maisons coûtaient des peanuts. C’était pas le ghetto, mais c’était très modeste, comme Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles ou, même, Hochelaga. »

Fleau Dicaprio, PAKET

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Né dans une famille de la classe moyenne, d’une mère québécoise et d’un père ghanéen, Fléau Dicaprio a eu une adolescence très agitée, dans laquelle il passait d’une école à l’autre. « J’ai vécu plein de trucs fucked up. Je n’ai plus rien à prouver à personne », dit-il, sans trop entrer dans les détails. « Maintenant, avec ma musique, je veux avoir du fun, je veux rire. Je raconte des street shits, mais avec un brin d’humour. »

Mais bon, soyons honnêtes, c’est loin d’être seulement drôle, ce que propose Fléau Dicaprio. C’est assez cru, incisif, provocateur, parfois peu flatteur, voire choquant, pour les femmes. Son écriture est graphique : on imagine, disons, très facilement les scènes qu’il dépeint. « C’est sûr que c’est intense ce que je fais, mais c’est du rap man… On fait pas des chansons pour les enfants », se défend-il. « Mais t’sais, j’ai fait beaucoup de podcasts et d’entrevue et, tranquillement, les gens apprennent à me connaitre. Ils voient bien que je suis pas un espèce de tata ou un débile, et que j’ai une tête sur les épaules. Ça vient compenser avec les trucs plus raw que je fais dans ma musique. »

Les trucs plus « raw » sont d’ailleurs finement écoutés par l’entourage de Fléau Dicaprio avant leur parution, assure le rappeur. « Quand je fais écouter mes chansons à mes ami.e.s proches, que ce soit à des gars ou à des filles, personne autour de moi est en mode yes man. Parfois, il y en a qui vont trouver que je vais trop loin dans certains passages des chansons, mais overall, la chanson dans son entièreté est bien accueillie. Pis t’sais on va se le dire, si c’était SI fucked up que ça mon affaire, j’aurais pas tant d’attention des médias… »

Chose certaine, Fléau Dicaprio navigue habilement entre le premier et le second degré dans ses pièces, exacerbant les clichés et les codes du rap américain avec une approche juste assez déphasée et marginale pour qu’on comprenne que tout n’est pas sérieux à 100%. « Ça reste de la musique. Ce qu’on dit, c’est vrai, mais y’a des trucs qu’on pousse pour faire réagir, pour rendre ça plus drôle […] Quand je rentre dans le booth, je me mets pas de déguisement. Ça reste moi, Fléau, mais je me boost avec une autre énergie. »

Et c’est d’ailleurs une tout autre énergie qu’il compte nous dévoiler pour la suite des choses. Un deuxième album est en préparation, mais Fléau n’est pas pressé de le terminer : il veut développer une direction artistique inédite et, surtout, différente de ce qu’il a proposé sur Chien mangé chien. « Je me suis présenté en tant que Fléau, les gens ont vu mes bars, ils ont vu que j’étais capable d’être cru. J’ai montré que j’étais capable de dire des shits fous, mais là, allons chercher l’autre clientèle, c’est-à-dire les gens qui trouvent que je suis trop [intense]. »