TronelAprès avoir roulé sa bosse pendant une décennie au sein du groupe rap satirique Les Anticipateurs, Tronel se dévoile en solo avec un étonnant premier album.

L’album aurait pu s’appeler Tronel’s Angels ou bien Troneldorado, mais c’est finalement TronelDiablo qui l’a emporté au terme d’un brassage d’idées pour le moins inspiré. « Avec Les Anticipateurs, y’a des gens qui voulaient nous crucifier et nous brûler. Ça fait référence à ça, mais aussi au fait que l’album est quand même dark », explique le rappeur montréalais et cofondateur du nouveau label Ultra Nova Club. « Ça allait juste bien avec la transition. »

La transition en question est celle qu’il a entamée il y a deux ans, lorsque le projet des Anticipateurs a été mis sur la glace après une séparation définitive avec Monak, l’autre principal rappeur de ce groupe devenu iconique pour son pastiche efficace et vulgaire du gangsta rap américain.

« Au début, j’avais commencé des tounes et je me disais que Monak allait embarquer dessus […] On avait aussi parlé de faire des albums solos avec nos personnages, mais son implication était moindre qu’auparavant… donc à un moment donné, à force de faire des tounes seul, j’ai réalisé que je voulais aller plus loin dans mon art, que je pouvais lâcher mon personnage. On va se le dire : mon personnage était assez lourd à porter. Ça commençait à être plate. Je commençais à avoir fait le tour de la joke. »

La «joke» des Anticipateurs a commencé au tout début de la décennie 2010 avec la mixtape Deep dans l’game. Mais c’est l’année suivante, avec l’hymne cocaïné SAPOUD, que le groupe originaire de St-Joseph-de-Sorel (du moins, selon sa propre légende…) a pris son envol sur une scène rap québécoise alors en pleine renaissance. En dix ans, Les Anticipateurs ont livré une douzaine de projets musicaux contenant des chansons ayant presque toutes comme thèmes le sexe, la drogue ou le hockey – souvent les trois en même temps.

Au gré des parutions, la formation est devenue plus sérieuse, même si à la base son intention était essentiellement ludique. Les personnages plus grands que nature de Tronel et Monak – avec leurs textes mélangeant humour, références culturelles québécoises et vulgarité gratuite – sont devenus les moteurs créatifs du groupe.

« C’est sûr que [choquer les gens], ça attire l’attention, mais je peux pas dire que tout notre succès est dû à ça. On a toujours soigné nos produits, on a toujours eu de la grosse production », rappelle Tronel, faisant notamment référence à la collaboration du groupe avec les renommés producteurs américains Loud Lord, Lex Luger et Scott Storch (à qui on doit des mégasuccès rap comme Still D.R.E. et Let Me Blow Ya Mind).

Et, rendons à César ce qui est à César ; si les albums des Anticipateurs ont toujours été aussi puissants au plan musical et sonore, c’est en grande partie grâce à Nicolas Ranchoux, l’homme aux origines françaises qui se cache derrière les lunettes et le bandana de Tronel. Bachelier en arts et ingénierie audio d’une école des métiers du son de Paris (l’institut SAE), le rappeur né en 1986 a travaillé comme ingénieur résident dans un studio français renommé (One Two Pass It) et comme sonorisateur pour des mégatournées à l’international avant de revenir s’installer pour de bon à Montréal, sa ville d’origine.

« J’ai passé 10 ans à Paris et je revenais ici pour des tournées. À un moment donné, j’ai atteint le stade où je pouvais vivre uniquement avec Les Anticipateurs, donc j’ai mis ma carrière de soundguy de côté. Mais en faisant du rap à temps plein, j’ai constaté que je devais le faire à temps plein puissance deux [pour bien en vivre]. Mais j’avais pas assez à faire avec Les Anticipateurs à mon goût. Y’a quelque chose de plus fort en termes de créativité qui était au fond de moi et qui voulait sortir. Ça fait du bien et, sincèrement, je pense que la musique est meilleure que jamais. »

À ses côtés, Tronel peut maintenant compter sur Danny Ill, talentueux producteur montréalais qui s’est notamment illustré aux côtés de Mike Shabb et Kgoon. « J’ai travaillé avec lui sur Dieux du Québec (dernier album des Anticipateurs, paru en 2020), et on a vraiment développé une grande complicité. J’ai fait une centaine de chansons, et ensemble, on a fait une cut pour l’album. »

En résulte une sélection majoritairement trap, mais assez hétéroclite dans ses influences, passant du baile funk (Fais PT) à la synthpop (Magnifique) et au reggaeton (Chérie chérie). « Je pense avoir réussi à faire un bon compromis entre ce que les gens aimaient [des Anticipateurs] et ce qu’ils détestent. Les die hard fans vont avoir le goût de vomir en écoutant Chérie chérie, mais y’a des tounes qui brassent plus que jamais [pour eux]. »

Conscient du nombre important de « phrases inacceptables » qu’on retrouve sur l’album, le rappeur précise avoir voulu garder un équilibre entre l’ancien et le nouveau Tronel. Sur Haut d’gamme, par exemple, on est collés à l’univers des Anticipateurs. « J’suis pas un player, j’suis un pimp, j’ai trop d’femmes / Si t’es un hater, big t’as sniffé trop d’grammes », lance-t-il, au début de cette chanson tout particulièrement triviale.

« Je sors du groupe qui a dit les trucs les plus fous. C’est un clin d’oeil à ça […] Y’en a qui font du rap real, moi je fais du rap surréaliste. Y’a du second degré et, si les gens catchent pas, je peux rien y faire. Je suis conscient que les artistes ont une responsabilité, mais ça dépend toujours à qui ils pushent [leur musique]. Moi je fais de la musique 18 ans et plus, et j’ai toujours fait ma promotion [en ce sens-là].»

En fait, le nouveau Tronel, sans lunettes, se dévoile davantage en fin d’album, précisément sur Spectaculaire, chanson épique qui reflète l’amour que le rappeur porte à Prince, et Mon Dieu, une « introduction à la phase deux » de ce projet solo. « J’ai parié tous mes jetons sur mon ego comme un con / J’ai l’impression que j’pourrais exploser de rage sans faire un son / Certains pensent que j’ai un don, mais dans ma tête, ça tourne en rond », confie-t-il sur cette dernière pièce, dans un rare élan d’introspection. « J’ai du vécu, j’ai des choses à dire. J’ai fait des tounes en disant des niaiseries pendant tellement de temps que maintenant, c’est super facile pour moi de faire des tounes en disant pas des niaiseries. J’ai tout à dire. »

« Mais je vais continuer à faire des chansons plus drôles », ajoute-t-il, comme pour nous rassurer. « Je veux autant faire des tounes de loverboy que des bangers et des trucs plus personnels. Ça fait du bien d’avoir de la sincérité dans le discours. »