Pour Denis Wolff, tout démarre par un amour passionnel de la musique, un achat compulsif de disques, la fréquentation des salles de spectacles. À 21 ans, déjà, il commence à travailler dans l’édition musicale : « J’ai quitté Montréal pour Paris afin de tenter ma chance et voir le monde, explique aujourd’hui l’homme de 53 ans. J’y ai trouvé un emploi chez un éditeur qui gérait les éditions de Michel Fugain. » Pendant les années punk, Wolff séjourne à Londres, puis revient à Montréal en 1984 pour faire de la gérance avec Men Without Hats. Il rencontre Michel Bélanger et se joint à Audiogram pour faire de la direction artistique (Jean Leloup) et de l’édition.

 

Denis Wolff nous reçoit dans ses bureaux montréalais, où on trouve un studio d’enregistrement qui a connu pas mal de passages : Arthur H, Lhasa, Pierre Lapointe, entre plusieurs autres, y ont tous mis en boîte au moins des fragments de leurs disques. Sans oublier Alexandre Désilets, dont Wolff est l’éditeur.

 

« Les éditions musicales, ça couvre large. Un premier élément, c’est la découverte de talents. Un deuxième, c’est trouver des débouchés pour leur musique. Qui sont ces artistes? Qu’est-ce qu’ils ont à dire? À qui s’adressent-ils? On doit aider les auteurs-compositeurs à placer leurs chansons auprès d’interprètes. Pour certains, il faut revoir les textes ou revoir les structures musicales. C’est un travail artistique de fond, il faut comprendre le matériel. Si c’est un auteur-compositeur-interprète, on doit essayer de lui trouver un contrat de disques. Il y a aussi des notions de droits, le droit d’auteur, avec lesquelles je suis à l’aise et que j’aime bien. »

 

Des décennies après ses débuts dans le métier, Wolff carbure encore à la passion, et c’est elle qui l’aide à choisir ses associés : « J’y vais selon mes coups de cœur artistiques. Ça ne me vient pas à l’esprit de savoir si c’est commercial ou non. Parfois, ça m’a bien servi, d’autres, non… En ce moment, je travaille beaucoup avec Alexandre Désilets. Il y a aussi Jean-Philippe Sauvé. Et enfin, je collabore avec des compositeurs qui font de la musique pour l’image, téléséries, films. Des gens comme Mathieu Vanasse, Jean Massicotte. Ce sont parfois des coproductions avec l’Europe ou d’autres destinées au marché américain. »

 

Il s’agit d’un métier de longue durée que celui d’éditeur, bâti patiemment : « Pour placer nos œuvres, c’est un réseau qui se construit avec le temps. On se spécialise là-dedans, alors on sollicite les gens, mais c’est toujours à recommencer car il y a des nouveaux joueurs. » Ces dernières années, Wolff se consacre davantage à son métier d’éditeur avec sa compagnie Ho-Tune Musique (qui existe depuis près de vingt ans) qu’à ses fonctions de réalisateur artistique. Avec la démocratisation du matériel d’enregistrement personnel, les artistes ont moins tendance à embaucher des services extérieurs.

 

« La musique, il faut qu’elle voyage, qu’elle soit diffusée, » croit également Wolff. « Parfois des artistes viennent me voir pour collaborer avec moi, j’en découvre d’autres par les journaux, le web ou des spectacles. Dernièrement, j’ai eu un coup de cœur pour la rencontre entre un musicien (Boogat) et un poète/slameur (Mohammed), nous allons travailler ensemble. Pour 2010, nous continuons les projets de musique de films, ainsi que pour Internet. »

 

À ne pas négliger dans les plans imminents de Wolff, un deuxième album pour Alexandre Désilets, un des talents les plus prometteurs de la nouvelle chanson québécoise : « Des choses sont prévues avec lui pour la France, des spectacles. Mais il y a aussi des musiques de film qui, elles, voyagent. Au-delà de la recherche de talents, le plus gros challenge, pour un éditeur à l’ère numérique, c’est de travailler avec des sociétés de gestion, d’être proactif. Dans le futur, il faut qu’il y ait de nouvelles sources de revenus pour le monde numérique. La musique des artistes doit se retrouver dans plein d’endroits différents. Internet est une arme à double tranchant : ça permet la diffusion instantanée de contenus, la qualité semble toujours faire surface, mais d’un autre côté, la réglementation internationale n’est pas au point. Les éditeurs travaillent fort avec les sociétés pour mettre ça en place. Tout le monde va en bénéficier. »

 

Dans les bureaux de Denis Wolff, un silence bref s’installe. Ça mijote. Comment se vivra la musique de demain, le quotidien des artistes? Quels rôles auront leurs éditeurs? L’avenir est ouvert, plein de promesses. Il suffit de l’imaginer.