Un contenu visuel présenté à l’écran ne serait jamais complet sans un complément sonore peaufiné, conçu pour s’emboîter avec lui comme un morceau de son casse-tête. Qu’elle soit conçue expressément pour une scène de film, une série ou une publicité ou bien qu’elle soit produite sans arrière-pensée, la musique rehausse les images dans toutes les sphères de notre vie et ces trois compositeurs québécois à surveiller s’y consacrent, chacun à leur manière.
Anaïs Larocque
« Enfant, mes jouets étaient tous des instruments de musique », annonce d’emblée Anaïs Larocque. Admiratrice de l’œuvre de Michel Corriveau, la jeune femme de 35 ans compose de la musique à l’image depuis un peu plus de six ans. Après des études en jazz au cégep et à l’université, ce sont les cours de musique numérique qu’elle a gardés en tête.
« Après mon bac, j’ai décidé de faire un DESS en musique de film, dit-elle. J’ai participé au Concours international de musique de film de Montréal. Je suis arrivée deuxième. L’année d’après, ils voulaient que je fasse partie du préjury. J’ai dit non et j’ai refait le concours. J’ai eu la première place et ça m’a donné mes premières opportunités. »
Surtout sollicitée pour créer de la musique destinée aux publicités, c’est le documentaire Odyssée sous les glaces (2019) qui marque son « envolée professionnelle ». « J’ai aussi travaillé sur Nature of Things à CBC et j’ai été très occupée pendant la pandémie, j’ai fait le documentaire The Walrus and the Whistleblower. Les documentaires, c’est ce que j’aime le plus faire parce que je compose en apprenant des choses. »
Elle éprouve un fort intérêt pour les compositeurs sensibles qui doivent se coller musicalement à des histoires qui le sont tout autant. Elle perfectionne son art à distance en suivant des cours en ligne au Berklee School of Music. « Mon rêve serait de faire un film de fiction et d’enregistrer un orchestre symphonique. J’ai l’impression d’avoir pensé à cette carrière sur le tard, mais pourtant quand j’étais enfant, j’écoutais les films pour la musique qu’il y a avait dedans donc je suis convaincue, aujourd’hui, que je suis à ma place. »
Evan MacDonald
« Mon oncle m’a donné une guitare quand j’avais dix ans and the rest is history », dit Evan MacDonald en riant. À l’aube de la trentaine, le compositeur possède déjà un bagage enviable en création de musique à l’image. «Mes parents m’ont donné l’opportunité d’essayer tous les instruments parce que je n’étais pas du genre sportif. J’ai étudié en musique au Collège Vanier et à McGill et jusqu’à l’âge de 22 ans, tout ce que je voulais être, c’est guitariste. C’est vraiment à 22 ans que j’ai eu mon épiphanie. »
Cette épiphanie est arrivée avec un cours d’été en musique à l’image, à distance à Berklee. Puis il a décidé d’appliquer sur le véritable programme de maîtrise, offert en Espagne, pour lequel il a été accepté avec une bourse d’études. Il a ainsi terminé ses deux ans d’étude à McGill en quelques mois pour ne pas manquer cette opportunité.
« Après un an en Espagne, je suis rentré à Montréal et je savais que la musique à l’image, ce serait ça mon travail, affirme Evan, confiant. J’ai envoyé 100 courriels chaque jour pour écrire de la musique de film pour des réalisateurs de partout. Je n’ai presque pas eu de réponses, mais chaque fois que j’en ai eu, j’ai pris tout le budget du projet pour enregistrer des orchestres de plusieurs musiciens. Je voulais me faire un portfolio. »
Après son premier gros projet, le documentaire That Never Happened (2017), il s’est tourné vers la publicité. Extrêmement en demande, il a composé pour Google, Pepsi, BMW, Toyota et plus. « J’ai même fait la musique pour la campagne télé de Joe Biden aux élections américaines », relate-t-il ébahi.
Sa méthode actuelle de composition est d’offrir ses enregistrements à une banque de son, PremiumBeat, la branche audio de Shutterstock. Il s’est exécuté au studio Abbey Road dans le passé pour produire ce type de morceaux et il y retournera ce printemps. « J’essaie de repousser toujours mes propres limites pour alimenter une librairie, explique-t-il. Je regarde beaucoup de publicités pour voir ce qui fonctionne dans le moment. J’ai l’impression d’être en compétition avec les meilleurs au monde quand je fais des sons de librairie parce que tout le monde peut soumettre sa musique et il faut que tu produises la meilleure pièce possible pour que le client achète ta musique. Certains collaborateurs de la banque de sons ont déjà gagné des Grammy. J’aime ce genre de compétition qui me permet de toujours vouloir faire quelque chose de mieux. »
Quand on lui demande ce qu’il aimerait faire dans le futur, Evan admet qu’il a l’impression d’avoir déjà tout fait. « J’ai l’impression que je suis arrivée au sommet de ma carrière, déjà, dit-il en riant. Je voudrais continuer à faire ce que je fais avec des gens créatifs. »
Benoit Groulx
Même s’il n’a pas commencé par des études en musique, Benoit Groulx a toujours eu une vocation intrinsèque pour le métier. « J’ai joué de la musique de manière peu disciplinée quand j’étais jeune, se rappelle-t-il. Éventuellement, j’ai réalisé que j’avais de la facilité à reconnaître les structures en musique. »
Après des études universitaires en écriture musicale, il devient l’assistant du compositeur François Dompierre. « À l’âge à 30 ans, j’ai eu ma crise de la quarantaine, s’amuse-t-il. J’en arrachais un peu. Je suis parti un hiver en Inde et en revenant plusieurs personnes voulaient travailler avec moi. J’ai fait des arrangements pour Daniel Lavoie et Louise Forestier entre autres, des contrats plus sérieux qui ont donné un lustre à ma carrière. »
En 2000, il a orchestré The Secret Adventures of Jules Verne, une série anglo-canadienne en 22 épisodes de 60 minutes. « C’est le compositeur anglais Nick Glennie-Smith qui était à la tête du projet. Il composait et j’orchestrais. » Bonne équipe, le duo décide de continuer à travailler ensemble à plusieurs reprises. « On a fait des films à Los Angeles, en Angleterre, en Europe de l’Est. »
Son plus gros projet récent est une série de la BBC, Jonathan Strange et Mr Norrell (2015) réalisé avec Benoit Charest. « On avait 7h de musique à écrire en deux mois avec des réalisateurs très cultivés musicalement. C’était tellement enrichissant. »
À la suite d’une maîtrise en composition, Benoit Groulx décide d’écrire de la musique de concert et il enseigne désormais à l’Université de Sherbrooke. « Je suis au début de la cinquantaine. J’enseigne à des jeunes qui veulent faire mon métier et il y a beaucoup de talent », croit Benoit Groulx qui espère néanmoins encore entendre sa musique être jouée par des orchestres.
« Il n’y a rien qui équivaut à ça, à voir ta composition être interprétée. Je ne suis pas de la génération des synthétiseurs et je veux continuer à travailler avec des musiciens jusqu’à la fin de ma carrière, dit-il. Je suis de ceux qui préfèrent écrire plus sobrement et laisser la magie opérer avec des humains dans la pièce. »