Trois membres SOCAN ont été honorés lors de la Soirée des artisans et du documentaire des 35es prix Gémeaux le 17 septembre dernier. Alexandra Stréliski, Michel Corriveau et FM Le Sieur se sont emparés (virtuellement) de l’une des 63 statuettes remises en direct sur Facebook. Bien que l’expérience ait été vécue à domicile, la tape dans le dos a été accueillie avec une joie singulière alors que les activités musicales et télévisuelles sont au ralenti depuis des mois.

« C’était ma 13e nomination. Je commençais à me dire que j’étais le Spielberg québécois! Je ne gagnais jamais », lance en riant Michel Corriveau qui a été récompensé pour la meilleure musique originale de la série Les pays d’en haut.

« Dès la première saison, je savais que c’était un défi de s’attaquer à la bête, admet Corriveau qui assure pourtant qu’il n’avait jamais vu les épisodes de la première mouture des Pays d’en haut. Crois-le ou non, je n’avais jamais vu un épisode. J’étais juste un peu trop jeune. On m’avait dit qu’on voulait un style ²western du Québec². J’ai travaillé avec beaucoup de guitares, mais pas seulement de manière classique. En frappant dessus, entre autres. Le lapsteel a fait office de violon pour l’aspect plus dramatique. La réalisation traduit l’auteur et, moi, avec la musique, je deviens le sous-texte. »

On a également servi de grands éloges au travail d’Alexandra Stréliski pour la meilleure musique originale documentaire dans le cadre de l’essentielle série Faire œuvre utile, pilotée par la journaliste Émilie Perreault.

« L’art, une fois que ça sort de l’artiste, ce n’est plus qu’à l’artiste. L’art pour faire du bien dans le monde, c’est un angle qui m’intéresse énormément », soutient Alexandra Stréliski. Faire œuvre utile montre lors de chaque épisode un lien précieux qui unit un artiste à un consommateur d’art dont la vie a été changée par ce dernier. « Ce qui est ironique, c’est que j’ai gagné le trophée pour le thème musical, mais c’est quand même pour l’épisode où je suis aussi à l’écran pour parler de l’impact de mon œuvre. Promis, je n’ai pas composé en me regardant la face », rigole-t-elle.

FM Le Sieur a pour sa part obtenu le trophée pour le thème musical de la série Ruptures, toutes catégories confondues. « Le monde des avocats a quelque chose de très rationnel, souligne le compositeur. Mélissa Dséormeaux-Poulin, qui joue le rôle principal, a un côté très émotif aussi et elle le joue très bien. J’aimais beaucoup ce jeu entre les luttes de pouvoir, les manigances et son émotivité lorsqu’elle rentre chez elle et qu’elle laisse l’humain refaire surface. »

Carte blanche

Les trois compositeurs sont conscients de l’immense liberté qui leur a été donnée au cours de leur travail sur ces projets distincts. « Je trouvais ça important, au début de demeurer près de la réalisatrice pour placer ma palette sonore, se souvient FM Le Sieur. Après cinq saisons, je suis un peu plus sûr de mes affaires, mais c’est précieux, ce lien avec l’équipe parce que quand tu travailles sur des séries américaines par exemple, jamais tu ne rencontres les réalisateurs. »

Différents éléments du scénario donnent le ton à la musique qui s’insèrera dans chaque épisode. Dans Les pays d’en haut, la saison 5 faisait place à une épidémie. « Ça devient un beau terrain de jeu supplémentaire. Quelque chose de dangereux. Je ne réinvente pas la roue, mais j’essaie de bien le faire. Dans une histoire complexe, la musique devient l’un des repères. Je suis le Google Map de l’histoire », explique Michel Corriveau, amusé.

Alexandra Stréliski est elle aussi une habituée de la musique de l’image. « C’est complètement différent de la musique que je fais sur mes albums parce que même si tu as carte blanche, tu travailles avec des contraintes. C’est quelque chose que j’adore. Ici, je devais m’assurer que ce soit une musique qui fonctionne autant dans la joie que dans quelque chose de plus dramatique donc j’ai dû couvrir très large », dit-elle.

La musique : le personnage de plus

Même si tout ce qu’on voit à la télévision s’érige autour de scénarios et d’images fortes, la musique donne constamment le ton. « Le défi, c’est toujours de travailler sur la ligne entre celle qu’on remarque et celle qu’on ne remarque pas, lance FM Le Sieur. Parfois, il n’y a aucun dialogue et tout à coup, on illustre ce qu’on ne voit pas grâce à la musique. Un personnage qui a les yeux dans le vide peut vouloir dire beaucoup de choses et leur contraire. On ajoute souvent le sens dans le fait qu’un personnage pleure de joie ou de tristesse. On ajoute quelque chose qui n’est pas à l’écran. »

« La musique originale est importante, renchérit Michel Corriveau, car c’est avec elle qu’on active l’émotion. J’ai déjà entendu quelque part que, contrairement à ce qu’on voit comme image, la musique, elle, émet des ondes, donc c’est comme si elle te touchait. C’est le seul élément, à la télé et au cinéma, qui a un contact physique avec celui ou celle qui est à l’écoute. »

Il croit d’autant plus que l’état d’un personnage ou ce qu’il pense sans rien dire peut facilement passer par la musique. « On a pas mal de pouvoir avec la musique originale », ajoute-t-il en riant.

« Ce ne sont pas tous les projets qui ont besoin d’un accent musical, croit pour sa part Alexandra Stréliski. Par contre, la trame narrative émotive qui est difficile à donner avec des mots peut facilement passer par ça. Ça peut renforcer l’intention du film ou de la série. C’est là pour clarifier les choses. Ça équivaut parfois à ajouter un personnage. C’est comme mettre du sel sur ton steak. J’aime beaucoup cuisiner. »

Très heureuse d’avoir reçu cet honneur, elle ne dépend pas pour autant des trophées qui sont « un peu étranges à recevoir » en ces temps troubles. « J’étais partie aux toilettes quand j’ai gagné mon Juno sur YouTube, rigole-t-elle. Ce n’est pas un temps pour recevoir des trophées, même s’ils font tous plaisir. L’aspect glamour de la chose ne peut pas être mis de l’avant et on ne peut pas se rencontrer. Vivement le retour à la vraie vie. »

La Soirée des artisans et du documentaire des 35es prix Gémeaux est disponible en rattrapage sur TOU.TV et au Radio-Canada.ca/gemeaux.