Philippe BraultLe comité pancanadien de membres de notre industrie cinématographique avait choisi Les Oiseaux ivres, long-métrage du réalisateur Ivan Grbovic, comme représentant dans la course à l’Oscar du Meilleur film étranger. Le jour même de notre entrevue avec Philippe Brault, qui en a composé la trame sonore, on apprenait malheureusement que l’œuvre n’était plus dans la course aux nominations. Néanmoins, cette sélection a ravi le compositeur : « Ma musique a voyagé avec le film, réagissait-il. C’est très dur de savoir ce que ça représente et quel impact ça peut avoir [sur ma carrière], mais de se dire qu’y’a plein de gens intéressants qui vont voir ce film, c’est quand même beaucoup. »

Reconnu comme l’un des meilleurs réalisateurs de disques au Québec (Émile Bilodeau, Koriass, Patrice Michaud, Laurence Nebonne), Brault, complice de longue date de Pierre Lapointe, a eu du flair dès sa première musique originale de film, celle de La Disparition des lucioles (2018) de Sébastien Pilote, qui a valu à son compositeur l’Iris de la Meilleure musique originale en 2019.

Auparavant, « j’avais fait un peu de musique à l’image, pour la télé notamment, mais je fais surtout des albums – et de la musique pour le théâtre, raconte Philippe Brault. Dans ma carrière, j’ai toujours suivi le cours des choses, sans me demander ce que j’allais faire plus tard. Mais, j’ai fait la musique pour La Disparition des lucioles et ça s’était très bien passé, c’était vraiment le fun à faire. Je me souviens avoir dit à ma blonde : de la musique de film, j’aimerais en faire plus. »

Il en a composé quatre ces deux dernières années, celle des Oiseaux ivres, bien sûr, et, dans un tout autre registre, celle du succès Maria Chapdelaine, réalisé aussi par Sébastien Pilote. Les deux musiques ne sauraient être plus différentes : là où celle de Maria Chapdelaine se distingue par ses orchestrations de cordes franches, ses thèmes clairement définis, ses références à la musique d’antan – la podorythmie, le son rêche de l’instrument du violoneux -, celle de Les Oiseaux ivres est nettement plus diffuse et mystérieuse, collant à l’atmosphère de ce film parfois qualifié d’onirique et d’impressionniste par les critiques.

« Oui, il y a cet aspect au film, avec ses longues séquences poétiques qui donnent l’impression de se décrocher de la réalité, commente Brault. Il y a aussi dans ce film des personnages qui n’ont pas de racines bien établies, même ceux qui croient en avoir, alors je voulais d’une musique qui n’est jamais complètement ancrée. Ce sentiment flotte dans la musique – contrairement à Maria Chapdelaine, attachée au territoire, avec ses lignes claires. Dans Les Oiseaux, on cherche nos repères, la musique devait refléter ça. »

Les orchestrations de violons sont aussi la couleur principale de la musique de Les Oiseaux ivres, mais leur effet est tout autre, reconnaît Philippe Brault, « et il y a une grosse place accordée aux instruments à vent. Les cordes font beaucoup pour rehausser les ambiances, alors que les vents ajoutent de la texture. Un autre truc que j’ai apprécié de travailler sur Les Oiseaux ivres que je ne pouvais pas accomplir dans un film plus classique comme Maria Chapdelaine, c’est de pouvoir utiliser les synthétiseurs. Ils sont cachés derrière les cordes mais contribuent aussi aux atmosphères, par exemple à travers les pulsations. Même que les violons aussi ont été traités en studio, ce qui m’a permis de mettre de l’avant des idées plus modernes ».

Le compositeur dit s’être inspiré du travail de la directrice artistique André-Line Beauparlant et de la photographie de Sara Mishara pour imaginer ces ambiances musicales : « Tout le film est tourné sur pellicule, et seulement durant les heures classiques du cinéma – au lever du soleil et à la fin du jour, dans le but d’avoir la meilleure lumière », explique Brault qui, durant la pandémie, a travaillé en étroite collaboration avec le réalisateur Ivan Grbovic, qui habitait à quatre coins de rue de chez lui, ce qui facilitait les échanges. « Les images sont donc très épiques, avec des plans larges, magnifiques, avec cette lumière inondant de grands paysages, la direction photo est très particulière. Et il y a des cadrages de caméras qui donnent de la place à la musique; ça semble un peu abstrait, dit comme ça, mais je regardais ces images comme les tableaux des maîtres impressionnistes. C’est très inspirant d’accompagner ça ! »

Au moins deux autres nouvelles musiques de films signées Brault sont déjà prêtes, attendant que les œuvres prennent l’affiche ; le musicien confirme travailler sur de nouveaux projets cinématographiques, soulignant au passage qu’une des qualités requises pour se lancer dans la musique à l’image est la patience.

« Ce que j’ai compris avec le temps, c’est que dans le monde du cinéma, les résultats de ton travail, tu les mesures deux ou trois ans plus tard, explique-t-il. Le processus qui se met en place pour faire un film est compliqué : un réalisateur accroche sur ton travail, conçoit si ce qu’un compositeur fait fonctionnerait avec le type de film qu’il développe, et à partir de là, ça peut prendre encore deux ou trois ans avant qu’il ne t’approche. C’est de longue haleine, le cinéma, je trouve – contrairement à réaliser un album. Si l’album marche bien, en général, l’année suivante, je reçois plein de demandes de collaboration. Le processus est beaucoup plus court, alors que les cinéastes peuvent penser à toi, mais ils doivent prendre le temps qu’il faut pour développer le projet. C’est un monde complètement différent. »