La Chute de SparteC’était son premier tapis rouge à vie. Première musique originale pour long-métrage aussi, ajoute-t-elle. « Si c’était agréable? Oui. Mais je ne fais pas partie de l’équipe devant la caméra, alors j’étais très « low profile… » Et pourtant, la sortie du film La chute de Sparte, une adaptation du roman de Biz (Loco Locass) réalisée par Tristan Dubois, revêtait quelque chose d’assez exceptionnel : au générique, à la section musique originale, on pouvait lire le nom de Sophie Lupien, une des rares compositrices de musiques de film au Québec.

Soyons réalistes en affirmant que le Québec n’a pas une tradition de compositeurs de musiques de film comme il en existe une en France, en Italie ou aux États-Unis. Sophie Lupien en convient, soulignant que ça a aussi avoir avec la nature de la bête : « Souvent, la musique dans un film existe pour appuyer la scène à l’écran, la trame narrative, et non pour nécessairement briller. Compositeur pour musiques à l’image, c’est un autre métier, différent de composer sa propre musique, à soi. » Les auteurs-compositeurs-interprètes d’ici sont acclamés; les compositeurs de musiques de film sont souvent relégués derrière l’écran, malheureusement…

Elle convient tout autant que les compositrices, dans notre petit milieu, sont très peu nombreuses. De récente mémoire, Catherine Major (une auteure-compositrice-interprète à la base) s’était distinguée pour sa musique du film Le Ring en 2008; en 2013, c’est Viviane Audet, elle aussi auteure-compositrice-interprète, qui s’illustrait pour sa musique du film Camion, coécrite avec Robin-Joël Cool et Éric West-Millette. En 2007, c’est Jorane, dont le style souvent instrumental se prête plus naturellement à la musique cinématographique, avait aussi brillé pour le travail qu’elle fait sur les images d’Un dimanche à Kigali. Elles avaient toutes les trois remporté le Prix Jutras (aujourd’hui Prix Iris) de la Meilleure musique originale.

Le travail de Lupien se conjugue ici avec celui des co-compositeurs de La chute de Sparte et se distingue justement par son souci de s’effacer au profit de l’action. À côté des chansons originales composées par La Bronze et des titres empruntés aux répertoires des rappeurs Rymz, Manu Militari et Muzion, la bonne trentaine de minutes musicales composées par la Montréalaise accompagne les moments plus nuancés de ce film d’ado intelligent – le producteur et DJ de Loco Locass, Chafiik, collabore également à certains passages instrumentaux.

« J’avais à composer des musiques qui passaient souvent après des chansons que l’on remarque » comme les expressives compositions de La Bronze, ou les rigides raps de Manu Militari, explique Lupien. « C’était beaucoup un travail de transition entre les scènes. Parfois, cette transition se fait aisément, par exemple en jouant dans la même tonalité [que la chanson précédente], mais dans un style musical différent, qui suggère de nouvelles émotions. »

Ce délicat travail de transition était nécessaire « parce que c’est vrai que c’est un film dense, avec beaucoup de scènes. C’est là que la transition musicale est importante, pour faire en sorte que les spectateurs comprennent bien le fil du récit, qui se déroule sur une période de six mois, et qui est raconté en seulement 1h30. La musique a un rôle à jouer là-dedans. »

Arrivée à la musique de film « par la bande » grâce à des amis communs au réalisateur Tristan Dubois, elle avait d’abord composé la musique de ses deux premiers courts-métrages, en 2009 et 2012. Tout naturellement, c’est à Sophie Lupien que le réalisateur, né en Suisse, s’est tourné pour habiller de musiques les scènes de La chute de Sparte. « Ce qui était génial pour moi, c’est la possibilité de toucher à plein de genres musicaux. Pour le gros plan sur la polyvalente au début du film, y’a une musique plus électro; ailleurs, ce sont des passages plus orchestraux, d’autres moments plus jazzés cachés derrière la scène », dit la compositrice, qui a consacré deux bons mois à écrire ces musiques à partir des indications du réalisateur.

« Tristan a réfléchi longuement à la musique dont il avait besoin et savait ce qu’il recherchait pour ses scènes, raconte Lupien. Lui fonctionnait avec un premier montage sur lequel il avait trouvé des musiques de références. Ensuite, je devais composer des musiques originales qui reflétaient ses intentions – il ne s’agit pas de reproduire les mélodies ou les harmonies précises de ses musiques de références, plutôt d’essayer de recréer l’émotion, l’intention derrière ses choix. C’est le plus difficile dans la musique pour le cinéma : toujours composer dans l’idée que cela serve la trame narrative. Il faut bien saisir l’histoire, comprendre la trame, pour ensuite être capable de souligner en musiques ce qui doit l’être. C’est, d’une certaine manière, décortiquer chaque scène mise à l’écran. »