La BronzeOn nous avait donné rendez-vous dans un parc lugubre du Quartier des spectacles à Montréal. Deux autobus y sont stationnés. Exit la sortie de classe au Zoo de Granby… Même si les premières bribes de cette soirée nous donnent l’impression qu’on s’en va nourrir les lamas en captivité, le seul élément animalier qui animera l’évènement sera le déguisement d’ours porté par celle qui nous admet à bord du véhicule. Nous sommes conviés à une expérience hors du commun qui nous amène à la rencontre du nouvel album de La Bronze, Les corps infinis.

« J’avais vraiment envie que ça se passe dans un lieu qui ne serait pas l’une des salles convenues, dit Nadia Essadiqi, alias La Bronze, encore émerveillée par les réactions à son spectacle hors normes au lendemain des festivités. J’adore les surprises et j’avais le goût de provoquer les choses pour que le mystère soit à la base de tout mon lancement. »

Après une vingtaine de minutes sur la route, Les corps infinis battant les hautparleurs du bus qui ne sont pas habitués à ça, on arrive près d’un immeuble qui semble désaffecté, mais qui s’avère abriter Les forges de Montréal. Oui, les forges comme dans « l’endroit où l’on bat le fer pendant qu’il est chaud. »

« Je voulais un lieu fucked up, dit l’artiste. J’ai demandé conseil à une amie qui m’a amenée là. Je trouvais ça l’fun parce qu’on avait beaucoup de possibilités, on pouvait utiliser l’espace, les forgerons, le feu et tout. » Et la chaleur des flammes qui crépitent dans les forges rappelle d’autant plus la chanson Canicule qui ouvre l’album.

Dans les chauds lieux, nous sommes accueillis par un bar maison situé entre une série d’outils en métal et un escalier en fer. La salle de bain de fortune, quatre petits murs autour d’une toilette ne nous inspirent confiance que par la trousse de premiers soins qui s’y loge. Et puis, dans la pièce principale, trois forgerons s’affairent à chauffer le métal, faisant sursauter la foule ébahie à chaque giclement d’étincelles.La Bronze

Après le spectacle du feu, c’est au tour de La Bronze, vêtue d’un costume de yéti, d’entrer sur scène, arborant également une lumière bleue pour éclairer son visage. Et les chansons défilent dans la fébrilité de l’artiste et de ses disciples. Il n’y a rien d’autre qui existe pour ceux qui se sont déplacés jusqu’ici. L’expérience est globale. « On a tellement passé une belle soirée, dit Nadia, encore émue. Les gens étaient contents de vivre quelque chose de nouveau. »

Le spectacle auquel nous assistions, mis en scène par Yann Perreau, est marquant à plusieurs égards. Notamment, par l’arrivée des quatre musiciens aux cors français – arrangés sur l’album par Mathieu Pelletier-Gagnon – pour interpréter les dernières pièces de la soirée, mais aussi et surtout, grâce à la maman de Nadia et son amie qui entonnent avec elle le chant solennel en arabe qui amorce Khlakit Fkelbek. « C’est un chant traditionnel marocain qu’on entend dans les mariages et les évènements importants, explique la chanteuse. Ça parle de Dieu et c’est vraiment une pièce symbolique. »

La Bronze

Ce morceau, Khlakit Fkelbek, est sa première composition en arabe. « La langue, pour moi, c’est juste un médium, confie toutefois l’auteure. Ce qui compte, c’est l’essence et le sentiment. Je pourrais composer en mandarin. Ça serait super. Non, c’est pas vrai, je pourrais pas, ça serait vraiment pas bon » (Rires).

Depuis qu’elle a interprété une version en arabe de la pièce Formidable de Stromae – une reprise qui cumule près de 2,5 millions de vues sur YouTube – les portes de l’Europe s’ouvrent à elles. « C’est vraiment une expérience qui m’a reconnectée avec mes racines. Ça n’a pas été difficile de composer en arabe après. La pureté de ce projet-là m’est apparue comme une évidence. Je suis replongée dans ça, dans mes origines. C’était facile. » Les partenariats avec l’Europe sont en train de s’officialiser pour la sortie de son album là-bas et Nadia avoue être « flabergastée » par les opportunités qui découlent de ce cover.

Après un album homonyme sorti en 2014 et le EP Rois de nous, paru en 2016, c’est une flamme nouvelle que La Bronze insuffle dans Les corps infinis. « Mon réalisateur (Clément Leduc) et moi on s’est mis dans une bulle imaginaire, on a été sur la même vibe du début à la fin, se rappelle-t-elle. Quand je crée de la musique, y’a rien de vraiment décisionnel ou rationnel. Je n’ai jamais de plan de travail. Ce n’est que de l’instinct. »

De l’appel créatif sans barrières et sans chemin tracé émane une puissante idée de liberté qui, de son propre aveu habite l’ensemble de son œuvre. « J’ai l’impression d’y accéder de plus en plus, à la liberté. C’est ma plus grande quête en tant qu’humain, mais je sens qu’avec ce disque-là je suis beaucoup plus à l’aise avec moi-même, sans devenir mature, ni me sentir adulte… je me sens très ado, dans la vie de tous les jours. »

Avec Clément Leduc et Francis Brisebois, La Bronze a pu accentuer cette idée de bulle de créativité en profitant de la maison SOCAN à Los Angeles. « Canicule, Beaux et Les corps infinis ont été enregistrés là-bas, relate l’artiste. C’était super bénéfique de changer d’air, mais on s’est aussi laissés imprégnés par la vie nocturne, les palmiers, la plage et l’urbanité. » Changer de décor transforme les approches artistiques et, pour Nadia, c’était une façon « d’explorer des nouvelles zones intérieures. » Le produit fini est une succession de onze pièces qui se déclinent en plusieurs tons d’électro pop vaporeuse et de rock, « mais toutes les chansons ont d’abord été écrite au piano, précise Nadia. C’est comme ça que je réussis à aller puiser les émotions en moi. »

Toutes les étapes de productions sont pour elle des toiles où elle trace ses propres esquisses. « Je suis de tous les processus de composition et j’approuve tout, jusqu’aux communiqués de presse. C’est super important pour moi. »

Dans un contexte où les femmes expriment de plus en plus leur désir d’implication dans leur musique, La Bronze ne fait pas exception à la règle. Elle savourera d’ailleurs le privilège de montrer cette fougue et cette audace aux jeunes femmes dans le cadre de la série Code F à Vrak TV. « Le message que je veux passer dans cette émission-là, c’est d’assumer qui tu es de A à Z. Aucun contexte ne peut t’enlever ton essence ou rabaisser la grandeur de ton existence. J’ai envie que les femmes se lèvent et imposent leur puissance. »

Pour la suite des choses, La Bronze envisage un parcours où les voyages et les contextes insolites se multiplieront pour rendre la vie scénique toujours plus stimulante. « On va amener cet album-là jusqu’au plus loin qu’il peut aller, assure la musicienne. Je suis satisfaite de chaque fraction de seconde de chaque chanson que j’ai entre les mains. »