On n’est jamais si bien que chez soi… ou qu’à Rome.

River Tiber a présumément pris son pseudonyme du fleuve qui coule à Rome, où Tommy Paxton-Beesley a vécu pendant un an lorsqu’il était enfant, mais le nom reflète également que la musique coule dans ses veines telle l’eau du fleuve en question.

Il a déjà deux EP à son actif (The Stars Fall, paru en 2014, et When The Time Is Right, paru en 2015), mais le jeune auteur-compositeur torontois et, pour l’instant, mieux connu pour ses collaborations de haut niveau avec Drake (« No Tellin’ »), BadBadNotGood et Ghostface Killah (sur l’album « Sour Soul »), Jazz Cartier (« Tell Me »), Travi $ Scott et Mac Miller.

Paxton-Beesley attribue la plupart de ces collaborations à son association au producteur Adam Feeney, alias Frank Dukes (Eminem, Drake), que ce soit le fruit du hasard ou, dans le cas de BBNG (qui les a mutuellement présentés) et Jazz Cartier, à l’amitié.

« C’est clair qu’à Toronto, je collabore avec une tonne d’artistes. »

« Quelques-unes de ces collaborations sont arrivées grâce à Frank Dukes, et j’ai vu comment les médias les ont rapportées », explique-t-il, « on en retire l’impression que je suis beaucoup plus impliqué qu’en réalité. Mais il faut comprendre que, de nos jours, tout est hyper connecté dans le processus créatif : t’envoies un truc à un collaborateur et à son tour il l’envoie à quelqu’un d’autre.

Mais c’est clair qu’à Toronto, je collabore avec une tonne d’artistes. »

À la liste de ses récents collaborateurs, on ajoute notamment Kaytranada, Daniel Caesar, Charlotte Day Wilson de Wayo ainsi que Kwik Fiks, mais ce multi-instrumentiste qui a étudié pendant deux ans au célèbre Berklee College de Boston — il joue du violoncelle, de la batterie, du violon, du trombone, des claviers et de la guitare — attend patiemment que son tour à l’avant-scène vienne.

Que l’on pense aux textures synthétiques soyeuses de sa ballade intitulée « West » mettant en vedette ledit Caesar ou aux rythmes R & B de « Let You Go », il faut cependant garder une chose à l’esprit : peut importe la production de River Tiber que l’on trouve sur iTunes ou SoundCloud, ce n’est qu’une infime fraction de ce qu’il a dans sa besace.

« La plupart de mes productions qui ont été publiées jusqu’à maintenant sont construites avec des synthés, et elles ne représentent qu’un ou deux côtés de mon travail artistique. Ce que j’ai en banque pour le moment est largement axé sur des orchestrations et des arrangements beaucoup plus luxuriants », confie-t-il. « Je dirais de ma musique qu’elle est très diversifiée et très précise dans mes choix de sons, d’ambiances et d’atmosphères. J’ai beaucoup de difficulté à la classer dans un genre spécifique, mais j’aime dire que j’essaie de créer ma musique préférée. En fin de compte, je ne fais que canaliser mes influences. »

Ces influences — qui vont de Michael Jackson à Jeff Buckley en passant par Miles Davis et Jimi Hendrix — passent toutefois par une approche « less is more » à laquelle il souscrit totalement.

« J’en ajoute toujours plus que nécessaire pour ensuite retrancher », dit Paxton-Beesley au sujet de son processus de création et dont un premier album de 12 pièces sera lancé de manière indépendante ce printemps.

« Je travaille de cette façon lorsque je produis pour les autres. J’écris, écris et écris, je pousse les arrangements à leur limite et ensuite je coupe. Je ne travaille pas tout le temps comme ça, mais je trouve que c’est une excellente approche, idem pour sélectionner la liste finale de pièces sur un album. »



Le 29 janvier dernier, le groupe post-rock Pandaléon sortait son troisième album, intitulé Atone. Un solide disque de rock atmosphérique dans la lignée des Sigur Ros, Kinski, Flaming Lips, Swans et compagnie. Sans être un « album concept », il y a un fil conducteur tout au long d’Atone, une direction artistique claire et unique. Le résultat n’est pas étranger au chemin plutôt singulier qu’ont emprunté les trois musiciens et leur technicien de son pour enregistrer ces dix chansons. Ils se sont enfermés durant cinq semaines dans leur ancienne école primaire, désaffectée depuis une quinzaine d’années! Pour comprendre cette démarche, il faut remonter dans le temps…

Voici trois jeunes hommes de 23, 24 et 25 ans qui ont été élevés à la campagne, quelque part entre Montréal et Ottawa. Les frères Levac, Frédéric et Jean-Philippe, ont grandi à St-Bernardin, où leurs parents et grands-parents ont longtemps géré une ferme laitière. Leur ami Marc-André Labelle naît à quelques kilomètres de là, à L’Orignal, un village de 2 000 âmes. « On a adoré notre enfance. Ce style de vie où tous contribuent. Éloignés, mais ensemble », confie Fred.

Trois jeunes musiciens qui aiment se renouveler, qui apprécient triturer les sonorités, qui ont un intérêt sans fin pour la composition musicale et l’enregistrement. Tôt, les deux frangins font de la musique ensemble. Frédéric joue des claviers et chante, Jean-Philippe est à la batterie. Ados, ils s’installent dans une ancienne grange de la propriété familiale et la transforment en local de pratique, puis en studio et même en salle de concert intime. C’est ce qu’ils appellent « La Piaule ». Ils y composent toute leur musique. Un labo. Un repère. Un petit coin de paradis.

Le guitariste Marc-André Labelle débarque dans leur vie à la fin du secondaire. Dès sa première visite à la Piaule, les frères Levac sont renversés par son jeu et sa personnalité. La synergie est parfaite, le band est né! « C’est intense être dans un groupe. On partage beaucoup de choses. Tu apprends beaucoup sur toi-même, sur quel genre de musicien tu es. Chaque membre doit être impliqué à fond et c’est notre cas », explique Fred Levac lorsque rejoint par Paroles & Musique à la Piaule. La quatrième roue du carrosse est Nicolas Séguin, ami proche et technicien de son attitré du groupe. Totalement impliqué dans le projet, autant pour la scène que sur disque.

 NOSTALGIE DE L’ENFANCE

Lorsque les thèmes de l’enfance, du passé, de la famille s’organisaient naturellement sous la plume de Fred, les trois musiciens ont voulu sortir de leur zone de confort. « On passe devant notre ancienne école primaire tous les jours. C’est une petite école de village qui accueillait une quarantaine d’élèves à l’époque et qui a dû fermer lorsque mon frère et moi la fréquentions. On savait qu’il y avait un potentiel acoustique extraordinaire dans ce bâtiment. Il fallait saisir l’occasion », raconte Fred Levac.

Pandaléon

C’est ainsi que les quatre jeunes hommes se sont installés pendant cinq semaines à la fin de l’été dernier dans l’école St-Bernardin, avec une citerne d’eau, des matelas et surtout leurs instruments de musique et tout leur équipement d’enregistrement. « On a dormi là, on a vécu là, il fallait aller dehors se brosser les dents, raconte Jean-Philippe dans la vidéo qui présente l’expérience, sur le site Internet du groupe. On oubliait de manger, t’es tellement dedans… T’oublies d’appeler ta blonde, t’oublies tout en fait. » L’immersion est totale.

« L’école elle-même a eu un immense rôle dans le processus. On a passé plusieurs jours à tester les salles, à expérimenter avec le volume et la réverbération naturelle des locaux. Tu me donnes un gymnase pour enregistrer la batterie et je tripe! », d’expliquer Fred. Les photos prises et vidéos tournées dans l’établissement abandonné montrent le capharnaüm dans lequel les musiciens se sont créé un espace de travail et de vie pour la durée du projet.

LE DEUIL

Si le résultat musical a satisfait leur besoin d’exploration et a abouti en un album aux riches sonorités (particulièrement à la guitare électrique), qu’en est-il de l’expérience humaine vécue cet été-là? « C’était très particulier. Le premier soir, nous étions fébriles. Excités par cette nouvelle expérience, emballés de sortir de notre zone de confort. Puis, nous sommes plongés dans cette nostalgie de l’enfance. À force de travailler la musique plus de 18 heures par jour pendant cinq semaines, isolés, nous avons atteint un degré d’intensité élevé. Ça a été le meilleur trip d’enregistrement qu’on a vécu! » raconte Levac.

« Le départ a été rough. Le jour qu’on a quitté l’école, personne n’a prononcé un mot. Nous avons démonté le studio, roulé les fils, sorti l’équipement dans le silence. » Un deuil? « Oui certainement. J’étais artistiquement satisfait de l’expérience et des enregistrements, mais mentalement fatigué. Ça m’a pris deux bonnes semaines avant de rebrancher les instruments à la Piaule », confie Levac.

Où ira Pandaléon après une telle expérience? « On a très hâte de jouer sur scène! On a beaucoup de plaisir à se perdre dans le son de notre musique, jouée live. C’est enivrant! » Faudra-t-il un contexte aussi fort pour concevoir la suite d’Atone? « Je ne sais pas. On verra. C’est probable que nous essayions de composer en dehors de la Piaule la prochaine fois, pour voir ce que ça donne d’être influencé par un autre environnement. » Un disque de reggae enregistré en Jamaïque? « Haha! On ne sait jamais! On ira là où la musique va nous mener. »

Chose certaine, ces quatre jeunes hommes vont continuer d’explorer, de se réinventer, de vivre à fond leur passion pour la musique et l’enregistrement. Pour eux, le chemin à parcourir est aussi important que la destination.



Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, une collaboration naturelle, spontanée, arrivée presque par hasard, celle unissant l’auteure-compositrice-interprète Marie-Ève Roy– la guitare et la voix féminine du groupe Vulgaires Machins – et le musicien multitâches et réalisateur Julien Mineau, leader de Malajube.

« Mon seul but avec ce projet, explique Marie-Ève Roy, était de me rendre jusqu’au bout, c’est-à-dire écrire dix chansons pour faire un album qui se tient. J’ai écrit ces chansons tout simplement, en me fiant à des idées qui m’allaient, qui me parlaient ».

Lancer un premier album solo devrait être un événement qui comporte sa part d’inquiétudes, de doutes, de pression, de remises en question – c’est, en tout cas, l’idée que pourraient se faire ceux dont ce n’est pas le métier, écrire des chansons, se commettre avec un album, puis aller le défendre sur scène. Allez savoir si c’est l’expérience de presque deux décennies dans le métier, mais l’auteure, compositrice et interprète Marie-Ève Roy semble étonnamment calme, à quelques jours de lancer ce premier disque.

Julien Mineau, Marie-Ève RoyCette zénitude est peut-être due à la présence rassurante de Julien Mineau, assis à ses côtés dans ce café de Villeray où nous nous sommes donné rendez-vous et qui ne l’a pas lâché d’une semelle lorsqu’est venu le temps d’enregistrer le Bleu Nelson de Marie-Ève. Un titre qui réfère à quoi, au fait? « T’as raison, ce n’est pas le titre d’une chanson, ni même un bout de couplet, répond la musicienne. C’est une ville de la Nouvelle-Zélande qui m’avait inspiré lorsque je l’ai visitée, il y a quelques années. » Et le bleu, évidemment, celui de la mer qui entoure ce petit pays d’Océanie.

Marie-Ève Roy voyage, de la Nouvelle-Zélande… à la place Versailles, référence au texte de la chanson Le monde est triste à Radisson : « À la place Versailles / Les néons éclairent / La solitude et le béton ». On visite ainsi un vaste monde intérieur exposé sur des musiques aux antipodes du punk vindicatif des Vulgaires Machins.

Pour les fans du fameux groupe rock québécois, la surprise sera de taille : la dizaine de chansons originales valsent entre la ballade et une pop à peine plus rythmée. De la musique qui caresse et console : ça sent les années 70 sans sonner rétro, comme si la Françoise Hardy sophistiquée s’était débarrassée de ses jupes yé-yé. Influence avouée : la pop mélancolique de The XX, dit Marie-Ève.

« Au départ, j’avais envie d’une chanson pop plus minimaliste. Puis, Julien s’est mis à jouer de plein d’instruments, et j’ai suivi, j’aimais la direction que ça prenait, c’était parfait. » Marie-Ève Roy

Julien : « Je trouvais ça intéressant de l’amener là – avec son consentement, bien sûr. De faire table rase, de repartir sur d’autres bases, d’enregistrer en toute liberté, de casser [l’association avec le son punk]. J’imagine que quelqu’un qui écoute les Vulgaires depuis toujours va être étonné… »

« Cette envie de faire mon projet, je l’ai depuis longtemps, dit-elle. Lorsque je me suis retrouvée, toute seule avec ma guitare, en Nouvelle-Zélande en 2010, j’ai commencé à écrire. C’est comme si j’avais vraiment décidé que c’était ma nouvelle aventure musicale, et la pause des Vulgaires m’a donné l’occasion de m’y consacrer. »

Marie-Ève et Julien ne se connaissaient pas vraiment lorsque Marie-Ève s’est consacrée à temps plein sur son premier album, dès 2013. Elle est entrée en contact avec lui… pour lui acheter un Wurlitzer. « Ça a commencé de même, en m’achetant un piano! », rigole Mineau. « Plus tard, je lui ai offert de venir enregistrer son album chez nous », dans son home studio, à Ste-Ursule.

Julien Mineau, Marie-Ève RoyToutes les paroles et musiques de l’album sont signées Marie-Ève, sauf Larmes de joie, dont Julien signe la musique. « Ma job a surtout été sur le plan des arrangements », concède Julien, réalisateur de l’album. Bleu Nelson a été enregistré à quatre mains : tous les instruments de cet album de chanson pop richement orchestrée ont été joués par ces deux collaborateurs.

« Tout chez nous, en quinze jours », résume Julien. Marie-Ève lui avait déjà envoyé des maquettes, certaines n’ayant même pas besoin d’être retravaillées. « On s’est installé, on a joué, et moi j’ai pesé sur le piton Record. On n’avait aucun plan ». Marie-Ève : « On s’est quand même parlé de l’allure du projet avant de commencer. Je pensais depuis longtemps à ce genre de sonorités, le vibrato, le côté feutré de la réalisation. Je me donne toujours quelques pistes d’inspirations, The XX et Julian Casablancas. On est parti de là. »

« Au départ, poursuit-elle, j’avais envie d’une chanson pop plus minimaliste. Puis, Julien s’est mis à jouer de plein d’instruments, et j’ai suivi, j’aimais la direction que ça prenait, c’était parfait. J’avais envie d’une ambiance précise, mais j’étais ouverte aux idées de Julien ». Sous cet angle, Bleu Nelson est aussi la chronique d’un arrimage musical réussi. Tout s’est mis en place dans cette quinzaine de jours, fruit du dialogue entre deux musiciens visiblement sur la même longueur d’onde.

Pour Julien aussi, c’était une première « La réalisation pour quelqu’un d’autre, je n’avais jamais fait ça avant. Travailler pour d’autres, ça me donne moins de questionnements et, surtout, ça me permet d’essayer des idées. J’en ai une après une autre, des idées. J’ai aussi appris beaucoup de cette collaboration, notamment à couper – j’ai tendance à enregistrer trop de pistes. Ça me donne envie de faire d’autres réalisations », lorsque le temps le lui permettra.

D’ici là, un prochain Malajube devrait enfin voir le jour, ainsi qu’un autre album solo, sans doute différent de son projet Fontarabie, « plus des chansons que des compositions instrumentales. Vraiment un autre monde. »