À 22 ans, le producteur Hubertain Kaytranada peut déjà se vanter d’avoir joué dans plus de 50 pays et d’avoir collaboré avec Mobb Deep, Mick Jenkins et Vic Mensa, ainsi qu’avec Mos Def, tout récemment, pour son spectacle de stand up à Montréal. Déjà victime d’un hit, son remix non officiel de la chanson If de Janet Jackson qui ne cesse de lui être réclamé, le productif jeune homme est signé sur le réputé label londonien XL Recording pour son premier album à paraître, intitulé 99.9%.
Arrivé d’Haïti à l’âge de trois mois, Célestin porte le bagage d’une famille de musiciens amateurs, chez qui le système de son répandait constamment du kompa. « C’était la musique qui passait tout le temps à la maison, mais mon frère et moi on voulait juste écouter du hip-hop ou du RnB », se rappelle Célestin, qui avoue toutefois que les rythmes et percussions de ces ambiances musicales imposées ont probablement fait leur bout de chemin jusqu’à son inconscient.
En effet, des premières productions de hip-hop instrumental aux plus récentes inspirées du EDM trap (adaptation électronique d’un hip-hop agressif originaire du sud des États-Unis), rares sont les pièces de Kaytranada qui distillent une humeur négative. Issu d’une famille stricte, il a dû troquer les sorties et rencontres pour d’innombrables soirées à voguer sur Internet dans le but de dénicher des raretés à échantillonner.
Entre le rock progressif et le new wave, le jeune homme aux goûts variés a particulièrement accroché sur la musique brésilienne : « c’est difficile d’expliquer comment je me sens avec la musique brésilienne. Ils mélangent tout : soul, samba, bossa nova… Leur musique est vraiment feel good et leur son est raw, on peut dire qu’ils comprennent! Et c’est en portugais, c’est vraiment un beautiful language! »
Les premiers rapports directs de Kaytranada avec la scène musicale québécoise se sont établis grâce aux réseaux sociaux, sur lesquels il publie des beat tapes depuis 2010. Il avait déjà créé des liens avec le collectif Alaiz constitué de plusieurs nouvelles têtes du hip-hop local, et voyait défiler les comptes rendus extrêmement positifs générés par les soirées Artbeat Montreal qui ont connu un succès considérable de 2011 à 2013. Les participants à ces rassemblements ponctuels de producteurs se sont même donné un nom : le « piu-piu », un terme qui désigne surtout la communauté, mais renvoie à des productions de hip-hop expérimental souvent instrumentales. Célestin a défié l’interdiction parentale pour s’inviter à la troisième de ces soirées.
« Je savais que les gens m’écoutaient, mais je ne savais pas que c’était tant que ça! »
« Je savais que j’avais juste besoin d’un show à Montréal pour que ma carrière décolle », dit-il aujourd’hui, non sans raison.
C’est aux soirées Artbeat Montreal qu’il a rencontré les rappeurs d’Alaclair Ensemble, une grande inspiration pour le jeune Saint-Hubertois qui a collaboré avec Robert Nelson pour offrir le ep Les filles du roé en 2012, alors qu’il se faisait encore appeler Kaytradamus.
S’il admire la liberté et la présence scénique d’Alaclair Ensemble, Kaytranada souhaite devenir le Arcade Fire du hip-hop; celui qui brisera une frontière encore trop opaque entre le hip-hop québécois et le succès international, tout en restant fidèle à ses racines. S’il pouvait produire des musiques pour Ariane Moffat ou Céline Dion, il en serait le premier heureux.
Depuis ses premières apparitions, Kaytranada est devenu une vraie vedette locale, mais surtout internationale. On attend impatiemment son premier disque, qui sortira sur la réputée étiquette londonienne XL Recordings (M.I.A., Adele, The XX, Tyler, The Creator) et s’intitulera 99,9% – « pour dire qu’on n’est jamais satisfait à 100% d’un album », indique Célestin.
D’un autre côté, il attend encore que l’étiquette Huh What & Where sorte son album Kaytra Thomas, initialement prévu pour 2012.
« Quand je m’appelais encore Kaytradamus, je sortais toujours des beat tapes et en plus je faisais un peu d’argent avec ça. Mais ensuite ç’a fait des problèmes avec mon gérant, qui disait que je devais attendre les communiqués de presse et tout, mais moi je veux juste donner aux fans ce qu’ils veulent! » Kaytranada est bien de son temps, et entre les collaborations officielles et non officielles, les ep, mixtapes et simples diffusés un peu partout, sa discographie est assez difficile à suivre.
Produire pour d’autres, c’est l’idéal de Kevin Célestin, pour qui les tournées de dj demeurent un peu secondaires. Malgré tout, ces tournées lui ont permis de visualiser ce qu’il ne pouvait comprendre sur les réseaux sociaux : « Je savais que les gens m’écoutaient, mais je ne savais pas que c’était tant que ça! À Londres particulièrement [ndlr : Kaytranada a récemment été l’un des rares dj en résidence de l’influente station BBC Radio 1], les gens sont vraiment des fanatiques, et c’est bizarre parce que je fais juste un set de dj et les gens deviennent fous. L’amour est beaucoup plus concret que ce que je vois sur les réseaux sociaux. Ce que tu vois en vrai, c’est ce qui est réel. Ça m’a donné de la confiance », affirme-t-il.
Sur l’album, que Kaytranada s’empresse de finaliser avant sa sortie planifiée pour l’automne, on trouvera notamment une collaboration avec le groupe The Internet. Lié au collectif ODD Future (Tyler the Creator) et formé à la base de Syd (23 ans) et Matt (26 ans), The Internet vient de sortir son troisième disque sur lequel figure une production de Kaytranada.
« Je n’ai jamais été aussi fier du résultat d’une chanson. Quand ils m’ont renvoyé ce qu’ils avaient fait sur mon beat je leur ai dit que c’était parfait, que c’était exactement ça », dit-il avant d’enchaîner en parlant de son album : « Je n’ai pas d’autre chose à dire qu’ »attention à Kaytranada, le vrai Kaytranada s’en vient! » [rires] »