Beaucoup d’artistes portent à la fois les chapeaux d’auteur, de compositeur et d’interprète. Mais parfois, la magie opère à la suite d’une rencontre entre gens de plume, créateurs de musique et chanteurs. C’est le cas de Repartir à zéro, Classique de la SOCAN depuis 2000, et qui souffle ses 30 bougies cette année.

Chanson phare du répertoire de Jo Bocan depuis la parution de son disque éponyme en 1988,  Repartir à zéro est née de la collaboration entre Danièle Faubert (paroles) et Germain Gauthier (musique).

Même dans ce cas d’espèce plutôt rare de nos jours où l’auteur, le compositeur et l’interprète sont trois personnes distinctes, c’est un peu en raison d’un autre corps de métier musical, celui de réalisateur, que toutes les pièces du puzzle sont tombées à la bonne place.

Compositeur et réalisateur

Gauthier, qui a composé des musiques pour Nicole Martin, Donald Lautrec, Pierre Létourneau, Renée Claude, Nanette Workman et Diane Dufresne dans les années 1970 et 1980, a été d’abord approché à titre de réalisateur.

« Je crois bien qu’ils avaient déjà commencé à travailler sur le projet quand on a fait appel à moi, se rappelle celui qui a commencé sa carrière comme guitariste. C’est Jean-Claude Lespérance qui m’a téléphoné pour me proposer de participer à l’aventure.

« Il me dit : « Je veux que tu fasses le disque de Jo ». J’ai répondu : « Oh! Tu sais, Jo, elle est pas mal à gauche pour moi. Est-ce que tu penses que je suis vraiment la bonne personne ?’’ J’avais l’impression d’être plus pop que Jo au départ. Elle est une chanteuse théâtrale. Et c’est là qu’il me dit : « C’est pour ça que je t’appelle’’. Je lui demande donc de rencontrer Jo avant de lui donner ma réponse.

“I didn’t know Jo, but it really clicked between us artistically. There was some kind of magic operating. We launched into artistic discussions, and it was endless. I was amazed by her incredible open-mindedness. By her charisma. And I fell in love with her voice. Meeting her created beautiful sparks.”

Quiconque œuvrant sur un projet artistique a le réflexe d’inviter à y participer des collègues avec lesquels il a déjà travaillé. C’est ainsi que Gauthier a contacté Danièle Faubert. « J’avais rencontré Jo à l’époque, se souvient Faubert qui a écrit pour Beau Dommage, Francine Raymond, Pierre Bertrand et… Germain Gauthier. Je ne me souviens

Germain Gauthier

Germain Gauthier

plus précisément à quelle étape de l’album, mais c’était une rencontre sans discuter de sujet en particulier. Pour un auteur, c’est important de rencontrer la personne pour laquelle on va écrire. On essaie de saisir ce que l’autre est, ce qu’elle dégage.

« Écrire, c’est une rencontre avec des atomes crochus. Il y a une partie de la chanson qui doit ressembler à l’interprète. S’il y a quelque chose avec lequel la chanteuse n’est pas à l’aise, on la change. Mais il faut que je sois contente aussi (petit rire). »

L’environnement, une préoccupation

L’inspiration en écriture, qu’elle soit musicale ou non, demeure l’un des concepts les plus insaisissables qui soient. Pour Repartir à zéro, deux éléments se sont imposés. « Je me souviens d’être sortie d’un souper quand il y avait une brise douce, poursuit Faubert. Il n’y avait personne dans la rue. J’entendais mes pas et ça me faisait un petit peu peur. À cette époque, la question environnementale était déjà criante. »

Danièle Faubert

Danièle Faubert

C’est ainsi que l’on retrouve dans la chanson des phrases comme :

« …à qui sera le premier à faire sauter la planète »
«…retrouver l’eau et l’air, est-ce un rêve naïf ? »
«…ne plus courber l’échine, avancer sans avoir peur
Imaginer la terre comme un jardin d’Éden »

« En fait, c’est une chanson qui est malheureusement toujours d’actualité, note l’auteure avec réalisme. L’eau, l’air… Aujourd’hui, avec la menace de la bombe avec la Corée du Nord et les États-Unis… Sans compter que (Donald) Trump a renié les accords de Paris… Mais c’est aussi une chanson d’espoir. »

« Quand Danièle est arrivée avec ce texte, on avait déjà travaillé quelques chansons en studio, se rappelle Germain Gauthier. En qualité de réalisateur, je me trouvais un peu à donner la direction et on avait axé l’album sur un son particulier. Je lis le texte et je dis : « Ayoye!’’ Ce texte m’a jeté à terre. Il était tellement beau… »

L’instinct avant tout

Tellement beau, dans les faits, que la musique qui a finalement servi d’écrin aux paroles est née d’un processus créatif presque instinctif. « La feuille avec les paroles, je l’ai laissée sur ma table de cuisine, relate-t-il, avec une réelle émotion dans la voix. J’ai lu et relu les mots au point que je savais les paroles par cœur. Ça, c’était de la joie intense. »

Jo Bocan

« Souvent, quand tu composes, tu gosses sur certaines affaires avant d’arriver au but. Là, j’ai entendu les premiers accords dans ma tête, sans piano ni guitare. J’ai pratiquement composé la musique dans ma tête. Des flashs de même, on n’en a pas des tonnes. Et à un moment, je me suis dit : « Wow! Je l’ai’’.

Trente ans plus tard, la mélodie de Repartir à zéro n’a pas pris une ride. Pas plus que son propos et encore moins le clip d’époque qui intercale les images de Jo Bocan, enfant et adulte, avec celles de conflits armés, de famine et de luttes raciales. On pourrait refaire le clip en 2018 avec des images récentes… Repartir à zéro est indiscutablement une chanson personnelle au propos universel.

« Je ne sais pas si j’essaie d’être universelle quand j’écris, mais il faut que le texte parle de quelque chose qui me touche pour vrai », note Danièle Faubert. Ici, l’auteure (Faubert), le compositeur (Gauthier) et l’interprète (Bocan) y ont tous trouvé leur compte.