Est-ce que l’on choisit de vivre de la musique? Ou est-ce la musique qui nous choisit? Le jeune compositeur de musique Antoine Binette Mercier, 28 ans, n’a jamais pensé faire autrement. « Je n’ai jamais eu de questionnements autour de mon choix de carrière. J’ai toujours voulu être compositeur de musique de film, aussi loin que je me souvienne. » Malgré son jeune âge, le compositeur a signé la musique de jeux vidéo, des jingles publicitaires, des bandes sonores de courts métrages (Ça prend des couilles du réalisateur Benoit Lach, entre autres) et de longs métrages documentaires comme Le nez de Kim Nguyen et GSP: L’ADN d’un champion de Peter Svatek et Kristian Manchester.

Pour son travail musical sur le documentaire du champion en combat extrême, Antoine Binette Mercier obtient un prix Gémeaux, une nomination aux prix Écrans canadiens, et une bourse de la Fondation SOCAN au concours des jeunes compositeurs de musique audiovisuelle. Une confirmation que la voie prise est la bonne.

« Si tu veux rester vivant dans ce milieu de la composition de musique de film ou de documentaire, il faut que tu crées ton son. »

Antoine Binette Mercier fait d’abord ses débuts dans l’univers du jeu vidéo. Alors qu’il étudie en composition musicale classique à l’Université Laval, un professeur le met en contact avec le studio Long Tail, une boîte indépendante dans le domaine du jeu. Le boulot est si demandant qu’il quitte l’université. « Parfois, ça me manque cet univers académique. Mais à cette époque, je ne trouvais pas ça assez pratique. Et c’était un cadeau de faire de la musique de jeu vidéo. »

Après trois ans de collaboration, Long Tail se fait acheter par Ubisoft et Binette Mercier se voit à court de contrats. Il arrive à Montréal et se lie à la boîte de services musicaux Apollo Studios, une association qui se révèlera déterminante dans son cheminement professionnel. « Je me suis installé dans un local de leur bureau comme travailleur autonome. Et ça m’a permis de prendre contact avec le milieu, les gens et les projets qu’on y retrouve. Je n’aurais pas eu le pitch pour le documentaire sur GSP sans eux. »

Antoine Binette Mercier saisit les aspirations des réalisateurs du documentaire sur GSP via leurs références musicales plus grandes que nature, à l’image de leur sujet. Peter Svatek et Kristian Manchester citaient Radiohead et Hans Zimmer comme inspirations musicales. « Dans notre métier, on est toujours pris avec le demolover, des réalisateurs qui tombent en amour avec la musique qu’ils utilisent pour monter leur film avant d’y apposer la musique originale. Nous, comme compositeurs, on doit comprendre les émotions proposées. Aller au-delà des références de départ, et trouver les outils musicaux pour exprimer les 3 à 4 émotions présentes dans une scène. Peter et Kristian avaient collé une pièce de Radiohead sur une scène d’intimidation à l’école où GSP encaisse puis, un jour, réagit pour se faire respecter. J’ai opté pour le violoncelle de Claude Lamothe qui a l’intensité, la force, mais aussi la chaleur de l’athlète. Tout ça a bien fonctionné. »

Une autre rencontre déterminante est celle de Julien Sagot. Binette Mercier se lie d’amitié avec le percussionniste de Karkwa en 2009, alors qu’il écrit des arrangements pour le spectacle symphonique du groupe. Depuis, les échanges créatifs se poursuivent. Binette Mercier a assuré la réalisation du deuxième opus de Sagot, Valse 333, sorti à l’automne 2014. Ce partage créatif déclenche une quête musicale personnelle pour Binette Mercier. « Sagot m’a réveillé en tant qu’artiste. Il a semé en moi un sentiment d’urgence, celui de trouver mon propre son, mon propre style, mon langage personnel. Tu vois, depuis, je suis en recherche d’identité musicale. Et ça, c’est grâce à lui. »

Binette Mercier a donc amorcé la composition de son propre disque de chansons « cinématographiques », qu’il réalise à temps perdu, ou à temps inspiré. « Si tu veux rester vivant dans ce milieu de la composition de musique de film ou de documentaire, il faut que tu crées ton son. Il est facile dans ce métier de suivre ce que l’on te demande. En plus, notre temps créatif est souvent limité et court. C’est à toi comme compositeur de faire tes devoirs, de t’alimenter via la peinture, la création, la vie. »

Quand on demande à Antoine Binette-Mercier ce que le métier demande, il n’hésite pas à répondre : débrouillardise, détermination et entregent demeurent ses mots clefs. « Il faut que tu te tiennes à jour techniquement parlant, que tu composes par ordinateur, que tu sois versatile et que tu rencontres des gens. Personne n’aime ça se vendre. Mais quand je n’avais plus de contrats en jeu vidéo, je me suis payé une entrée à 300 $ au Sommet international du jeu de Montréal. Et je suis revenu avec un contrat de musique de 2000 $.»

Il n’y a rien comme créer sa propre chance.

http://abinettemercier.com/



Confrontée à la chute de la vente d’albums, l’industrie de la musique a dû s’adapter en diversifiant ses sources de revenus. Depuis quelques années, l’une d’entre elles s’est considérablement accrue : la synchronisation des Å“uvres enregistrées pour utilisation dans les séries télévisées, au cinéma et dans les campagnes publicitaires, une activité économique qui implique directement l’auteur-compositeur et son allié, l’éditeur musical. Et, d’une certaine manière, le fan, qui a parfois fait preuve d’hostilité à l’endroit des musiciens acceptant de « vendre » une de leurs chansons pour faire la promotion d’un produit dans une publicité. État des lieux.

« On le sait, on se le dit dans l’industrie : l’argent circule beaucoup via la synchronisation » des Å“uvres musicales enregistrées, affirme Patrick Curley, président et directeur juridique de Third Side Music, maison d’édition fondée en 2005 et qui gère aujourd’hui un catalogue de plus de 40 000 titres, dont ceux d’un bon nombre d’artistes québécois, Malajube, Radio Radio, Lisa Leblanc, Champion et Groenland, pour ne nommer qu’eux.

PatrickCurley_Synch_CSL’éditeur québécois est aujourd’hui en pleine expansion. Avec plus d’une quinzaine d’employés et un bureau à Los Angeles, Third Side Music fait partie de la « courte liste » des éditeurs vers qui se tournent les producteurs audiovisuels (pub, télé, cinéma) américains à la recherche de la chanson idéale. Grâce à son antenne californienne, l’éditeur est rapidement mis au courant des productions audiovisuelles en cours et de leurs besoins musicaux; une liste est ensuite dressée à l’endroit des « music supervisors » qui assurent la direction musicale desdites productions.

Et ça marche : Third Side Music peut « placer » entre 50 et 100 chansons par mois dans différentes productions, principalement aux États-Unis, un marché qui représente près de 70% de son chiffre d’affaires. « Nos profits sont en croissance chaque année », ainsi que les redevances aux créateurs, dit son président, qui surfe sur une vague transportant toute l’industrie.

Pour l’année 2014, la Fédération internationale de l’Industrie phonographique (IFPI) mesurait dans le monde une augmentation moyenne des revenus tirés de la synchronisation de 8,4% , certains marchés ayant davantage profité de la manne – en France, par exemple, l’augmentation pour 2014 est de 46,4%! Les revenus tirés de la synchronisation représentent ainsi 2% des revenus de l’industrie de la musique mondiale.

« C’est sûr que j’ai réfléchi longtemps avant d’accepter que ma chanson serve à une publicité » – Patrice Michaud

L’industrie canadienne semble aussi profiter de cette croissance. Les plus récentes données fournies par la SODRAC indiquent que, pour l’année 2013, les perceptions pour « la 1ere intégration (synchronisation) des Å“uvres aux productions télévisuelles et aux vidéoclips ont progressé pour atteindre 701 852$, alors qu’elles totalisaient 579 856$ en 2012  ».

Les exemples québécois venant appuyer cette croissance sont faciles à trouver lorsqu’on allume le téléviseur. Ces dernières années, Radio Radio (Télus) ou encore Misteur Valaire (Vidéotron) ont accompagné les images crées par les publicitaires. Patrick Watson a vu sa chanson The Great Escape être utilisée dans un épisode de la populaire série Dre Grey, leçons d’anatomie, puis dans une campagne publicitaire pour les jus Tropicana.

PatriceMichaud_CSDe son côté, l’auteur-compositeur-interprète Patrice Michaud a accompli un véritable exploit : sa chanson Mécaniques générales fut coup sur coup utilisée par Pepsi pour une campagne publicitaire, puis par Honda. « La chanson avait quand même beaucoup tourné à la radio il y a un an, et ça, c’était important pour moi, explique le musicien. Elle avait presque terminé son cycle de vie lorsqu’on l’a demandée pour la publicité télé » qui représente ainsi une forme d’alternative à la diffusion radiophonique en accordant beaucoup de temps d’antenne aux heureux élus de la musique publicitaire.

Dans le cas de Patrice Michaud – qui est son propre éditeur, mais qui confie la gestion de son catalogue à des professionnels – on peut dire que la chance lui a souri : jamais n’a-t-il eu à faire des démarches pour proposer ses chansons aux publicitaires. Ce sont eux qui l’ont contacté avec l’intention précise d’utiliser Mécaniques générales.

Le procédé serait « assez rare », selon l’éditeur Patrick Curley : « Généralement, c’est le travail de l’éditeur de suggérer des chansons selon les besoins spécifiques des productions audiovisuelles. » Par exemple, c’est Third Side Music qui a « placé » la chanson « Our Hearts Like Gold » du groupe Groenland dans une publicité pour le dernier modèle de l’iPad d’Apple. Une publicité vantant les capacités de production et d’édition vidéo de l’appareil, réalisée par Martin Scorsese et diffusée en primeur pendant la cérémonie des Oscars en février dernier.

« Nous maintenons une bonne relation avec la boîte de production qui assure toutes les publicités d’Apple, résume Curley. Nous avions dressé une liste d’une dizaine de chansons qui aurait pu servir à leur concept, et c’est eux qui ont fait le choix. Nous sommes très fiers de ce coup-là! »

« Placer » une chanson dans une publicité peut cependant être une opération risquée. En 2006, lorsque Malajube a accordé aux publicitaires de Zellers le droit d’utiliser Ton plat favori dans sa campagne, les musiciens avaient dû se défendre devant des fans courroucés . En 2011, ce fut au tour de Karkwa de devoir répondre à ses détracteurs lorsque sa chanson « Pyromanes » fut entendue dans une campagne publicitaire de Coca-Cola.

« C’est sûr que j’ai réfléchi longtemps avant d’accepter que ma chanson serve à une publicité, concède Patrice Michaud. Pour moi, c’est une chanson pop d’amour, un vers d’oreille, je ne vois pas de contradiction avec l’idée qu’elle puisse servir dans une publicité. Au final, tout ça a eu un impact certain sur les ventes d’album et sur les ventes de places de spectacles. Beaucoup de gens ont découvert la chanson grâce à ces publicités. Après, la question que je me pose, c’est : qu’adviendra-t-il de cette chanson ? Est-ce que les gens seront tannés de l’entendre ? En tous cas, une chose est certaine : elle ne pourra plus servir dans une autre publicité. »



Deux têtes valent mieux qu’une. C’est le mantra que suit, pour son plus grand bien, le duo de compositeurs Asher & Skratt (Asher Lenz et Stephen Skratt). « Pour faire face à la pression que l’on connait, aussi bien en termes de créativité que d’échéances à respecter, deux paires d’épaules ne sont pas de trop, explique Lenz. » Skratt confirme, « au final, la musique est tout simplement meilleure si on s’y met à deux. »

Les compositions d’Asher & Skratt pour divers clients du domaine du cinéma, de la télévision et de la publicité sont couronnées de succès. Ils travaillent ensemble depuis une quinzaine d’années, d’abord chez Lenz Entertainment, et depuis quatre ans sous le nom Asher & Skratt. Leur chimie, tant personnelle que créative, demeure intacte d’après Skratt : « Bien que l’on passe énormément de temps dans la même pièce, nous ne nous sommes jamais réellement disputé.» « Nos sensibilités sont en synergie et nos expériences se complètent à merveille, » confirme Lenz.

« Nos sensibilités sont en synergie et nos expériences se complètent à merveille. »  – Asher Lenz.

Asher est le fils de Jack Lenz – lauréat de plusieurs prix SOCAN, vieux de la vieille de la composition pour le cinéma et la télévision et compositeur et producteur de chansons pour de très nombreux artistes de premier plan. À titre d’exemple, Andrea Bocelli a enregistré « Go Where Loves Go, » une chanson écrite par les Lenz père et fils.

Après avoir étudié la composition musicale et le piano à l’académie Interlochen puis la composition jazz à New York, Asher entame sa carrière au sein de l’entreprise de son père dont il gravit les échelons. Skratt a quant à lui étudié les percussions au collège Humber avant de joindre les rangs de Lenz Entertainment où il collabore à des spectacles de la trempe de Due South. Lenz souligne que « c’est en équipe, à nos débuts, qu’on s’est fait les dents à écrire chaque semaine la musique pour les épisodes d’une heure de Sue Thomas FBEye, une série dramatique. »

Le duo met sur pied sa propre entreprise il y a quatre ans pour, selon Skratt, « prendre en main notre avenir. » Les mandats de premier ordre ne cessent d’affluer depuis. Un des derniers défis en date est la ré-écriture de la musique du générique d’Inspecteur Gadget. « La version originale signée Shuki Levy, est la meilleure musique de dessin animée jamais écrite, » déclare Skratt. Le duo travaille en ce moment à la composition de la musique de Ever After High, web série animée (et futur long métrage) signée Mattel.

« C’est une vraie chance d’avoir l’occasion de travailler sur tant de genres différents, »  dit Skratt. « Tout cela fait de nous de meilleurs compositeurs. On ne peut qu’apprécier le fait d’écrire la musique d’un dessin animé complètement fou et de s’atteler juste après à Hyena Road, le nouveau film de Paul Gross, pour lequel l’écriture musicale doit évidemment être plus sérieuse et majestueuse. »

Le duo apprécie également la proximité physique que le travail leur impose. « Pendant de nombreuses années, nous n’avions qu’un seul ordinateur et un kit d’équipement, » raconte Lenz. « La charge de travail nous a imposé l’achat d’un deuxième kit et nous travaillons maintenant en parallèle. L’un révise les compositions de l’autre, et vice et versa. Il est donc bel et bien toujours question d’un vrai travail de collaboration. »

Skratt explique que le succès exige des habiletés diverses et variées. « Ne prenez pas les choses trop à cÅ“ur, » dit-il, « puisque vous êtes à la merci du réalisateur et du client. Votre travail consiste parfois à souligner simplement les bonnes blagues, surtout en animation. Vous devez connaitre votre logiciel sur le bout des doigts et le tenir à jour régulièrement. Vous devez évidemment être capable de tenir une discussion intelligente et articulée sur le cinéma avec des interlocuteurs de la trempe de Paul Gross et Larry Weinstein de Rhombus. La palette d’outils à maîtriser est très large. »

FYI
Crédits : Escape from Tehran (film), Hyena Road (film), Sunshine Sketches of a Little Town (téléfilm: leur musique s’est méritée un rpix de l’académie canadienne du cinéma et de la télévision en 2013), Sue Thomas, FBEye (TV), Doc (TV) Ever After High (web série) Detentionaire (TV), Inspecteur Gadget (TV)
Membres de la SOCAN depuis 2002 (Asher), 2000 (Skratt)
Site web : www.asherandskratt.com