Andy Shauf était au secondaire lorsqu’il a découvert la création musicale. « C’était très libérateur », se souvient-il. « Je me suis dit “pourquoi jouer les chansons des autres quand je peux jouer les miennes ?” » Peu de temps après, alors qu’il n’arrivait pas à de trouver un emploi d’été juste avant son année finale, Shauf — qui vient d’une famille très musicale de la Saskatchewan rurale — a décidé qu’il resterait plutôt à la maison pour enregistrer un album qu’il vendrait à ses camarades pour se faire un peu d’argent de poche.

Aujourd’hui, s’il se réjouit que l’album n’existe plus — « c’était vraiment gênant » —, le désir de créer et de partager sa musique est plus fort que jamais. Lorsqu’il a obtenu son diplôme du secondaire, il a occupé quelques boulots sans importance, mais l’unique but était de payer pour ses tournées. « J’étais constamment sur la route », se souvient-il. « J’ai toujours été en tournée. Je montais dans ma voiture et je partais en tournée pendant des mois. »

Aujourd’hui âgé de 29 ans, Shauf a commencé à se bâtir une réputation grâce à son sens de l’écriture excentrique et imaginatif et à sa voix qu’on a comparée à celle d’Elliot Smith ou Paul Simon. En 2015, il a été mis sous contrat par Arts and Crafts au Canada et Anti — aux États-Unis et son nouvel album, The Party, paraîtra en mai 2016.

« Je me concentre sur le quotidien, une chanson à la fois. »

Bien qu’il hésite à qualifier son nouvel opus d’album concept, Shauf explique qu’il préfère « écrire des histoires » plutôt que de « chanter au je ». Il explique que chacune des chansons de l’album s’articule autour d’un « party » et des moments anodins et des personnages maladroits qui les habitent — de la fille qui danse seule et sans retenue au milieu de la pièce et mec qui sort fumer une cigarette, mais qui ne trouve plus son briquet. « Pour moi, ils sont tous maladroits, car je les observe depuis ma propre maladresse », explique Shauf, avouant du même souffle être timide.

Shauf admet également volontiers qu’il est très contrôlant lorsqu’il est question de créer de la musique. C’est ce qui explique qu’il ait complètement abandonné la première version de The Party, qu’il avait commencé à enregistrer en compagnie d’un groupe en Allemagne. « Ces séances ne se sont par très bien déroulées », dit-il en toute simplicité afin d’expliquer sa décision de tout recommencer — seul — au Studio One de Régina, la ville où il habite présentement.

Tout comme sur son album The Bearer of Bad News, paru en 2012 et enregistré dans le sous-sol de la maison familiale sur une période de 4 ans — ainsi que sur son EP Darker Days lancé en 2009 — Shauf joue lui-même tous les instruments, avec l’aide de Colin Nealis pour les cordes. « C’est tout simplement plus facile pour moi de travailler seul et d’arriver moi-même à la conclusion qui me convient », dit-il au sujet de son processus créatif solitaire. Mais le désir de solitude de Shauf ne se transpose toutefois pas sur scène. Il joue avec groupe qui est actuellement en tournée au Royaume-Uni afin d’assurer la première partie des Lumineers et il apprécie vraiment quand l’auditoire est touché par sa musique.

Bien qu’il soit fier de son plus récent opus, Shauf sait qu’il ne laissera rien le distraire de ce qui compte le plus pour lui : l’écriture et l’enregistrement. « Pour l’instant, mon but est de m’améliorer d’un album à l’autre ou d’une chanson à l’autre. Tenter d’atteindre un niveau de notoriété vous rendrait fou, de toute façon. Je me concentre sur le quotidien, une chanson à la fois. Tout ce que je désire c’est de continuer à écrire et à trouver de l’inspiration. »



Il y a une profonde envie de faire les choses autrement chez Yann Beauregard-Lemay et Julien Bidar, binôme derrière la jeune maison d’édition Outloud. A

près avoir travaillé au sein des différentes entreprises menées par Sébastien Nasra (Bidar étant aux éditions Avalanche et Yann aux disques Vega et au festival M pour Montréal), les deux amis décident d’unir leur force afin de créer une boîte d’édition qu’ils veulent souple et innovatrice, deux qualificatifs centraux au sein d’une industrie musicale en constante redéfinition. Bidar explique.

« Nous travaillons avec des plus petits budgets dans une industrie qui génère moins d’argent qu’avant. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’aller vers l’avant et d’être dynamiques avec les groupes que nous avons en édition. Nous n’attendons pas par exemple qu’un disque soit sorti sur un territoire pour encourager les groupes au sein d’une tournée. C’est le cas par exemple de Coco Méliès qui tourne en Europe grâce à notre contact avec Kalima Production, et ce pour une deuxième fois sans contrat de disques. La première tournée a été rentable. Pour nous, c’était du développement payant. » (La compagnie de disque Audiogram a annoncé le 26 avril dernier la signature de Coco Méliès, dont le catalogue sera dorénavant édité par Éditorial Avenue, N.L.D.R.)

Bidar et Beauregard-Lemay travaillent en étroite collaboration avec les groupes qu’ils signent. Une réalité indispensable lorsqu’on gère un catalogue qui mise sur des groupes émergents comme Secret Sun, Orange O’Clock, Fred Woods, AléatoireTechnical Kidman et Dr. Mad. « On réalise des partenariats après avoir rencontré les artistes. La base, c’est d’avoir un lien avec eux, des affinités, une vision. Ça nous permet de construire ensemble des stratégies qui leur ressemblent et qui nous ressemblent. » Ici, la gestion d’œuvres musicales rime avec le développement d’une démarche artistique. Si cette façon de faire peut ressembler à un travail de gérance, les deux amis et partenaires en affaires s’en défendent bien. « On n’est pas là pour s’assurer que tout va bien en tournée et qu’ils ont leur bouteille d’eau à côté de leur micro. C’est important, mais ce n’est pas notre département. »

« C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif », Julien Bidar

Leur début en 2014 est couronné par deux bons placements publicitaires européens qui apportent vent dans les voiles à la jeune maison d’édition. Ils jumellent une pièce de Jean-Sébastien Houle à une publicité pour la Banque d’Autriche. Puis Outloud place une pièce de Locksley, issu du catalogue britannique So Far dont Outloud a la gestion, sur la publicité d’une bière polonaise, Zywiec Warianty. « C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif, confirme Julien Bidar qui en fait sa niche à lui. Je dois envoyer 2 à 3 pitchs chaque jour pour obtenir un « oui » à ma cinquantième demande. L’objectif est ici de trouver le match parfait entre une chanson et un produit. La notoriété d’un artiste peut jouer dans la balance, mais ce n’est évidemment pas le seul facteur »

Publicité pour la Banque d’Autriche avec la musique de  Jean-Sébastien Houle :

Afin d’obtenir le plus de placements, Outloud qui porte bien son nom, compte faire un maximum de bruit autour d’eux. Et c’est là qu’intervient Yann Beauregard-Lemay, celui que Bidar appelle à la rigolade, « l’homme qui ne peut marcher dans la rue sans se faire reconnaître ». Yann assure la présence sur les médias sociaux des différents artistes qu’Outloud représente, ce qui l’amène à entretenir des liens étroits avec différents blogues musicaux. Il initie parfois des articles dans les médias plus traditionnels. Beauregard-Lemay confirme la crédibilité qui est générée par cette démarche. « Pour nous, ce lien avec les médias et les réseaux sociaux nourrit l’image d’un groupe et facilite par la suite le placement des pièces musicales. Nous ne chargeons jamais un groupe pour ce travail, car nous croyons que nous avons aussi à gagner dans cette promotion. »

Cette présence en ligne, Outloud l’encourage de différentes façons. Bidar et Beauregard-Lemay proposèrent à Coco Méliès de lancer en ligne un single qui avait été à l’origine écrit pour un pitch. Même chose pour Aléatoire qui reçoit 150 000 cliques sur Spotify pour une chanson. Ils encouragent Secret Sun à entreprendre une série de remix par divers producteurs (Foxtrott, The Posterz) afin de maximiser les possibilités sonores du groupe. « Quand on veut placer des pièces musicales sur un contenu visuel, il est nécessaire d’être versatile. »

Sans frontière de son ou de territoire, Outloud charme ici par sa démarche polyvalente et globale menée comme une véritable passion par deux hommes unis par la musique.



Délivrez-nous du mal, c’est lui. IXE-13, c’est encore lui. Bonheur d’occasion, c’est toujours lui. Et puis Le Matou, Le Déclin de l’empire américain, Les portes tournantes, Jésus de Montréal et C’t’à ton tour Laura Cadieux. Chaque fois, c’est lui et personne d’autre.

Francois DompierreLui, c’est François Dompierre. Il n’a certes pas réalisé ces films qui font partie de notre patrimoine cinématographique, mais le compositeur émérite a créé la musique pour chacun d’entre eux.

Scruter la liste des longs et courts métrages auxquels François Dompierre a été associé, c’est un peu beaucoup décliner l’historique du cinéma québécois des années 1960 jusqu’au début du nouveau siècle. Tel un Mozart de son époque, le compositeur a incrusté sa signature musicale à une œuvre large et universelle.

Un parcours étonnant, en vérité, pour quelqu’un qui n’avait pas envisagé une telle carrière quand il était étudiant au Conservatoire.

« Au Conservatoire, on apprend la musique savante, que l’on désigne comme de la musique classique, note le principal intéressé. La musique de film n’était pas un plan de carrière. À 20 ans, je rêvais de faire de la musique de concert. Ce que je fais maintenant depuis longtemps ».

Le nom de François Dompierre est pourtant associé aux chanteurs et chansonniers du Québec au milieu des années 1960, en raison de ses collaborations avec Félix Leclerc, Pauline Julien, Louise Forestier, Pierre Calvé et autres Claude Gauthier, pour ne nommer que ceux-là.

« J’ai fait des arrangements avec des artistes et j’ai travaillé à l’Office National du film, notamment avec (Jacques) Godbout, précise le pianiste. Mais la musique de film est devenue un business un peu par hasard. »

Apprendre sur le tas

Godbout (IXE-13), Jean-Claude Lord (Délivre-nous du mal) et Marcel Carrière (O.K…. Laliberté) sont au nombre des premiers réalisateurs avec lesquels Dompierre travaille au tournant des années 1960 et 1970. Une époque où, ma foi, il n’y avait pas de manuel d’instruction pour composer de la musique de film.

« La musique de film, je l’ai apprise en la faisant. J’ai été chanceux d’être dans cette période-là. On pouvait faire des expériences. On était en apprentissage et on travaillait avec des réalisateurs qui étaient eux aussi en apprentissage. On bâtissait quelque chose. C’était une époque où tout était permis. On ne s’en rendait pas compte, mais rétrospectivement, oui, ce fut le cas. »

Francois DompierrePosez la question à un auteur-compositeur et interprète, et il vous dira qu’il compose une chanson en couchant de la musique sur des paroles ou en écrivant un texte pour une musique existante. C’est l’un ou l’autre. La création de musique pour une production cinématographique n’échappe pas à cette dualité, mais il y a quand même un mode opératoire précis.

« J’ai écrit de la musique sur des paroles et des paroles sur la musique. Dès les années 1990, la musique était devenue la dernière étape de création. On recevait des images sans musique et on devait s’en inspirer. Pour une comédie comme IXE-13, on a composé la musique avant le tournage. Mais dans 85 pour cent des cas, la musique est faite à la fin du film, avant le mixage. »

Les cas de figure

Faire un film est un gigantesque travail d’équipe, mais le compositeur est d’ordinaire plutôt seul dans son coin jusqu’au moment où il remet le fruit de son travail au réalisateur. En quatre décennies de création, on se dit que la vision de François Dompierre n’a peut-être pas été toujours en symbiose avec ce que les réalisateurs attendaient de lui.

« (Rire) J’ai eu droit à tous les cas de figure, mais les réalisateurs ajoutent toujours leur grain de sel. Et là, on joue le rôle de psychiatres. On demande, pourquoi veux-tu ceci? « Parce que ma blonde aime ça, parce les images demandent ça » Et pourquoi les images demandent ça? Vous savez, c’est très subliminal le processus de création de la musique. Mais les images tournées appellent à une certaine musique. »

« Il y a plusieurs sortes de réalisateurs, note Dompierre. Il y a ceux qui voient la musique comme un faire-valoir. Et il y a ceux qui savent exactement ce qu’ils veulent. Denys Arcand est comme ça. Denys aime la musique classique. Pour Le Déclin de l’empire américain, nous sommes partis du 5e concerto d’Haendel et j’ai composé des variantes sur cette base. »

Si le compositeur a créé la musique pour le tout récent film La passion d’Augustine, de Léa Pool, il a délaissé le genre depuis une quinzaine d’années en raison des visions distinctes des intervenants d’un film et l’apport technologique.

« Parfois, des producteurs veulent de la musique pour leur film, mais des réalisateurs n’en veulent pas. De nos jours, avec les nouveaux moyens technologiques, il y a moyen d’intervenir sur la musique. On peut, par exemple, enlever les cordes. Quand tu passes des heures à travailler sur une mesure et qu’un monteur la coupe… Mais il ne faut pas s’en faire. C’est la vie. »

« Il y avait une façon plus artisanale de travailler dans les années 1960 et 1970. On se donnait des conseils. On se parlait. Il y avait une équipe qui travaillait ensemble. Pour Les portes tournantes, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Francis Mankiewicz. J’ai composé, j’ai proposé et quand Francis a accepté, il m’a laissé aller. »

Pour ce qui est de l’hommage que le Gala du cinéma québécois lui a rendu le mois dernier, François Dompierre commente avec la netteté d’une mesure de musique joyeuse, dénuée de superflu.

« Ça m’a fait bien plaisir. Ça coïncidait avec mes 50 ans de carrière. »