Si vous interrogez des compositeurs canadiens sur le premier projet de musique à l’image sur lequel ils ont travaillé, très peu vous répondront « ça se passe en Corée du Nord ». Mais Andrew Yong Hoon Lee le peut, lui. Le compositeur Coréen-Canadien a écrit la musique du documentaire Closing the Gap : Hockey in North Korea qui propose un regard peu commun sur la société nord-coréenne en suivant une équipe de hockey qui participe à un tournoi international en Nouvelle-Zélande.

« Ils jouent au hockey en Corée du Nord ? » Ce fut la première réaction de Lee lorsque le réalisateur du film, Nigel Edwards, lui a demandé de composer la musique pour son projet. « Comme la plupart des Canadiens, mon idée de la Corée du Nord est basée, essentiellement, sur la propagande », dit-il au téléphone alors qu’il se trouve dans l’état de New York où il complète sa maîtrise en beaux-arts au Bard College. « Avant d’accepter de participer à ce projet, je me suis assuré que le film ne serait pas salace ou sensationnaliste. Mais dès que j’ai vu les premières prises de vue de Nigel, j’ai compris qu’il traiterait le peuple nord-coréen avec respect et qu’il voulait mettre de l’avant leurs histoires à caractère humain. »

Lee a grandi à Vancouver où son père dirigeait une chorale et remplissait la maison de musique classique et d’opéra. Lee a fondé son premier groupe rock inspiré de Nirvana lorsqu’il était en cinquième année et il s’est dirigé vers des études en musique classique et en arts visuels. C’est lorsqu’il a entendu la musique électronique expérimentale du montréalais Tim Hecker qu’il a eu une épiphanie. « Quand j’étais jeune, je me méfiais de la musique créée à l’aide de machines, par opposition, tu comprends, à la musique jouée “live” », dit-il. « Tim Hecker a été ma porte d’entrée. Il m’a convaincu que je pouvais prendre au sérieux les musiciens qui utilisent les ordinateurs comme instrument principal. »

La musique de Closing the Gap est minimale et très atmosphérique. La trame sonore est très douce, mais expressive et n’est pas totalement étrangère à ce que Lee a publié auparavant sous le nom de scène Holy Hum ou encore ce qu’il a composé pour divers projets audiovisuels et d’installations sonores exposées en Amérique du Nord et en Europe. Ainsi, pour son premier projet à caractère narratif, il a dû relever un défi : une distribution qui manque, si l’on veut, de personnalité. En effet, comme bien des nord-coréens, les joueurs de hockey au cœur du documentaire minimisent leur individualité et affirment qu’ils compétitionnent pour la gloire de leur leader, Kim Jong Un. C’est pourquoi Lee et Edwards ont décidé d’utiliser la musique afin de faire valoir leurs personnalités à l’écran.

« J’avais deux objectifs pour la trame sonore », raconte Lee. « Je voulais que la musique ait un registre psychologique, si on veut. Je voulais qu’elle fonctionne à un niveau subconscient en révélant certains aspects psychologiques des personnages. Et je voulais que la musique sonne comme la Corée du Nord à l’air. Par exemple, quand on voit l’architecture, on sent qu’elle est tournée vers l’avenir, mais qu’elle semble dépassée, également. Je voulais donc que la musique ait un côté futuriste, mais avec un lustre légèrement rétro. »

Et comme si le fait que de créer de la musique pour un film tourné en Corée du Nord n’était pas assez, Lee a également eu la chance de vivre une relation de travail plutôt rare avec le réalisateur. Edwards et lui ont passé près d’un an à travailler sur le projet, incluant 10 jours entiers dans le studio de Lee à New York. « Bon nombre de choix au montage ont été dictés par la musique, et je pense que ça n’est pas très commun », confie-t-il. « Nigel était assis derrière moi pendant qu’il montait le film et que je travaillais sur la musique. Je lui suggérais parfois d’étirer une scène afin de permettre à une note en particulier de durer plus longtemps, et il était en mesure d’accommoder ça au montage. Ce n’est peut-être pas la façon la plus rentable de travailler, mais on s’est donné la latitude d’expérimenter. »

 Closing the Gap a été présenté en première dans le cadre du Whistler Film Festival en décembre 2019. Lee prévoit lancer la musique du projet dans son intégralité ce printemps sur les plateformes numériques et sur vinyle par l’entremise de son label indépendant, Heavy Lark.