Alexanfre PoulinIl n’y a pas de recette au succès, et Alexandre Poulin le sait. Sur son quatrième album Les temps sauvages, le prisé raconteur d’histoires évite les canevas pop convenus et signe des textes en demi-teinte, entre espoir et résignation.

Alexandre Poulin aurait pu être à la mode. Après tout, son attirance marquée pour l’americana aurait particulièrement bien collé au son des radios commerciales qui, encore aujourd’hui, carburent au folk.

Mais le Sherbrookois aime bien qu’on le retrouve là où ne l’attendait pas. « J’me trouvais bien original d’arriver avec mes tounes de mandoline pis de banjo en 2007, mais là, je sentais que j’avais fait le tour », admet celui qui a eu un faible pour les mélodies planantes cette fois. « Anyway, j’ai jamais aimé être sur l’autoroute. J’aime mieux marcher en dehors des sentiers. »

Les temps sauvages, c’est d’ailleurs une réplique à ces sentiers trop bien tracés, à ces chemins imposés qu’on emprunte parfois aveuglément sans trop y penser. Entre le récit d’un coup de foudre virtuel (Les amours satellites), le portrait d’un chômeur impuissant devant les forces capitalistes (Bleu Big Bill) et le constat d’un amour sur le déclin (Nos cœurs qui battent), Poulin, lui, réfléchit à ses envies de liberté et aborde de front « les obligations dune société qui nous consume pendant qu’on la consomme ».

« On vit dans une époque hallucinante, où tout va tellement trop vite, remarque-t-il. Depuis toujours, je me bats contre la course effrénée de la vie, mais là, je sais pu trop comment faire pour ralentir tout ça. »

 

C’est pourtant ce qu’il a fait en décembre dernier, freiner le temps. Exténué après avoir enchaîné les tournées de ses deux précédents albums, il a jugé bon « prendre un pas de recul ». « J’ai eu le loisir et le privilège de prendre un an off de shows. Dans la vie, t’as beau être passionné par ton métier et toujours vouloir travailler, ça peut devenir un piège. À un moment donné, c’est ton corps qui t’envoie des signes », confie-t-il.

Bénéfique, cette période de ressourcement n’a toutefois pas été de tout repos. Les vacances ont été de courte durée, et Poulin s’est rapidement mis à la création d’un quatrième album. Habile créateur d’histoires, il a voulu rompre avec le mythe qui l’entoure : celui qui le cantonne dans la catégorie des storytellers impassibles, manifestement fermés aux structures typiques de la chanson pop.

« Je suis d’emblée reconnu pour mes tounes sans refrain, mais si on écoute bien mes trois premiers albums, on se rend compte que j’en ai déjà fait plusieurs, nuance-t-il.  Cette fois, j’ai voulu faire un effort soutenu pour épurer mes histoires. J’ai enlevé tout ce qui était touffu ou inutile. »

À cet effet, ses nombreuses collaborations à titre d’auteur-compositeur pour des interprètes au dessein commercial comme Garou, France D’Amour et 2Frères l’ont aidé à ne plus rejeter d’emblée la charpente pop.

Le succès radio de sa chanson Comme des enfants en cavale en 2014 a également contribué à cette ouverture d’esprit. « Ce genre de succès inattendu a quelque chose de très valorisant, d’autant plus que j’avais déjà fait mon deuil des radios », dit-il, encore enthousiaste. C’est d’ailleurs une ligne directrice que j’ai voulu garder pour Les temps sauvages. Au lieu d’essayer de faire un album qui va se vendre, j’ai voulu faire un album que j’aurais envie d’acheter. »

Pour l’aiguiller dans le processus, Poulin a fait appel à son complice de longue date Mathieu Perreault et au probant arrangeur Guido Del Fabbro (Pierre Lapointe, Groenland) à la coréalisation : « D’avoir dans mon équipe un gars comme Guido, qui est vraiment plus à gauche musicalement que moi, c’était très rassurant. En studio, je lui demandais régulièrement “c’tu trop pop ça?’’ quand je doutais de quelque chose. Même si je lançais ça à la blague, ça me donnait souvent une bonne idée de la direction à prendre. »

C’est en partie grâce à cette minutie et à cette ardeur au travail que le chanteur obtient un engouement graduel auprès du public et des médias. Encore un secret bien gardé au Québec, Alexandre Poulin commence à récolter le fruit de ses efforts de l’autre côté de l’Atlantique. Invité à l’émission On n’est pas couché (l’équivalent français de Tout le monde en parle en termes de popularité), il s’est instantanément retrouvé au sommet des ventes d’iTunes France suite à son passage, en février 2014.

« C’est le genre de show qui a énormément de pouvoir sur une carrière », soutient-il. Mais je vais pas me leurrer non plus : je ne suis pas du tout une star en France. En fait, comme c’est le cas ici, le buzz est vraiment venu du public, et ça a pris du temps avant que les gros médias s’intéressent à moi. Autant que je trouve ça weird, autant que je finis par trouver que ça me sert bien. Dix ans après mes débuts y a encore du monde qui me découvre et qui me voit comme une nouveauté. »



Alain Chartrand

Photo by/par Benoit Rousseau

Coup de cœur francophone célèbre ses trente ans cette année. Une centaine de prestations sont au programme durant onze jours dans treize salles montréalaises jusqu’au 13 novembre 2016. Trente ans de créations et de découvertes qui ont fait du rendez-vous automnal un vecteur incontournable du paysage musical québécois.

Le 12 septembre dernier au Gala de la SOCAN à Montréal, son directeur et cofondateur Alain Chartrand recevait le prix Hommage décerné par ses pairs pour sa contribution à l’essor de notre culture par le biais de Coup de cœur francophone. « Je suis bien sûr honoré, surtout lorsqu’on regarde la liste des prestigieux récipiendaires du passé comme Guy Latraverse ou Donald Tarlton, j’ai été un peu intimidé parce que c’est la reconnaissance d’un travail d’artisan qui est reconnu par l’institution qui gère les droits d’auteur des auteurs-compositeurs. Je suis fier de ce prix parce que la SOCAN reconnaît le travail des passeurs et des diffuseurs du spectacle vivant dans la grande chaîne, dont nous sommes l’un des maillons ».

« Au milieu des années 80, on a constaté assez vite qu’il y avait un intérêt pour la nouvelle chanson française, les Arthur H (qui a joué pour la première fois à Coup de cœur en première partie de Luc de Larochelière), Dominique A., Arno, etc. Il y avait des artistes à découvrir et un festival, ça sert à ça », se rappelle Chartrand.

Ses concerts marquants des trois décennies passées ? « C’est une question cruelle !  Alain Bashung en 1995 a été une vitrine magnifique, le timing était bon. Richard Desjardins Symphonique qui, incidemment, a fait ses débuts à Coup de cœur en 1988 en première partie d’Isabelle Mayereau, c’était la première fois que Richard jouait devant six cents personnes ». Desjardins a joué sept fois à Coup de cœur en trente ans.

“« Je pense aussi à Danse Lhasa Danse créé lors du 25e en 2011 et qui selon moi a marqué Coup de cœur d’une pierre blanche. Avec Pierre-Paul Savoie aux chorégraphies, treize danseurs, six chanteurs et cinq musiciens. La première fois que tout le monde était ensemble pour répéter, c’était le jour du spectacle !?»

Il y a aussi Diane Dufresne dans les souvenirs du directeur artistique. « Je m’en souviens parce que c’était (feu) Allain Leprest qui faisait sa première partie et il avait remercié Les Francofolies sur scène ! »

Danse Lhasa Danse

Danse Lhasa Danse. Photo by/par Jean-François Leblanc

Mais Coup de cœur a dû, à un certain moment, sortir des cadres de la chanson avec des artistes plus corrosifs comme Massilia Sound System, No One Is Innocent, Vulgaires Machins et WD-40 : « C’est sûr qu’à un moment donné il a fallu communiquer autre chose que : amis de la chanson bonsoir ! »

Quelle observation fait-il de l’écosystème musical aujourd’hui ? « On pose souvent la question à savoir si la chanson est en crise. Sur trente ans de Coup de cœur francophone, je peux te dire qu’il n’y a jamais eu de crise au niveau de l’effervescence de la création. Bien sûr, la façon de consommer la musique a transformé le portrait, la difficulté pour un artiste aujourd’hui c’est : comment tu te rends au public ? Aux débuts du Coup de cœur, l’enjeu récurrent c’était la frilosité des radios, c’était l’unique canal pour y arriver ».

Optimiste, Alain Chartrand ? « Il y a toujours des cycles de nouveautés, des nouveaux visages qui surgissent. Aujourd’hui, on pourrait faire deux ou trois programmations. Mais est-ce que ces nouveaux vont avoir la capacité de développer constamment un public ? Prends Sylvie Paquette (qui présente son spectacle-hommage à la poétesse Anne Hébert le 8 novembre). Elle est la première artiste qui a foulé les planches de Coup de cœur. Elle est une persévérante même si elle n’a jamais eu des ventes de disques faramineuses. Et elle a développé son public ».

Ce un secret de Polichinelle, Chartrand a une relation particulière avec les auteurs de chansons. « C’est plus une relation avec la chanson au départ, précise-t-il. Je m’intéresse à la chanson parce qu’elle s’intéresse à moi. C’est un intérêt partagé. Avec les musiciens, il y a une relation de confiance aussi dans la rétribution des droits d’auteurs. Il y a toujours eu un travail pour mettre à jour toutes les règles qui régissent le droit d’auteur. Je ne suis pas un spécialiste, mais avec le chambardement actuel, ce que je pense c’est qu’il faut régler le problème de façon légale, il faut que les pouvoirs des gouvernements puissent être utilisés envers les fournisseurs de services. Il faut aussi mieux positionner la chanson francophone afin d’obtenir une meilleure rétribution. Mais c’est une problématique planétaire ».

Coup de cœur, on l’oublie, est un projet de partenariat. Quarante-cinq villes canadiennes y sont désormais associées avec plus de deux cents spectacles à l’affiche. « Notre terrain de jeu, c’est six fuseaux-horaires. Plutôt que de développer verticalement, nous on a développé horizontalement ! »

Parmi les musts de la cuvée 2016, Alain Chartrand a hâte aux spectacles de Philippe Brach (qui présente les chansons de son nouveau disque Enfant-Ville), la création Corps, amour et anarchie, Klô Pelgag et le retour des Goules.

www.coupdecoeur.ca
Du 3 au 13 novembre 2016

 



Nous vous présentons le Quentin Tarantino du country — sans le sang, l’horreur et la violence, il va sans dire.

Dean Brody — lauréat des 13 prix de la Canadian Country Music Association, quatre Prix SOCAN, et deux Prix JUNO — fait référence à l’enfant terrible d’Hollywood, qui nous a donné des films comme Pulp Fiction et Hateful Eight, sur la pièce titre de son plus récent album intitulé Beautiful Freakshow et s’émerveille du côté rebelle de ce réalisateur.

« J’adore les films de Quentin Tarantino », dit-il en entrevue dans nos bureaux de Toronto où il était de passage pour donner une prestation intime à l’intention de nos employés. « C’est un des meilleurs réalisateurs de tous les temps. Il connaît toutes les règles et les brise allègrement et impunément. Je trouve cela tellement cool. »

« Je suis quelqu’un de très visuel, et je crois que ça m’aide dans mon processus créatif. C’est un processus purement visuel, pour moi. »

On pourrait sans gêne affirmer la même chose au sujet de Brody au sein de la musique country, un genre musical où les risques artistiques sont rarissimes. Brody a écrit bon nombre de chansons qui défient pratiquement toute catégorisation ou qui, à tout le moins, repoussent les limites de ce qui est considéré comme du « country ».

Prenez par exemple « Upside Down » et « Bring Down the House » sur son album précédent, Gypsy Road: la première propose une mélodie sifflée à saveur celtique, des guitares un peu sales et des paroles où il est question d’être « high », tandis que la seconde s’articule autour d’un banjo et raconte l’histoire de deux marginaux qui n’ont rien en commun mais qui forment malgré tout un couple idéal.

« Bring Down the House » — la chanson qui lui a valu les prix CCMA 2016 dans les catégories Simple, Vidéo, Composition et Meilleur vendeur pour un simple — était si peu orthodoxe dans son genre que l’artiste et son réalisateur Matt Rovey craignaient de la faire entendre à Ron Kitchener, l’agent de Brody et propriétaire de sa maison de disque, Open Road Records.

« On faisait dans nos frocs, on se demandait comment on allait bien pouvoir lui présenter ça », se remémore Brody. « Nous avons rassemblé toutes nos pièces et à la toute fin, on lui a dit “Ron, écoute celle-là?; on l’a enregistrée juste pour s’amuser un peu”. Il l’a adorée, il n’en revenait pas. Ça nous a rendus un peu nerveux, car les radios sont de dures critiques. Elle n’a pas aussi bien réussi que mes chansons précédentes, mais c’est quand même une des chansons les plus importantes de ma carrière. »

Beautiful Freakshow s’inscrit pleinement dans la foulée créative de Brody : la chanson propose une ambiance Spaghetti-Western à la Ennio Morricone avant de partir dans toutes sortes de directions différentes, incluant un couplet hip-hop, courtoisie du rappeur haligonien Shevy Price.

« J’écoutais du Nicki Minaj à l’époque de la création de cette chanson, et j’adore sa façon de livrer ses textes », explique Brody. « Elle a tellement d’attitude que c’en est presque méchant. Je me suis dit que ce serait vraiment cool de créer une chanson country avec ce mec vraiment country et cette fille débordant d’attitude. J’ai immédiatement pensé à Nicki Minaj. »

« J’ai contacté un de mes amis, Marc Perry, qui connaît bien la scène de musique urbaine de la côte Est. Il m’a dit qu’il connaissait une fille de la scène underground d’Halifax dont le nom est Shevy. Je lui ai présenté ma chanson et elle a dit “Oh?! c’est vraiment cool. Dans quel recoin sombre es-tu allé chercher une chanson pareille??” Je lui ai expliqué que pour moi, c’est une chanson joyeuse. J’adore cette chanson. Elle l’a vraiment aimé et nous l’avons enregistrée à son studio. Elle a fait son truc et tout s’est mis en place. Pendant sa création, on n’avait aucune idée du produit fini. Cette chanson n’est pas seulement sortie des sentiers battus, mais c’est un saut dans l’inconnu, un véritable acte de foi. »

Puis il y a le rugissant country-rock de « Bush Party », l’entraînante et très classique « Soggy Bottom Summer », la saveur reggae chaloupée de « Beautiful Girl » et la « presque trop country » pièce « Time » qui viennent toutes témoigner de la polyvalence de Brody. « J’aime explorer les frontières », admet volontiers l’artiste. « La musique est amusante et j’aime essayer plein de trucs. »

Mais les comparaisons à Tarantino ne s’arrêtent pas là : les chansons de Brody ont une qualité cinématographique. Pour les créer, il doit voir les images dans sa tête. « J’ai besoin d’images », dit-il. « Je suis incapable d’écrire une chanson uniquement à partir de mots ou d’émotions. J’ai besoin d’une image ou d’une métaphore. Même mes chansons d’amour sont des métaphores. J’ai besoin d’imagination… et d’un instrument. »

Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que Brody travaille actuellement sur quatre scénarios, ce qui ne manque pas de fournir du carburant à sa création musicale. « Je suis quelqu’un de très visuel, et je crois que ça m’aide dans mon processus créatif », confie-t-il. « C’est un processus purement visuel, pour moi. Prenez “Blueberry Sky” : je vois très bien toutes les images que la chanson contient : le pont à tréteaux, la pluie, se mettre à l’abri sous celui-ci. Partir à courir depuis le porche de grand-maman, l’autocar qui s’arrête près du garage où ce mec travaille dans le garage, les mains pleines d’huile. La fille qui descend du bus et qui a besoin d’un “lift”. Comme il n’y a pas de taxi, il attrape les clés de la remorqueuse et la reconduit à la maison de grand-maman, et comment ils finissent par passer l’été ensemble. C’est comme un film pour moi : ça ressemble à Forrest Gump avec une cinématographie à la Robert Zemeckis, tu vois ce que je veux dire?? »

Ce dont il n’a pas nécessairement besoin, c’est un partenaire de création, bien qu’il ne s’en prive pas, à l’occasion, lorsqu’il sent qu’une de ses chansons a besoin d’une petite poussée supplémentaire. Après avoir créé en comité pendant longtemps, il est parfaitement confortable dans sa vie de loup solitaire.

« J’ai écrit à Nashville pendant six ans, et pour une raison ou une autre, mes idées sont presque toujours rejetées », confie Brody. « Alors je rentre chez moi et j’écris autre chose. Car quand quelqu’un déclenche en moi une direction, ils choisissent ensuite d’aller dans une autre direction. Je suis étrange, mon processus créatif est très privé. J’ai souvent l’impression d’être un éditeur plutôt qu’un auteur-compositeur. »

Il est très rare que Brody finisse une chanson d’un seul jet. « Le matin, je vais prendre ma guitare et essayer plein de trucs », explique-t-il. « Je vais trouver une ou deux phrases, les enregistrer sur mon iPhone puis aller travailler dans le jardin. Je rentre pour dîner, puis j’essaie la même chanson au ukulélé. C’est alors que je vais trouver le début du refrain, puis je commence à m’ennuyer, alors j’arrête et je fais autre chose. J’ai remarqué que créativement, je travaille mieux par blocs. Un peu à la fois. Lorsque je me force à travailler pendant de longues périodes, je suis vidé. »

« Puis il y a une question de perspective », poursuit-il. « Je suis trop près de ma chanson si je m’y attarde trop longtemps. Je pars dans une bonne direction, et quand j’y reviens, je peux y poser un regard neuf, retrancher des trucs ou en ajouter d’autres. Le recul est crucial pour moi. Je connais des auteurs-compositeurs qui ont un œil de faucon quand ils écrivent pendant des heures, mais moi je le perds très vite. Je dois y revenir le lendemain pour voir ce qu’eux voyaient. »

S’il y a un type de chanson sur lequel Brody n’a pas besoin de passer beaucoup de temps, ce sont les ballades. « Ce sont les chansons que je préfère écrire, mais elles passent moins bien à la radio », dit-il. « Même les diffusions en continu et les téléchargements reflètent ça. Je me demande parfois si mes fans apprécient mes ballades autant que moi. J’ai donc décidé de changer de direction un peu?; je passe plus de temps sur mes chansons amusantes et joyeuses. »