C’est le retour de notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. À quatre mains, Louis-Jean Cormier et Daniel Beaumont ont écrit l’un des succès marquants des dernières années au Québec, la fédératrice Tout le monde en même temps, tirée du premier album solo de Cormier, poursuivant leur collaboration jusqu’au tout récent Le ciel est au plancher.

« Y’a rien de plus facile à planter dans la tête d’un artiste qui se lance dans un projet solo que le doute », confie Louis-Jean Cormier. C’était il y a dix ans : après quatre albums au sein de Karkwa, il se lançait dans le vide, mijotant son premier album Le Treizième étage (2012). « Moi, je suis un gars de band. J’avais alors l’impression que j’avais besoin de quelqu’un, pour échanger des idées. Dans la vie, j’aime les idées qui rebondissent, j’aime me dire qu’on peut être deux têtes à travailler sur un projet. Ça me plait plus que de tout faire tout seul. »

Quelques années plus tôt, à l’occasion d’un atelier d’écriture au Festival en chanson de Petite-Vallée, Cormier avait remarqué Daniel Beaumont. Encore à ses débuts de parolier, il collaborait alors à l’écriture de chansons avec son frère Matthieu et sa belle-sœur Catherine Leduc, qui formaient le duo Tricot Machine. « Il arrivait avec ces phrases dont les mots tombaient toujours à la bonne place, ça m’était resté en tête. C’était bien foutu. À ce moment-là, j’ai contacté Daniel, que je connaissais à peine. »

Le premier texte que Daniel a écrit était destiné à son frère Matthieu, qui participait à Cégep en spectacles. « J’ai grandi avec un amour de la langue », dit celui qui se considère comme « le dépanneur » de ceux qui cherchent le mot juste. Concepteur-rédacteur publicitaire de métier, il souffre toujours du syndrome de l’imposteur lorsqu’il touche à la chanson – avec Cormier mais aussi Andrea Lindsay, Fanny Bloom et, plus récemment, Alex Nevsky.

« Avec Louis-Jean comme avec les autres, ce n’est pas mon âme que je mets sur papier. J’essaie simplement d’aller rejoindre l’artiste là où il se trouve et de l’aider à écrire quelque chose qui résonne en lui. C’est ça ma job. Je trippais à écrire des textes parce que j’ai toujours été un amoureux de la musique québécoise, raconte-t-il. J’écrivais de nouveaux textes sur une toune des Chiens, je la prenais comme modèle; ensuite, j’ai écrit à partir de chansons en anglais, pour ne pas me faire distraire par les paroles, parce que j’écoutais moins le texte chanté en anglais. »

Entre Cormier et Beaumont s’est installée une méthode de travail : le premier fournit au second la matière brute, les idées de base des chansons. « Puis on en discute, élabore Louis-Jean. Daniel me parle : « Moi, quand tu dis ça, je vois ceci ». Il a un côté concret, très terre à terre – je ne suis pas en train de dire qu’il n’a pas l’esprit créatif, au contraire, il écrit des choses merveilleuses et lorsqu’il a toute la latitude sur une chanson, il arrive avec de bonnes idées. Par exemple Le Ciel est au plancher, c’est carrément son idée. »

« Comme concepteur, Daniel est habitué de dégainer des idées en une fraction de seconde », abonde Cormier. « Et c’est un bourreau de travail : ‘faudrait que je te montre nos Google Docs, avec tous les mots alternatifs qu’il suggère dans telle ou telle chanson. Il a cette rigueur d’étaler tous les textes de l’album sur une table pour identifier où on se répète, où tel mot revient dans plusieurs chansons, et comment on ferait pour varier. Il est très technique. »

Autant comme parolier que comme concepteur-rédacteur, Daniel Beaumont dit mettre son talent pour l’écriture au service des autres. C’est cette saine distance qui lui permet d’offrir le meilleur éclairage sur les mots et les idées de Louis-Jean Cormier : «   Je ne fais pas partie tant que ça de son monde, et ça fait en sorte que lorsqu’il cogne à ma porte, c’est que son projet est mûr et qu’il arrive à l’étape où il a besoin d’un coup de main, dit Daniel.

« Ainsi, je ne suis pas contaminé par toutes les discussions qu’il a eues à propos de son projet, ce qui me permet d’arriver avec un regard détaché – en fait, j’ai toujours donné l’heure juste à Louis-Jean, et je crois que c’est ce qu’il apprécie. Quand c’est ta blonde ou ton ami qui donnent un avis, il sera toujours complaisant, et c’est normal. Moi, Louis-Jean, je ne le connais pas tant que ça, on n’est pas les meilleurs amis du monde, alors je lui dis vraiment ce que je pense. En ce sens, je me sens un peu comme le gardien de l’auditeur » vis-à-vis le créateur.

Louis-Jean aime dire que Daniel « passe le râteau » dans ses textes et ses idées de chansons : « Il met ses mains là-dedans, il bouscule mes idées. Ce que j’aime, c’est quand ton collaborateur prend tes idées pour te dire : Cette phrase m’accroche, pour telle bonne ou telle mauvaise raison. C’est intéressant autant pour réchapper des idées que pour confirmer que c’en est une bonne. »